Le scout, la visual coach et le vide
On n’y fait pas attention de suite quand on regarde l’affiche de L’idéal. Sans doute parce qu’on y voit d’abord des ongles parfaitement manucurés. Mais l’ongle rouge est au bout d’un doigt… d’honneur. Voilà qui a, au moins, le mérite de donner le ton de cette pochade qui prend le monde de la beauté pour cible.
En 2007, Jan Kounen, avec 99 francs, adaptait le roman éponyme de Frédéric Begbeider et racontait les aventures trash, déjantées et sous acide d’Octave Parango (alors incarné par Jean Dujardin), rédacteur-concepteur dans une agence de pub. Une dizaine d’années après, Begbeider, cette fois derrière la caméra pour son second long-métrage après L’amour dure 3 ans (2011), réveille Octave Parango (cette fois incarné par Gaspard Proust) et l’embarque dans l’univers de la mode et de la beauté en adaptant à nouveau l’un de ses romans Au secours pardon.
Désormais, Octave Parango oeuvre comme model scout en Russie où il cherche les mannequins de demain, les new faces qui s’afficheront en grand sur les murs, notamment pour vanter les produits (savon, schampoing, crèmes, vernis) de la société L’idéal. Hélas, chez L’idéal, n°1 mondial du cosmétique, c’est Fukushima. La sex-tape… nazie de l’une des égéries de la marque fait un buzz de folie sur les réseaux sociaux. Dans la war room de L’idéal, c’est branle-bas de combat pour Carrie Wang et son staff. Valentine Winfeld, la visual coach, est sur la sellette. Désormais, il s’agit d’aller vite pour faire cesser le scandale médiatique et trouver d’urgence une nouvelle égérie. Et si Octave Parango, avec ses connaissances du marché russe, pouvait être l’homme de la situation? Celui qui va trouver la perle rare, en l’occurrence une Caucasienne sublime, mineure et vierge.
On veut bien que L’idéal soit une farce qui entend s’amuser à fustiger les moeurs du monde de la beauté, voire à tordre le cou aux clichés sexistes. Encore faudrait-il que le film de Begbeider ait une certaine consistance. Oh certes, ça bouge beaucoup, il y a de la musique (souvent ravissante quand il s’agit de l’air La chanson de la lune de l’opéra La Rusalka d’Anton Dvorak) mais du tout se dégage pourtant une considérable vacuité. Et même quand le cinéaste veut passer à la moulinette les oligarches russes en embarquant Octave et Valentine sur le Grand huit de Sachaland, l’immense propriété du patron d’Octave, on n’accroche pas. Bien sûr, la vodka coule à flots, les filles sont nues et offertes, la drogue se consomme de la même manière que le caviar et les nains de jardin sont vivants mais encore…
Finalement, on n’entend plus que des punchlines qui s’enfilent comme des perles. Florilège: « Les vraies filles, on ne les trouve pas dans les books des agences ou dans les concours de beauté », « On veut une fille tellement jeune que lorsque tu lui parles de 39-45, elle pense taille de chaussures », « Toute fille candidate à un casting perd instantanément sa pureté », « On ne peut pas fermer Internet? » ou encore à propos du poids des annonceurs sur les médias télévisuels: « C’était quand même plus simple du temps de Claire Chazal! » ou, à propos des excuses du mannequin incriminé dans la sex-tape: « Je prône la tolérance entre toutes les races, qu’elles soient supérieures ou inférieures… »
En dénicheur de beautés slaves, le comique Gaspard Proust fait de son Octave Parango un type aussi cynique que fatigué mais le comédien ne semble pas vraiment impliqué dans son personnage. Dans la peau de la rousse et enceinte Valentine Winfeld, Audrey Fleurot incarne une executive woman pète-sec mais terriblement seule. Le problème, c’est qu’on a la curieuse impression d’avoir déjà vu souvent Audrey Fleurot répéter cette composition.
S’il apparaît comme faussement provocateur, L’idéal pourrait pourtant nous interroger sur les idéaux (le mot de passe pour entrer dans la discrète réunion communiste de Moscou est Nique la mère de Poutine) du jeune 21e siècle. Mais de réponse, point.
L’IDEAL Comédie dramatique (France – 1h30) de Frédéric Beigbeder avec Gaspard Proust, Audrey Fleurot, Anamaria Vartolomei, Jonathan Lambert, Camille Rowe, Alaxandrina Turcan, Nikolett Barabas, Olivier Broche, Anthony Sonigo, Tom Audenaert, Jérôme Niel, Charlène Perillat. Dans les salles le 15 juin.