Et Madeleine partit à la mer…
« Les vieux, on les oblige à faire ce qui nous arrange, alors ils se barrent… » Tiré du roman de David Foenkinos, le nouveau film de Jean-Paul Rouve est une variation sur la vieillesse et le temps qui passe. Alors forcément, on n’est pas vraiment surpris que Les souvenirs commence dans un cimetière. Où l’on enterre le grand-père de la famille Esnard. Tout le monde est là et d’abord Madeleine la veuve entourée de ses trois fils… Le petit-fils, Romain, lui arrive en courant et en retard. Ce qui lui vaut un « Comment peut-on se tromper de cimetière! » irrité de la part de son père et un gentil « Ton grand-père n’est pas vexé… » de la part de Madeleine…
Pour son troisième passage derrière la caméra (après Sans arme, ni haine, ni violence en 2008 sur l’affaire Spaggiari et, en 2012, Quand je serai petit), le comédien Jean-Paul Rouve orchestre, ici, trois trajectoires initiatiques à travers trois générations d’une même famille. Il y a donc Madeleine, la grand-mère, 85 ans et qui s’amuse à dire qu’elle va fêter ses 62 ans, Michel, le fils, tout juste atteint par la retraite et enfin Romain, le petit-fils, qui entretient avec sa grand-mère une relation chaleureuse, tendre et détendue…
Le cinéaste qui, dit-il, est « fasciné par les gens normaux », pose donc un regard complice sur ses personnages. Bien sûr, on a déjà vu au cinéma des aïeules pleines de pêche qui vivent mal de devoir quitter leur appartement et qui envisagent avec une certaine angoisse le passage par la case « maison de retraite » décrite comme un hôtel avec des soins en plus. Mais Rouve, en travaillant par petites touches, réussit à nous faire entrer dans son propos. D’autant que Michel Blanc nous gratifie d’une savoureuse composition en fils aîné taraudé par les doutes, muet devant les choix à faire, déprimé par sa toute récente retraite de la Banque postale, incapable de voir que sa femme l’aime et tout aussi incapable de dire à sa propre mère qu’il a vendu son appartement… A côté de cet « homme qui a démâté au moment où la mer n’est pas calme », Romain, le fils, est face à son avenir. Etudiant en lettres, il bosse comme veilleur de nuit dans un hôtel dont le patron (incarné par le cinéaste) le pousse sur les voies de l’écriture…
Surtout, lorsqu’à la charnière du film, Madeleine disparaît de sa maison de retraite. C’est alors à Romain qu’il revient de retrouver sa grand-mère, quelque part du côté d’Etretat et d’une école communale chargée de souvenirs… Julien Doré peut alors revisiter ce classique de la chanson française qu’est Que reste-t-il de nos amours? tandis que Madeleine (re)prend sa vie en main sous les yeux d’un petit-fils qui devient définitivement adulte en se fabriquant des souvenirs pour un bon moment et en rencontrant la femme de sa vie…
Les souvenirs, évidemment, repose pour beaucoup sur son casting, Michel Blanc et Annie Cordy en tête. Le premier arrive à être pathétique en vieux gamin fracassé par ses responsabilités. La seconde, qui n’a pas fait au cinéma la carrière qu’elle aurait pu, est une Madeleine tour à tour touchante, lunaire et drôle ainsi lorsqu’elle s’étonne de la « surprise » réservée par ses fils, en l’occurrence l’enième plateau de fruits de mer dans la sempiternelle brasserie…
Et puis, à côté des trois personnages centraux (Mathieu Spinosi est un Romain charmeur et attachant), Jean-Paul Rouve a multiplié les silhouettes qui apportent au film une touche parfois surréaliste (le tableau de la vache et son peintre), parfois comique (le colocataire dragueur impénitent mais malheureux ou la directrice un peu décalée de la maison de retraite), parfois loufoque avec le pompiste et ses curieux adages: « Quand le présent n’avance plus, il faut mettre de l’essence dans le passé… »
Les souvenirs ou l’histoire de Madeleine qui troqua sa chambre, avec vue sur jardin, dans sa maison de retraite pour les charmes de la côte normande. On peut faire le voyage.
LES SOUVENIRS Comédie dramatique (France – 1h36) de Jean-Paul Rouve avec Annie Cordy, Michel Blanc, Mathieu Spinosi, Chantal Lauby, William Lebghil, Audrey Lamy, Jean-Paul Rouve, Flore Bonaventura, Jacques Boudet. Dans les salles le 14 janvier.