Dans la douce moiteur des piscines
Solveig Anspach est née le 8 décembre 1960 à Heimaey, dans les îles Vestmann en Islande. Sa mère était islandaise, son père avait fui Vienne et le nazisme et s’était engagé dans l’armée américaine. En 1990, Solveig Anspach est diplômée, section réalisation, dans la première promotion de la FEMIS. Elle s’installe entre Bagnolet et Montreuil et va mener une carrière riche d’une quinzaine de documentaires, de quelques courts-métrages et de sept longs-métrages. La cinéaste est morte, dans la Drôme, à l’âge de 54 ans, des récidives de ce cancer du sein dont elle avait fait, en 1999, le sujet de son premier long-métrage Hauts les coeurs!
Achevé par ses proches collaborateurs alors que la cinéaste en était aux deux tiers de son montage image, L’effet aquatique est donc une manière de testament. On y retrouve en effet un certain nombre de comédiens avec laquelle elle avait déjà beaucoup travaillé, des lieux certainement proches comme la piscine Maurice-Thorez de Montreuil, l’Islande où elle revenait pour en chanter les beautés sauvages mais aussi le côté gentiment déjanté de ses habitants et bien sûr cet univers à la fois réaliste, burlesque et romantique qui faisait déjà le charme de son précédent film, Lulu femme nue (2013) où Karin Viard, à l’occasion d’un entretien d’embauche raté, passait par-dessus bord sa vie de mère au foyer éteinte pour vivre quelques jours avec de doux hurluberlus.
Grutier à casque orange, Samir assiste un soir, dans un bistrot, à la sortie musclée d’une petite jeune femme qui envoie sérieusement un macho paître. Et il apprend qu’Agathe est maître-nageuse à la piscine Maurice-Thorez. Désormais, le grand gaillard dégingandé et complètement sous le charme, n’aura plus qu’une idée en tête: apprendre à nager. Enfin, plus précisément -puisqu’il sait parfaitement nager- s’approcher au près d’Agathe. Pour cela, il lui faut un maillot de bain. Il sera orange avec un petit palmier sur la hanche. Et aussi un abonnement à la piscine. Moins cher qu’un ticket à l’unité…
Commence alors une amusante comédie sur les stratégies de séduction mais aussi sur les milieux… aquatiques. Car si la piscine est, par essence, un lieu où l’on nage, c’est aussi un endroit à la moiteur libidinale, à la torpeur indicible, à l’atmosphère émolliente, à l’humidité pénétrante, aux rituels immuables et aux sols glissants. Maître-nageur plutôt pète-sec, Agathe s’étonne: « C’est courageux d’apprendre à nager à votre âge mais c’est pas gagné! » tandis que Samir allonge les bras, écarte les jambes… sur un tabouret. Mais Samir est prêt à tout pour attirer l’attention d’Agathe. Un soir, coincé dans une cabine, il sera pris au piège de la piscine aux portes closes. Pour se rendre compte qu’Agathe aime aussi s’y faire enfermer. Pour goûter le bruit apaisant de l’eau, les lumières, les ombres… Sur la plate-forme d’un plongeoir, Samir est enfin sur le point d’embrasser une Agathe consentante. Mais…
Après la piscine, Solveig Anspach va embarquer son petit monde jusqu’à Reykjavik où se tient un congrès international des maîtres-nageurs… Agathe y représente la France et Samir qui a décidé de s’envoler immédiatement pour la capitale islandaise pour la retrouver, se fera passer pour Samuel Cohen-Drefyus, représentant d’Israël au congrès. Et tandis que Samir s’enfonce dans une charmante imposture (ah, le projet Together!), Agathe se demande comment elle pourra échapper au charme délicieusement enfantin de Samir.
Avec une mise en scène à l’écriture limpide, Solveig Anspach (qui avoue avoir eu un coup de coeur pour cette chronique amoureuse d’une piscine anglaise qu’est Deep End (1970) de Jerzy Skolimowski) mène à son terme une courte comédie pleine de fraîche tendresse mais aussi d’insolite jubilation aquatique. On glisse de l’univers aquatique domestiqué de la piscine de Montreuil à celui, sauvage, de l’Islande, le tout soulignant le passage à l’état amoureux d’Agathe et Samir. Et si les démêlés des deux personnages captent l’attention du spectateur, la cinéaste brosse aussi, en creux, le portrait de la piscine, lieu « démocratique » où les signes d’appartenance sociale disparaissent pour céder la place aux maillots moulants et aux bonnets peu seyants…
Si Samir Guesmi et Florence Loiret Caille (la Marie-Jeanne de la série Le bureaux des légendes) portent, avec aisance et humour, le film, Solveig Anspach prête aussi une attention particulière à ses seconds rôles. Tous sont joliment saisis, de Daniel, le caissier (savoureux Esteban) à la maître-nageuse nymphomane (épatante Olivia Côte) en passant par Reboute (lunaire Philippe Rebbot) mis à pied par un comité de direction (féminin) présidé par Solveig Anspach en personne devant lequel il se défend lamentablement: « Ce que j’ai fait est inexcusable. Surtout pour draguer deux pauvres filles pas mal, mais bon, pas non plus des bombes. » Quant aux comédiens islandais, ils semblent… naturellement burlesques. Grâce à eux, L’effet aquatique donne envie de plonger dans… la salle obscure.
L’EFFET AQUATIQUE Comédie dramatique (France – 1h23) de Solveig Anspach avec Florence Loiret Caille, Samir Guesmi, Didda Jonsdottir, Philippe Rebbot, Esteban, Olivia Côte, Frosti Jon Runolfsson, Johanna Nizard. Dans les salles le 29 juin.