Dounia, Adrien, Aurore, Marine et les autres
L’été a du bon… Les beaux jours permettent de musarder mais ils ont un (petit) défaut: ils nous éloignent des salles obscures. Où les films, ignorant tout des beautés estivales de la météo, continuent pourtant à défiler de mercredi en mercredi. Séance de rattrapage donc…
En compétition à la Mostra de Venise, François Ozon a présenté Frantz (France – 1h43, en salles le 7 septembre), beau film classique et romanesque qui ramène le spectateur aux heures difficiles de 1918. Difficiles parce que le temps où l’on célèbre la victoire est aussi celui où l’on pleure ses morts. Visage diaphane et capeline noire, Anna se rend tous les jours au cimetière pour se recueillir sur la tombe de Frantz, son unique amour, mort sur les champs de bataille de la Grande guerre. Mais ce jour-là, elle remarque la longue silhouette d’un homme courbé sur la sépulture. Bientôt Anna découvrira que cet homme est français. Adrien Rivoire a connu Frantz et la seule évocation de son nom l’amène au bord des larmes. Si Anna s’accroche vite à Adrien, c’est pour tout savoir de la fin de son amoureux. Les parents de Frantz, notamment son père, honorable médecin, aussi maussade que dévoré de chagrin, ont beaucoup de mal à ouvrir leur porte (et leurs bras) à ce jeune Français, soldat vainqueur et par là même meurtrier de leur fils…
Après avoir tourné en anglais Angel (2007), un drame romantique dans l’Angleterre de 1905, François Ozon a donc tourné, en allemand, cette aventure intime où les confidences d’Adrien vont agir, petit à petit, comme un baume sur les blessures à l’âme d’un père et d’une mère éprouvés. Mais Adrien Rivoire dit-il vrai lorsqu’il évoque son amitié avec le blond Frantz? Et qu’en est-il de leurs promenades dans les allées du Louvre, à la recherche des tableaux de Manet et notamment de celui représentant un jeune homme à chemise blanche couché sur un lit?
Dans ce film tourné dans un beau noir et blanc qui fait immanquablement, à cause de ses décors, songer au Ruban blanc (2009) de Michael Haneke, le réalisateur de Potiche, Huit femmes, Jeune et jolie ou Une nouvelle amie, s’éloigne d’une certaine verve parfois humoristique mais continue à oeuvrer sur des thèmes comme le deuil, l’initiation à l’amour et bien entendu le mensonge. Si l’esquisse d’un amour pourrait se dessiner entre Anna et Adrien, c’est essentiellement leur retour à la vie que filme Ozon. Et c’est bien fait, notamment dans la manière d’aller sonder les visages des personnages de Pierre Niney, de Paula Beer mais aussi d’Ernst Stötzner (le père de Frantz) ou Marie Gruber (la mère)….
Alors bon, nous sommes bien d’accord, le sociétaire du Français, n’est pas près de jouer Kleist en v.o. à la Schaubühne de Berlin. Si son allemand n’est pas exceptionnel, Niney a cependant le mérite de faire d’Adrien un soldat revenu du chaos et de faire sentir qu’il n’arrivera sans doute jamais à s’en remettre. Mais la découverte de Frantz, c’est la comédienne berlinoise Paula Beer. La Mostra vient de la sacrer « Révélation 2016″ et les gazettes ont tôt fait de la proclamer… nouvelle Romy Schneider. Il semble bien que Paula Beer soit promise à un bel avenir. Et Frantz sera passé par là.
La guerre est aussi au coeur de Voir du pays (France – 1h42, en salles le 7 septembre) mais il s’agit d’une guerre bien plus contemporaine et à laquelle ont échappé, tant bien que mal, les soldats que l’on découvre, au début du film des soeurs Coulin, dans un avion qui va se poser à Chypre. Cette section de l’Armée française, engagée en Afghanistan, va passer trois jours dans un hôtel de luxe chypriote. Se déroulant au milieu des touristes en vacances, ce temps est cependant considéré par les autorités militaires comme un sas de décompression avant de laisser les militaires rentrer chez eux…
Bretonnes, amies d’enfance et filles de caractère, Aurore et Marine se sont engagées par goût de l’aventure, pour… voir du pays et aussi parce qu’il n’y avait guère d’avenir dans leur coin. En Afghanistan, elles n’ont rien vu du pays mais ont découvert que la guerre, ça manque de panache. A Chypre, on va leur demander de se vider la tête des souvenirs qui font mal, des non-dits douloureux…
Pour Voir du pays, présenté en mai dernier dans la section officielle Un Certain regard, Delphine et Muriel Coulin ont obtenu le prix du meilleur scénario. Une récompense justifiée tant cette aventure militaire est originale. Depuis 2008, les soldats français revenant de théâtres d’opération doivent se soumettre à cette thérapie militaire en passant par ces sas qui doivent leur faire « oublier la guerre ». Pour Aurore et Marine comme pour nombre de leurs collègues de la section, ce sas va aussi réveiller des violences sourdes et tues.
Si Voir du pays mérite l’attention, c’est pour deux beaux portraits de femmes d’aujourd’hui qui interrogent la construction du féminin dans le monde actuel, la possibilité de la liberté quand on est une fille aujourd’hui. Ariane Labed et Soko (que l’on verra, le 28 septembre, dans La danseuse, sur la chorégraphe Loïe Fuller) apportent une belle énergie à Aurore et Marine. Le film questionne aussi ce que l’on voit de la guerre lorsqu’on est sur le terrain, c’est-à-dire presque rien. Dommage alors que, dans ses dernières séquences (la virée à travers Chypre), le film devienne plus conventionnel et moins convaincant.
L’energie, c’est aussi ce que l’on perçoit constamment dans Divines (France – 1h45, en salles le 31 août), le premier long-métrage d’Houda Benyamina qui lui a valu, en mai dernier sur la Croisette, la prestigieuse Caméra d’or. En se défendant d’avoir fait un film féministe (« J’ai fait un film humaniste »), la réalisatrice a néanmoins composé trois formidables personnages de jeunes femmes. Voici donc Dounia, Maimouna et Rebecca… Les deux premières sont copines de classe. La troisième est un chef de gang qui mène, sans états d’âme, son monde et ses trafics. Dounia et Maimouna rêvent de travailler pour Rebecca. D’obtenir de l’autonomie en dealant, plutôt que de s’exercer, en classe, à sourire pour être à son meilleur dans un futur mais improbable job d’hôtesse…
La grande force de Divines, c’est qu’Houda Benyamina, tout en traitant de la réalité de la « banlieue », fait s’envoler son film dans les beautés romanesques d’une étrange histoire d’amour. Planquées dans les cintres d’une salle de spectacle (où elles cachent aussi leur butin) Dounia et Maimouna observent d’en haut des danseurs en train de répéter. Parmi eux, Djigui, talentueux et troublant. Dounia va complètement tomber sous son charme…
Sur les pas de Dounia, Maimouna et Rebecca (celle qui dit la désormais fameuse réplique: « T’as du clitoris, ça me plaît »), Divines s’en va sur les chemins du film social pour s’échapper ensuite dans la pure tragédie sous le signe de dialogues ciselés et poétiques et d’une bande musicale à l’ampleur classique et envoûtante. Les gamines sont, tour à tour, têtes à claque, bébés paumés et jeunes adultes qui passent, avec aisance, par la violence pour atteindre à l’argent (ah, le « Money, money, money »!) et au pouvoir. Deborah Lukumuena (la drôle et ronde Maimouna) et Jisca Kalvanda (l’inquiétante Rebecca) sont épatantes de naturel. Quant à Oulaya Amamra, elle est une formidable Dounia. Son visage est celui d’un bébé tendre, d’une voyou dangereuse et aussi celui d’une femme sublime et amoureuse… Un sacré talent.