Jason Bourne dans les labyrinthes numériques
Jason Bourne est de retour… Et il n’est toujours pas très bien dans sa tête. Côté réactions violentes et efficaces, pas de souci. Mais, côté souvenirs, ça ne va pas quand même pas fort. Le malheureux est toujours hanté par les images, désespérément floues, de la mort de son père. Longtemps présenté comme un attentat terroriste, cet assassinat programmé par les services secrets américains est bien l’acte fondateur du parcours du jeune David Wells devenu Jason Bourne.
Appuyée sur les best-sellers de Robert Ludlum (mais en prenant beaucoup de liberté et de distance), la saga Bourne est l’une des belles franchises hollywoodiennes et dès ses débuts, elle n’a cessé de séduire de plus en plus de spectateurs. En 2003, La mémoire dans la peau frisait le million de spectateurs, en 2004, La mort dans la peau dépassait la barre et, en 2007, La vengeance dans la peau achevait d’installer cette variation sombre et réaliste de l’espionnage contemporain au panthéon des réussites de l’usine à rêves.
Par la force du business, Hollywood allait bien réveiller un jour ou l’autre le mutique Bourne. Comme Paul Greengrass, le réalisateur, et Matt Damon, la star, étaient partants, Jason Bourne, dix ans après le troisième volet de la saga, remet le couvert. Pour le pur plaisir du divertissement. Mais pas que…
Car le temps a passé depuis que Bourne, à la limite de l’amnésie, se débattait avec ses fantômes, les mensonges et les dérapages incontrôlés d’un programme expérimental chargé de faire d’un brave garçon à la tête de Monsieur Tout-le-monde, une redoutable arme de combat aux capacités physiques et intellectuelles hors du commun.
Le temps a passé et le monde aussi. Edward Snowden a fait les dégâts que l’on sait en révélant les programmes de surveillance de masse imaginés par la CIA et ses sbires. Jason Bourne s’inspire du rôle que tiennent aujourd’hui tant les hackers que les lanceurs d’alerte. Mais c’est pourtant dans un camp de réfugiés syriens que l’on retrouve un Bourne toujours avare de ses mots. Mais pas de ses poings. Et l’on constate que si Bourne sait encaisser, il frappe aussi très fort et très vite…
Ensuite le film embarque le spectateur dans une aventure haletante qui passe par l’Islande, Berlin, Londres, Athènes, Langley, Las Vegas et Washington… Et, à cet instant, on admire le talent d’un Paul Greengrass qui s’y entend à merveille pour ne jamais laisser retomber la tension. Mais il est vrai qu’on pouvait faire confiance au Britannique, metteur en scène de films aussi remarquables que Bloody Sunday (2002), Vol 93 (2006) ou Green Zone (2010)… Dans son fauteuil, on n’a pas le temps de souffler et on goûte, sans vergogne, le plaisir du spectacle.
Mais Greengrass ne se contente pas du divertissement. Proposant un scénario qui questionne la sécurité et la confiance, la transparence et la vie privée, il entraîne son Jason Bourne dans l’ère de l’espionnage 2.0 avec ses labyrinthes numériques et ses libertés civiques malmenées. Car, ici, la CIA manipule en sous-main une brillante start-up informatique qui doit permettre à l’Agence de surveiller la planète entière et tous ses habitants. D’ailleurs, Greengrass orchestre un (cruel) passage de relais entre l’« ancienne » Julia Parsons, comparse attentive de Bourne et la nouvelle, Heather Lee, petit génie informatique de la CIA, qui se pique de pouvoir ramener Bourne dans le giron des services secrets, persuadée que l’incontrôlable espion a toujours le sens de l’honneur et de la patrie…
Plus âpre que la franchise Mission impossible, plus réaliste que la légende 007, ce Jason Bourne sait néanmoins jongler avec les jalons du genre. C’est vrai pour les personnages comme pour les situations. Pour les premiers, on apprécie Tommy Lee Jones, en directeur de la CIA sans états d’âme et prêt au pire pour accomplir ses forfaits ou encore Vincent Cassel en tueur froid et concentré. Mais la découverte de ce Jason Bourne, c’est Alicia Vikander. La comédienne suédoise, couronnée cette année aux Oscars pour son rôle dans Danish Girl (critique sur ce site) incarne Heather Lee, espionne ambiguëe dont les motivations profondes ne seront sans doute dévoilées que dans l’opus 5 de la saga Bourne, déjà en chantier. Et bien sûr, Matt Damon est un Jason Bourne aux traits marqués par le temps qui s’enfuit. Espion de peu de paroles mais toujours champion dans l’art de disparaître et de se sortir de situations (presque) perdues, il promène, en quête de paix, les épaules lourdes de l’homme qu’il croit être.
Côté situations, on place sur le haut de la pile, la grande course-poursuite, sur le Strip, la fameuse artère de Las Vegas, entre la Chrysler noire de Bourne et le fourgon blindé de police du méchant tueur… Il doit y avoir deux centaines de voitures qui s’envolent comme des quilles avant que les bolides cabossés ne s’en aillent exploser un casino ! De la belle ouvrage…
JASON BOURNE Espionnage (USA – 2h03) de Paul Greengrass avec Matt Damon, Julia Stiles, Alicia Vikander, Vincent Cassel, Tommy Lee Jones, Riz Ahmed, Ato Essandoh. Dans les salles le 10 août.