Léo et les loups
D’Alain Guiraudie, on avait gardé, en 2013, les images d’un vaste espace d’eau, de bosquets touffus et de berges peuplées d’hommes nus aux sexes dressés dans ce polar radical qu’était L’inconnu du lac… On retrouve le cinéaste dans d’autres paysages immenses avec Rester vertical, son cinquième long-métrage, qui entraîne cette fois le spectateur du côté des causses de Lozère mais aussi dans une grande cité portuaire aux larges avenues minérales…
Aux premières images prégénériques du film, dans un décor de verte campagne, une voiture s’arrête au bord d’une route perdue et son conducteur interpelle un jeune homme aux bouclettes noires. A-t-il déjà pensé à faire du cinéma? A-t-il envie de faire un essai? Mais le frisé Yoan, avec sa gueule de beau voyou pasolinien, décline fermement la proposition et l’automobiliste reprend la route. C’est cet homme, Léo, que l’on retrouve, arpentant les immensités d’une lande qu’il scrute avec ses jumelles. Sur ce grand causse de Lozère, Léo est à la recherche du loup. Mais, dans ses jumelles, il observe une bergère surveillant, avec un gros chien blanc, son troupeau de brebis. Marie porte une arme à l’épaule et avoue que le loup mérite, de temps en temps, un bon coup de fusil. Léo, lui, se demande si le loup est bien nécessaire en France… En attendant, Léo caresse la jambe de la bergère… Marie l’invite chez elle: « Tu peux rester ici… » Au milieu de nulle part, la ferme est habitée par les deux garçons de Marie et par Jean-Louis, son père. Léo (Damien Bonnard) et Marie (India Hair) vont avoir un enfant. Mais, en proie au baby blues, et sans aucune confiance en Léo qui s’en va et puis revient sans prévenir, Marie va les abandonner tous les deux. Léo se retrouve alors avec un bébé sur les bras. La vie se complique mais Léo, finalement, aime bien ça… Même si le bébé pleure beaucoup la nuit.
Avec Rester vertical, Alain Guiraudie installe d’abord une atmosphère réaliste où la garde des bêtes sur le causse répond à un autre labeur, celui qu’accomplit Léo, lorsqu’il se rend à la ville, s’enferme dans une chambre d’hôtel et peine à avancer dans le scénario pour lequel il réclame cependant des avances à son producteur… Et puis, petit à petit, on perçoit que ce qui intéresse le cinéaste est plutôt du domaine de l’imaginaire et de l’onirisme. Qui est donc Marcel, ce vieil homme barbu et râleur dans la maison où va et vient Yoan? Une sorte d’ogre mal embouché et très solitaire qui écoute Pink Floyd à fond les manettes ? Et puis Léo est-il dans un rêve éveillé lorsqu’il avance, sur une barque, au fil de l’eau au coeur du mystérieux marais poitevin? Et puis est-ce une fée qu’il consulte pour les pleurs de son bébé? A moins qu’il ne s’agisse d’une rebouteuse qui capte l’énergie des arbres pour apaiser aussi les doutes de Léo…
Avec cette histoire comme on en voit peu dans le cinéma français, Guiraudie va et vient, lui aussi, pour atteindre un cinéma de la rêverie qui entre en collision avec la brutalité du réel. Alors oui, il aborde des questions de société, comme la présence, aujourd’hui, du loup face aux fermiers et aux bergers, la question du suicide assisté avec la fin de Marcel mais aussi celle de l’artiste face à la création…Léo verra son producteur le traquer avec une arme et l’enfermer, avec l’aide de la blanche rebouteuse (Laure Calamy), dans une « cellule » monacale pour l’obliger à écrire son scénario. Mais le cinéaste s’ingénie à s’éloigner de ce réel pour cultiver la part du rêve…
En s’appuyant sur des comédiens solides et parfois débutants, Rester vertical s’inscrit pleinement dans les thèmes d’Alain Guiraudie: son inclination pour la nature, son attachement à des gens qui sont seuls ensemble, son goût pour l’incarnation sexuelle. Le sexe le fascinant autant qu’il lui fait peur, le cinéaste filme frontalement l’acte et on songe, parfois, à la façon de filmer d’un Bruno Dumont dans La vie de Jésus ou dans L’humanité. La scène de la mort de Marcel réunit, à cet égard, pleinement éros et thanatos. Tour à tour étonné, troublé ou dérangé par le film, on reste cependant sous son charme.
Entre campagne et ville, au terme d’un périple, marqué, selon les mots du cinéaste, par une nostalgie sans regrets, Léo, qui peu à peu a sombré dans la déchéance sociale, reviendra vers les causses de Lozère et vers le loup. Une ultime rencontre placée sous le signe de la fable et de l’utopie où Léo tenterait de réunir le loup et l’agneau. Cerné par une meute, Léo affirme que, face aux loups, il ne faut jamais se baisser, se pencher, toujours rester debout. Et le rester vertical du titre contient également une connotation sexuelle qui ne déplaît sans doute pas à Alain Guiraudie…
RESTER VERTICAL Drame (France – 1h40) d’Alain Guiraudie avec Damien Bonnard, India Hair, Raphaël Thiéry, Christian Bouillette, Basile Meilleurat, Laure Calamy, Sébastien Novac. Dans les salles le 24 août.