Affreuse, malade et pas commode
« Antonio, tu me fais peur! » Certes… D’ailleurs le pauvre Antonio ne va plus tenir la rampe très longtemps… Entré titubant dans son appartement, il va s’effondrer dans son fauteuil et succomber sans autre forme de procès. Mais celle qui fait vraiment peur, c’est son épouse, l’impressionnante Carmina. Bien sûr, elle verse quelques sanglots mais cela ne l’empêchera pas de vite se reprendre.
En quelques minutes à peine, Paco Leon plante son décor. Carmina!, à part quelques brèves séquences, sera un huis clos. Tandis que Maria, sa fille, débarque et découvre, hystérique, la mort de son père, Carmina prend les choses en main. Pas question de prévenir les autorités et de déclarer le décès du malheureux Antonio. Nous sommes au début du week-end et, lundi, c’est le salaire d’Antonio qui tombe. Pas question de s’en passer. La venue du médecin attendra… « On va faire ça bien » explique cette mamma qui a besoin de cet argent pour tenir jusqu’à Noël: « Imagine les remords si, pour deux jours, on ne touche rien… » et d’ajouter: « Pour lui, ça ne change rien et tu n’as pas idée des frais qu’on va avoir! »
Avec Carmina!, Paco Leon, que les journaux ibériques n’hésitent plus à comparer au grand Pedro Almodovar, s’en va plutôt sur les brisées de la fameuse comédie à l’italienne des années 60-70, celle où s’illustrèrent Mario Monicelli, Dino Risi et bien sûr Ettore Scola. Tant on songe, ici, à Affreux, sales et méchants (1976) où Nino Manfredi, le chef de famille borgne des bidonvilles de Rome cède la place à Carmina, redoutable maîtresse femme de Séville. Comme, pour Affreux, sales…, on savoure, avec ce Carmina!, un humour aussi noir que délicieusement jubilatoire. Car, une fois les premiers sanglots étouffés, Carmina n’a pas de mots assez durs pour le défunt: « Même en mourant, tu m’auras fait chier, enfoiré! ». Ce qui n’empêche pas la veuve de faire les poches d’Antonio, de lui piquer des euros et un ticket de loto…
Si Paco Leon ne cherche pas à faire du cinéma social, Carmina! est néanmoins le portrait politiquement incorrect d’une Espagne qui s’accommode de la corruption d’une société disloquée où affleurent les questions de la crise, du chômage, de l’immigration et de la monarchie. Tout cela à travers une femme totalement extravagante, tout à la fois pathétique et inquiétante.
Et puis Carmina! est aussi une étonnante entreprise cinématographico-familiale… puisque le réalisateur Paco Leon, de son vrai nom Francisco Leon Barrios, a mis les siens à l’ouvrage. En 2012, ce comédien vu dans Aida, une série télé populaire en Espagne et auteur d’un spectacle de cabaret intitulé The Hole, débute dans la réalisation avec Carmina o Revienta, un projet sur lequel il travaille depuis plusieurs années. Ce premier long-métrage est inspiré et interprété par sa mère, Carmina Barrios et par sa soeur, Maria Leon. Et on retrouve les deux femmes mais aussi d’autres membres encore de la famille dans Carmina!
On déguste donc pleinement les aventures de Carmina, grosse femme aux traits lourds et aux yeux clairs, vêtue de panthère, un perroquet sur l’épaule, fumant comme un sapeur, toussant ses poumons dans l’évier et gérant notamment, telle une mafieuse, la carrière de sa fille à la tête d’un futur salon de beauté. Venue au cinéma à l’âge de 58 ans, Carmina Barrios campe, avec un sacré aplomb, cette matrone rusée, cynique, affectueuse, drôle et manipulatrice. Dans l’entourage de cette lionne blonde capable de tout pour protéger sa tribu, Paco Leon fait graviter tout un petit monde haut en couleurs. Il y a Maria, la fille, Marina, la petite-fille, Ale, le fils violent mais aussi les voisines qui déboulent à toute heure dans l’appartement où le malheureux Antonio commence à avoir sérieusement besoin de désodorisant parfumé!
Même si Paco Leon oublie un peu son sujet de départ, on regarde, un peu éberlué, des femmes insolites et presque au bord de la crise de nerfs, se raconter leurs petites histoires pendant les visites de condoléances. Il est question de joints… thérapeutiques, d’argent de… l’électricité, de la reine Sofia et de sa drôle de famille royale et surtout beaucoup de sexe. Les désopilants échanges entre Carmina et son amie, ancienne animatrice du téléphone rose, sont carrément borderline lorsqu’elles évoquent les… moules en tirelire ou les performances sexuelles des Noirs!
Après cet étonnant Carmina!, le cinéaste a déjà achevé son troisième long-métrage. Kiki,el Amor se hace, une comédie érotique festive. Pas de doute, on reparlera de l’effervescent Paco Leon.
CARMINA! Comédie dramatique (Espagne – 1h33) de Paco Léon avec Carmina Barrios, Paco Casaus, Maria Leon, Yolanda Ramos, Estefania De Los santos, Manolo Solo, Teresa Casanova, Alejandro Leon, Marina Leon. Dans les salles le 27 juillet.