Michael Moore et des mondes meilleurs
Alors que Donald Trump avouait récemment, avec une formidable candeur, qu’il ne savait pas où se situe Alep, on constate, avec bonheur, que Michael Moore, lui au moins, connaît l’Europe… Il est vrai qu’il y est venu à l’âge de 19 ans et qu’il fut marqué, suite à un bobo, par le système de santé suédois. On ne lui réclama pas un sou pour les soins de son orteil cassé et le documentariste s’en souvint longtemps. Il tourna d’ailleurs Sicko (2007) pour montrer comment fonctionne la Santé, notamment en Grande-Bretagne et en France…
Avec Where To Invade Next, sa première réalisation depuis six ans et Capitalism: a Love Story, Moore a choisi de s’exporter… En fait, comme il le dit au début de son documentaire, il a choisi d’envahir, tout seul comme un grand, comme une armée à lui seul, un certain nombre de pays de l’autre côté de l’Atlantique. Objectif? Importer les meilleures pratiques des pays étrangers pour changer l’avenir des Etats-Unis.
Avec sa bannière étoilée au poing, debout à l’avant d’un bateau comme un Jack Dawson rondouillard et coiffé d’une casquette de base-ball version camouflée, le réalisateur de Bowling for Columbine et Fahrenheit 9/11 embarque donc le spectateur dans un voyage de deux heures avec de multiples étapes, la plupart en Europe mais avec aussi une escale en Tunisie. Première halte, l’Italie. Première vanne: on a toujours l’impression que les Italiens viennent tout juste de faire l’amour… Mais Moore est là pour parler des congés payés. On sait qu’aux Etats-Unis, les congés payés sont denrée rare, alors le cinéaste s’ébahit d’entendre un couple de charmants quadras (lui est policier, elle acheteuse dans un grand groupe) lui détailler toutes les semaines de vacances dont jouit le citoyen transalpin. Dans des entreprises de vêtements ou chez un constructeur de motos, les salariés travaillent mais aspirent aussi à un juste bonheur. Sur le thème: on n’a qu’une vie, il faut en profiter.
L’escale française s’ouvre par une vacherie. Face à l’invasion de Moore, « les Français n’ont pas beaucoup résisté ». Vlan! Mais, le cinéaste américain va tresser une belle collection de lauriers aux Frenchies. Dans une cantine de Normandie, les gamins mangent équilibré et boivent de… l’eau. Assis à leur table, le cinéaste va avoir du mal à faire avaler du Coca à une fillette qui reconnaît, du bout des lèvres, que ce n’est pas mauvais. Les Saint Jacques au curry et les brochettes agneau-poulet sur lit de couscous achèvent de convaincre Moore de la qualité France en matière de cantine scolaire. Et le chef cuisinier lui assure qu’il n’a, jamais de sa vie, mangé un hamburger.
En Finlande, il sera question d’éducation, de l’absence de devoirs à la maison et de la nécessité pour le cerveau de se reposer de temps en temps. Et les Finlandais réussissent mieux en allant moins à l’école. Comme le dit un prof: « Aux USA, l’école est un business ». Du côté d’Helsinki, l’école sert à apprendre à penser par soi-même. Dans la petite Slovénie, Moore rencontre des étudiants qui ne sont pas endettés. Parce qu’on y cultive le concept de l’université gratuite pour tous. En Allemagne, Where to Invade Next va à la rencontre de salariés heureux. Point, ici, de nécessité d’un second emploi pour vivre correctement. Chez Faber Castell, l’entreprise qui fabrique les fameux crayons, le personnel avoue qu’il peut profiter de la vie. Mieux encore, on bénéficie en Allemagne de trois semaines de cure thermale remboursée. Les syndicats y sont puissants et on les écoute… Et tout cela, note le réalisateur, dans un pays qui a su faire face au devoir de mémoire.
Moore passe encore par le Portugal (pour évoquer la dépénalisation de la drogue), la Norvège (pour mettre en lumière un système carcéral où il s’agit seulement de punir en privant de liberté), la Tunisie (pour parler de l’accès gratuit des femmes à des dispensaires du planning familial et entendre Rached Ghannouchi, le leader d’Ennahdha affirmer que la religion relève de la sphère privée) ou l’Islande et l’importante place faite au pouvoir des femmes dans les instances politiques, gouvernementales, sociales et économiques…
Avec Where to Invade Next, on retrouve Michael Moore tel qu’en lui-même, se mettant toujours en scène pour jouer tous les registres de l’étonnement, de la stupéfaction, de la surprise, voire de l’ahurissement devant les propos de ses interlocuteurs. Pour un peu, le film nous ferait le coup des bisounours. Mais, répondant à une critique qui pointait le silence sur le fort taux de chômage en Italie, Moore a remarqué qu’il était venu « cueillir les fleurs et pas les orties ».
Avec ce nouvel opus, Michael Moore livre quasiment un feelgood movie. Pour ce qui est de ce côté-ci de l’Atlantique. Aux Américains, sur toutes les questions évoquées à travers l’Europe, il tend un miroir pas vraiment sympathique. Ce qui ne change pas grand’chose in fine. Comme le dit une journaliste tunisienne: « Etre le pays le plus puissant de la planète est un frein à la curiosité » et d’ajouter: « Vous êtes les meilleurs et vous savez tout mais ça ne marche pas… » Ce qui, à priori, ne va pas beaucoup déranger des Américains qui n’iront probablement pas voir le dernier Michael Moore. Mais c’est aussi le rôle (et l’honneur) du documentariste de continuer à se comporter comme le poil à gratter cinématographique de la patrie de l’oncle Sam.
WHERE TO INVADE NEXT Documentaire (USA – 2h) de Michael Moore. Dans les salles le 14 septembre.