Christophine et l’amour qui rend manchot
C’est l’histoire d’un pingouin nommé Gaston! On ne sait pas d’où il vient, plus que probablement du froid, mais il arrive, dans un petit caisson, dans les imposants laboratoires du professeur Quignard. Chargée de voir si Gaston est en pleine forme, Nadine, scientifique de l’équipe Quignard, pousse un petit cri rauque devant le container. Puis il reviendra à une autre blouse blanche, le robuste Philippe, d’endormir Gaston avec une fléchette hypodermique. La température rectale (38,2°) est bonne, le plumage ne présente pas d’anomalie. Il ne reste plus qu’à permettre à Gaston de rejoindre ses congénères sur la grande banquise construite au coeur des laboratoires Quignard et sur laquelle donne -vue imprenable- le bureau du professeur-patron. Et c’est là qu’intervient la charmante Christophine.
Jeune thésarde un peu maladroite et pas mal émotive, Christophine est follement amoureuse du professeur Quignard, enfin de la voix du professeur dont elle écoute les messages téléphoniques en se pâmant d’aise. Le hasard aidant -et le scénario de Marie Madinier aussi- c’est donc à Christophine que va revenir la mission d’aller amener Gaston sur la banquise. Mais chacun le sait, la banquise, c’est froid, très froid et passablement fouettée par le blizzard. Il n’en faut pas plus pour que Gaston s’évanouisse et que Christophine tente de le réanimer d’un improbable bouche-à-bec. Mais c’est la chère enfant qui manque de finir complètement frigorifiée. Par bonheur, le professeur Quignard va réchauffer, en la secouant comme un prunier, la malheureuse dont on apprend quand même qu’elle souffre d’un syndrome pyramidal transitoire avec paralysie flasque.
Si on s’arrête assez longuement sur le scénario du Secret des banquises, c’est justement parce qu’il est drôlement bien ficelé. L’année où elle sortait de la Femis, la prestigieuse école française de cinéma, Marie Madinier avait d’ailleurs obtenu, pour le Secret…, le prix Sopadin Arlequin du meilleur scénario. Après deux courts-métrages, la cinéaste signe, ici, un premier long qui choisit un univers peu traité dans le cinéma, celui du milieu scientifique. Mais si un certain nombre d’éléments sont tout à fait réalistes, le film va assez rapidement filer vers une fantaisie euphorique avant de s’achever clairement dans le domaine du conte fantastique.
Avec habileté et maîtrise, Marie Madinier embarque donc son petit monde de scientifiques, tous plus ou moins barrés, dans une aventure où il sera essentiellement question d’… amour. Car toutes les recherches du laboratoire Quignard portent sur la PPM, une protéine du stress produite par les manchots et qui doit être expérimentée sur l’humain. Pour Quingard, il en va de la survie de son laboratoire face à la concurrence internationale et puis aussi un peu d’un prix Nobel qui le fait secrètement rêver. L’amour passant par là, c’est Christophine, touchante de dévotion et de muette passion pour un professeur brillant, charismatique mais sentimentalement autiste, qui fera basculer l’aventure en s’injectant le génome du pingouin… Tout en se sacrifiant pour Quignard, Christophine le prend aussi en otage. Désormais, leur quête est liée comme leur extraordinaire et extravagante relation amoureuse.
En jouant donc successivement sur les registres de la comédie volontiers délirante et de la fable tendre et presque tragique, Marie Madinier multiplie les trouvailles dans son récit. Le rude traitement que Quignard administre à Christophine relève du pur burlesque. On savoure aussi la séquence où les souris de laboratoire sont aspergées de phéromones tandis que les humains alentour sentent monter de sérieuses envies ou encore celle où Christophine et le vigoureux Siegfried se livrent à une étonnante chorégraphie sexuelle, revisitant ainsi la classique scène d’amour. Et puis la cinéaste réussit aussi deux jolis portraits avec une Christophine énamourée devant un Quignard qui s’avérera être un bien mauvais coup. On n’en dit pas plus…
Le secret des banquises peut s’appuyer sur un beau duo de comédiens avec Charlotte Le Bon, délicieuse en amoureuse transie puis décidée et Guillaume Canet, amusant en quasi-professeur Tournesol longtemps mutique et peu aimable découvrant, à son corps défendant, que le plaisir est au centre de ses recherches. A leur côté, Anne Le Ny et Patrick d’Assumçao composent un autre duo, presque « parental ». Travaillée par Pascal Marti, directeur de la photo attitré de Cédric Kahn et de François Ozon, la lumière bleue et froide du Secret… est belle. Stéphane Rozenbaum signe le grand décor du bureau directorial surplombant la banquise, saint des saints auquel Christophine accédera avec des mots de passe comme « syllogisme de l’amertume » ou « la vie ne vaut rien, rien ne vaut la vie » et Stephen Warbeck livre une envoûtante partition musicale.
Nourrie au bon lait de la comédie d’Howard Hawks avec des films comme L’impossible M. Bébé ou Chérie, je me sens rajeunir, Marie Madinier a peaufiné de pétillants dialogues et de joyeuses situations. Son Secret des banquises, délicat et croquignolet (elle y évoque la jouissance féminine et l’impuissance masculine), loufoque et surréaliste, inventif, drôle et tendre, est un jubilatoire moment de cinéma. Et je ne dis pas cela parce que j’ai connu Marie Madinier jouant, gamine, avec mes enfants sur la plage de Saint Cast. C’était au…Club des pingouins!
LE SECRET DES BANQUISES Comédie (France – 1h21) de Marie Madinier avec Charlotte Le Bon, Guillaume Canet, Anne Le Ny, Patrick d’Assumçao, Damien Chapelle, Xavier Beauvois. Dans les salles le 22 juin.