L’art du pétage de plomb
Mannequin en partance pour un défilé, une belle jeune femme monte à bord d’un avion à destination d’on ne sait où et on va vite découvrir que ça n’a pas vraiment grande importance… Un vieux beau la drague vaguement et les deux découvrent qu’ils connaissent bien un certain Gabriel Pasternak. Pour le type, c’était un musicien parfaitement nul, pour la seconde, son ex petit ami. Très vite, on constate que tous les passagers ont un lien avec le nommé Pasternak, au demeurant un personnage exécrable. L’une fut son institutrice, l’autre son psy. Tous se demandent ce qu’ils font là. Et la réponse est toute simple: Gabriel Pasternak est dans le poste de pilotage et il est bien décidé à se venger… Et voilà comment Les nouveaux sauvages part, avant même son générique, sur les chapeaux de roues du délire le plus complet…
Avec Relatos Salvajes (en v.o.), Damian Szifron invite à entrer dans le plus loufoque et aussi le plus dérangeant des films de ces derniers temps. Toute bonnement parce que ses (tristes) héros franchissent la limite entre la civilisation et la barbarie. Rien à voir, évidemment, avec une actualité récente et tragique mais le cinéaste montre cependant des personnages qui soudain deviennent vulnérables face à une réalité qui change et devient totalement imprévisible. « L’inégalité, l’injustice, dit Damian Szifron, et l’exigence auxquelles nous expose le monde où l’on vit provoquent du stress et des dépressions chez beaucoup de gens. Certains craquent… » Les nouveaux sauvages est un film sur ces malheureux.
Né en Argentine en 1975, Damian Szifron a fait ses armes dans la série télévisée avant de se lancer en 2003 dans le cinéma et réalise deux longs-métrages largement salués par la critique et le public dans la sphère ibéro-américaine. Avec Les nouveaux sauvages, présenté en sélection officielle au dernier Festival de Cannes, Szifron a obtenu une exposition internationale. Et a beaucoup fait rire des festivaliers cannois trop souvent privés de comédies, fussent-elles redoutablement grinçantes.
Les nouveaux sauvages appartient à un genre qui fit, notamment, les riches heures du cinéma italien des années 70-80, en l’occurrence le film à sketches. Relatos Salvajes, qui fait songer parfois aux Nouveaux monstres du trio Scola, Risi, Monicelli, en compte six. Et forcément leur qualité est inégale. On a un vrai faible pour l’épisode interprété par Ricardo Darin, l’un des plus prestigieux comédiens argentins révélé internationalement, en 2009, par le thriller oscarisé Dans ses yeux. Il incarne Simon, un ingénieur spécialisé dans les démolitions à l’explosif de grands bâtiments. Ce jour-là, Simon a finit son travail et doit passer à la pâtisserie récupérer un gâteau pour l’anniversaire de sa fille. Le temps d’entrer dans la boutique et sa voiture est mise en fourrière. Commence alors une cascade de péripéties. Car Simon estime qu’il a été injustement sanctionné. Au fonctionnaire installé derrière son hygiaphone, il a beaucoup expliquer que rien n’indiquait une interdiction de stationner, rien n’y fait… Simon règle son amende mais n’est pas décidé à céder devant le système. Mais plus ça va et plus tout se détraque. Simon perd son travail, se retrouve en prison, sa femme demande le divorce. Alors Simon va mener les choses à sa manière, méritant in fine le sobriquet de Bombita…
L’arrivée d’un parfait escroc dans une cantine crasseuse d’autoroute réveille soudain de pénibles souvenirs chez une serveuse (Julieta Sylbergberg). Et la séquence va prendre un savoureux petit côté « massacre à la tronçonneuse ». La route est encore le théâtre d’une affrontement de deux solides crétins… Quant à Romina, la jeune mariée (Erica Rivas), elle découvre, en pleines noces, son infortune. Et son désespoir puis sa colère devant la trahison amoureuse va conduire la fête à une catastrophe totale.
Et puis, Damian Szifron signe, autour d’un accident et d’une tragédie dans une famille très aisée, un sketch où il détaille, avec une distance presque élégante, des comportement simplement ignobles.
Avec une froide cocasserie, le cinéaste distille, ici, des histoires sorties de sa libre imagination mais qui titillent le spectateur dans ses (mauvaises) envies de vengeance et lui permettent de se défouler dans son fauteuil.
Les nouveaux sauvages ou le plaisir vertigineux du pétage de plomb.
LES NOUVEAUX SAUVAGES Comédie dramatique (Argentine – 2h02) de Damian Szifron avec Ricardo Darin, Oscar Martinez, Leonardo Sbaraglia, Erica Rivas, Rita Cortese, Julieta Zylberberg, Dario Grandinetti. Dans les salles le 14 janvier.