Voix fausse mais vraie passion
L’an dernier, une certaine Marguerite Dumont enchantait le public des salles obscures avec une voix pourtant bien disgracieuse… Pleine de folie douce et de mélancolie profonde, Catherine Frot incarnait, dans le Paris des années 20, cette femme passionnée d’opéra qui se produisait devant un petit cercle d’amis et d’habitués qui lui cachaient, en l’applaudissant largement, qu’elle chantait tragiquement faux… Avec l’inattendue Marguerite (la critique sur ce site), Xavier Giannoli franchissait allègrement la barre du million de spectateurs et raflait cinq César dont celui de la meilleure actrice pour l’excellente et pétulante Catherine Frot.
Tête d’affiche de Florence Foster Jenkins, Meryl Streep pourra valablement postuler, l’an prochain, à l’Oscar de la meilleure actrice tant on sait que l’Académie américaine a un faible pour les grands personnages bien perturbés. Avec ce film hollywoodien, le Britannique Stephen Frears s’intéresse donc à cette femme étonnante qu’était Florence Foster Jenkins. Il ne s’agit pas cependant d’un remake du film de Giannoli mais d’un biopic mis en chantier pratiquement en même temps que le film français. Mais là où Marguerite optait pour un joyeux délire qui se mâtinait, sur la fin, d’une réelle douleur, Florence Foster Jenkins choisit d’être une évocation classique d’un trajet hors du commun.
« Les gens pourront toujours dire que je ne sais pas chanter, mais personne ne pourra jamais dire que je n’ai pas chanté… » Née en 1868 en Pennsylvanie et morte le 26 novembre 1944 à New York, Narcissa Florence Foster suit, enfant, des cours de musique et exprime le désir de partir étudier la musique à l’étranger. Comme son riche père refuse de payer, elle s’enfuit à Philadelphie et épouse Frank Jenkins, un médecin dont elle divorcera en 1902. Elle vit alors comme enseignante et pianiste. A la mort de son père en 1909, elle hérite d’une fortune qui va lui permettre d’entamer une carrière de cantatrice que ses parents comme son mari avaient découragée… Elle rencontre alors St. Clair Bayfield, descendant illégitime d’un noble anglais et modeste acteur, qui va la soutenir dans son rêve de cantatrice. Florence Foster Jenkins va alors s’impliquer dans la vie musicale de sa ville, fondant et finançant le Club Verdi où elle se produit dans des tableaux vivants, façon Chevauchée des Walkyries…
Devenu un spécialiste des biopics (Elizabeth II dans The Queen, l’Irlandaise Philomena Lee dans Philomena, Lance Armstrong dans The Program), Stephen Frears s’est donc attelé à la tâche, racontant l’aventure d’une femme meurtrie (son premier mari lui transmet la syphillis lors de leur nuit de noces) qui va s’investir totalement dans un rêve fou. Florence Foster Jenkins connaissait-elle ou non son manque évident du sens musical? Est-elle entièrement persuadée de son talent extraordinaire? Toujours est-il qu’elle se produisait devant des auditoires « choisis » dont Bayfield écartait, avec des poignées de dollars, les critiques musicaux des journaux mais aussi les « non-mélomanes ». Jusqu’à ce moment d’octobre 1944 où la cantatrice (qui ne craignait pas de s’en prendre à la Reine de la nuit de la Flûte enchantée de Mozart!) décide de se produire, pour un concert unique, sur la scène du Carnegie Hall…
Florence Foster Jenkins est un film à la construction propre et bien sage, pour ne pas dire plate, alors même que FFJ était quand même une grande excentrique. Les décors sont beaux, l’atmosphère bien rendue, les costumes étonnants et toujours proches du déguisement. Quant aux vieilles dames emperlouzées qui gravitent autour de la cantatrice, elles semblent sortir de photos du fameux Weegee. Et puis bien sûr, il y a un parfait trio de comédiens. La silhouette alourdie, les traits mous, Meryl Streep s’offre à nouveau l’une de ces performances dont elle a le secret. C’est aussi un plaisir de voir Hugh Grant sortir de sa semi-retraite. Qu’il ait l’oeil qui frise ou le visage mal rasé, son Bayfield, pris dans une vraie double vie, est touchant. Parce qu’il a choisi de s’investir totalement dans les rêves fous de sa Bunny… Enfin, la découverte vient de Simon Helberg qui incarne Cosmé McMoon, le pianiste (de vrai talent) qui accompagnait Florence Foster Jenkins. La scène où il refoule son rire lorsqu’il entend Florence chanter pour la première fois est du pur comique digne de Woody Allen. Et sa détresse est magnifique lorsqu’il comprend que la seule fois où il jouera au Carnegie Hall, ce sera avec FFJ. D’ailleurs, Cosmé McMoon finira sa vie dans le… bodybuilding!
Artiste sincère mais hélas nulle, Florence Foster Jenkins (son concert du Carnegie Hall est l’une des archives les plus demandées de la mythique salle new-yorkaise) méritait probablement une approche plus ambitieuse.
FLORENCE FOSTER JENKINS Comédie dramatique (USA – 1h53) de Stephen Frears avec Meryl Streep, Hugh Grant, Simon Helberg, Rebecca Ferguson, Nina Arianda, Stanley Townsend, Allan Corduner. Dans les salles le 13 juillet.