Quatre jours avec Julian
« Tu n’es pas venu pour me convaincre? » Comme accueil, on a déjà connu plus chaleureux. Tomas vient de quitter le Canada sous la neige, sa femme, ses deux enfants. Ce ressortissant espagnol, lecteur d’El Païs, débarque à Madrid et vient sonner à la porte de Julian. Mais ces deux hommes de la cinquantaine, même s’ils ne se sont pas vus depuis de longues années, sont des amis au long cours. Et la vraie amitié peut entendre ce genre de propos d’autant que Julian et Tomas vont tomber dans les bras l’un de l’autre pour s’étreindre longuement.
Avec Truman, le cinéaste espagnol Cesc Gay raconte une histoire simple et qui tient en quatre journées, celles que vont passer ensemble les deux vieux amis. Tomas a quitté le « pôle Nord », selon l’expression de Julian, parce qu’il a appris que son ami était très malade. A Madrid, il va passer tout son temps avec celui-ci, l’accompagnant aussi bien chez son médecin que chez son vétérinaire. Au premier, Julian annonce qu’il renonce à poursuivre son traitement et l’interroge, en connaissant la réponse: « Je vais mourir quoi que je fasse? ». Au second, il demande comment Truman, son gros chien à la patte un peu folle, va supporter la perte, le deuil de son maître…
Réalisateur expérimenté et fêté (il a obtenu de nombreuses récompenses dans des festivals et pas moins de cinq Goya, l’équivalent hispanique des César, pour Truman), Cesc Gay s’est inspiré pour ce septième long-métrage de l’expérience personnelle de la perte d’une proche. Il a choisi pour traiter ce sujet douloureux et traumatisant pour ceux que cela atteint, un ton à la fois léger et tendre pour une chronique où la gravité le dispute à des touches bienvenues d’humour. Ainsi Truman apparaît comme une ode à l’amitié qui n’entend pas bousculer le spectateur mais, au contraire, de le divertir en l’amenant à réfléchir cependant sur notre humaine condition.
Avec délicatesse, le film passe en revue, mais sans jamais appuyer ou insister, les réactions de Julian face à un inéluctable qu’il a choisi sereinement d’affronter. A ses côtés, Tomas incarne parfaitement ce proverbe qui affirme: « Tes amis écoutent ce que tu dis. Ton meilleur ami entend aussi ce que tu ne dis pas ». Du parc où Tomas promène Truman et rencontre la jeune pourvoyeuse d’herbe de Julian aux bistrots où les deux amis boivent, déjeunent et dînent, le cinéaste compose une suite de séquences qui s’enchaînent avec une belle aisance. Feignant de prendre la vie avec insouciance, Julian et Tomas se disent, à mots voilés, les choses les plus essentielles, celles qui concernent la solitude, la maladie, la mort, le courage. A Tomas, Julian lance: « Tu ne me demandes rien en échange. Tu es généreux, moi non. » A propos de Julian, Tomas observe: « Tu as toujours tout osé… »
Dans un café, Julian, comédien de théâtre qui, le soir, joue Les Liaisons dangereuses avec succès, voit entrer un ami acteur qui fait mine de ne pas le remarquer. Meurtri, Julian ira le saluer néanmoins avant de revenir vers Tomas pour constater: « Il ne sait pas quoi me dire ». Mais, plus tard, ailleurs, dans un autre bar, c’est un autre homme qui viendra, attentif et ému, vers Julian pour lui demander de ses nouvelles. Et Julian sera tout chamboulé car, autrefois, il avait séduit, aimé et pris l’épouse de celui-ci…
En rythmant le film des rencontres, plus ou moins improbables et plutôt insolites, de Julian avec ceux et celles qui pourraient adopter Truman, Cesc Gay nous amène au bout de cette aventure intime. De Madrid, l’histoire aura fait un détour par Amsterdam pour une célébration improvisée de l’anniversaire de Nicola, le fils, étudiant, de Julian. Une opportunité pour le père de se confier au fils. Mais cela n’ira pas de soi… Et puis viendra simplement le temps, pour Julian et Tomas, de se quitter.
Si Truman est un film qui touche et émeut le spectateur, c’est aussi à cause d’un remarquable duo de comédiens. Souvent présent dans les films d’Almodovar (il fut un stewart gay dans Les amants passagers en 2013), Javier Camara incarne Tomas, l’ami silencieux et attentif, celui qui est juste présent à l’autre mais dont justement la présence est tout. Par un simple geste, un regard simplement embué, Camara fait passer de magnifiques sentiments. En face de ce personnage écrit « en creux », c’est Ricardo Darin qui s’est glissé dans la peau de Julian. Avec un jeu aussi intense que dépouillé, le comédien argentin de 59 ans apporte une extraordinaire présence à un homme qui dit: « J’ai décidé de ne pas attendre la fin ». On avait déjà admiré le talent de Darin en enquêteur déterminé dans Dans tes yeux (2009) qui remporta l’Oscar du meilleur film en langue étrangère ou, plus récemment, dans le film à sketches de Damian Szifron Les nouveaux sauvages où il est un ingénieur en explosifs poussé à ses dernières extrémités par la crétinerie bureaucratique. Dans Truman, il est bouleversant en homme qui tente de donner du sens à l’incertitude et à l’inconnu.
Film qui mérite l’attention, Truman fait songer à ce mot de la grande Marlène Dietrich: « Les seuls amis dignes d’intérêt sont ceux qu’on peut appeler à quatre heures du matin ».
TRUMAN Comédie dramatique (Espagne – 1h46) de Cesc Gay avec Ricardo Darin, Javier Camara, Dolores Fonzi, Eduard Fernandez, Alex Brendemühl, Pedro Casablanc, Joé Luis Golez, Javier Gutierrez, Elvira Minguez, Oriol Pa. Dans les salles le 6 juillet.