La colère des femmes
Les femmes indiennes sont décidément des personnages à part entière du cinéma… En avril dernier, on découvrait sur les écrans français La saison des femmes (critique sur ce site) de Leena Yadav, portrait de groupe pour femmes en quête d’un bonheur légitime mais hors de portée. Voici, cette fois, sept autres femmes indiennes réunies dans Déesses indiennes en colère… Si la démarche des unes et des autres n’est pas tout à fait la même, leurs revendications sont exactement similaires. Toutes aspirent à être reconnues comme des êtres à part entière et non pas comme des filles, des mères, des soeurs, voire des êtres inférieurs promis à satisfaire les désirs masculins…
On peut dire qu’avec Déesses indiennes…, le réalisateur Pan Nalin signe un brûlot qui a provoqué, lors de sa sortie, en décembre 2015, dans les salles d’Inde des réactions tour à tour indignées (les spectateurs n’admettaient pas d’entendre des mots crus dans la bouche de femmes) ou agressives, l’extrême-droite indienne menaçant carrément d’attenter à la vie du cinéaste. Vu d’ici, le film de Pan Nalin a d’abord des airs de « comédie de filles » avant de virer assez brutalement au drame…
De Mumbai à Goa en passant par Delhi, Jaipur, Bangalore ou un shooting à Bangkok, Nalin plante le décor et présente ses personnages. Voici Frieda, photographe de mode obligée de passer par les fourches caudines des producteurs d’une pub, Mad, une chanteuse, que des abrutis interrompent pendant son tour de chant, Suranjana, une business woman obligée de taper sur la table pour se faire entendre ou encore l’Anglo-indienne Joanne, apprentie vedette sur les plateaux de Bollywood. Lasse de jouer les victimes, Joanne frappe, dans une prise, le personnage qui l’agresse et provoque un « Coupez! » furibard du metteur en scène. Sûr de lui, le cinéaste explique qu’on se moque bien du talent de Joanne. Ce qu’on veut sur le plateau, c’est qu’elle remue les seins, le ventre et les fesses…
C’est à Goa, dans la maison de famille de Frieda (où oeuvre Lakshmi, une servante/gouvernante qui a eu son lot de malheurs), que toutes ces femmes vont se retrouver pour quelques jours… Car la ravissante et joyeuse Frieda a une grande nouvelle à annoncer à ses copines: elle va se marier. Et, surprise, le marié est une mariée, en la personne de Nargis, une belle militante syndicale (Tannishta Chatterjee, vue aussi dans La saison des femmes) dont les actions visent notamment un grand projet industriel mené par… Suranjana. On le voit, Pan Nalin ne craint pas les bonnes grosses ficelles de scénario. Mais ce faisant, il s’inscrit tout bonnement dans la veine Bollywood où se mêlent toujours les grands sentiments, l’amour avec un A majuscule, la musique, la danse et une exubérance souvent communicative. Alors, il convient dans la première partie de Déesses indiennes… de jouer le jeu et d’entrer finalement dans le jeu de ces femmes, sans doute pas vraiment représentatives de la société indienne (celles de La saison des femmes l’étaient probablement plus) mais qui sont de beaux porte-voix pour évoquer la condition -très peu enviable- des femmes en Inde.
Si le film frôle parfois le mélo, s’il est un peu surjoué, si la caméra de Nalin tourne un peu trop dans le huis clos de la grande maison de Goa, Déesses indiennes… a pour lui une énergie communicative et des interprètes pleine de charme. Enfin, différence majeure avec le cinéma de Bollywood, ici, ce sont les femmes qui sont les vedettes. Et qui plus est, des femmes rebelles!
Tandis que Maya, la fillette de Suranjana, photographie tout ce qui se passe autour d’elle, les amies qui se connaissent depuis l’université et qui, alors, espéraient changer le monde, se racontent leurs aventures, lorgnent le charmant voisin qui vient laver sa voiture dans la cour d’à côté, évoquent leur vie sexuelle, en appelant un chat un chat, se chamaillent comme des adolescentes mais livrent aussi leur drame comme Pam, la bourgeoise que sa belle-mère traîne constamment chez le gynécologue parce qu’elle n’arrive pas à avoir un enfant…
Et alors que la fête bat son plein dans la nuit de Goa, Déesses indiennes en colère bascule. Sur la plage, Joanne a disparu… Sers amies affolées la cherchent partout. Bientôt, il faudra se rendre à une tragique évidence. On sait que toutes les vingt minutes, une femme est violée en Inde. Et lorsque la police débarque sur place, ce sont d’abord les tenues « indécentes » de nos déesses en colère qui préoccupent le responsable de la police.
On ignore si Déesses indiennes en colère changera quelque chose, en Inde, au sort des femmes. Sur nos écrans, on admirera son tonus et ses belles comédiennes lancées dans un sacré combat.
DEESSES INDIENNES EN COLERE Drame (Inde – 1h55) de Pan Nalin avec Tannishta Chatterjee, Rajshri Deshpande, Pavleen Gujral, Anushka Manchanda, Sarah-Jane Dias, Sandhya Mridul, Jeffrey Goldberg, Adil Hussain. Dans les salles le 27 juillet.