La vengeance et la lumière des diamants
Nourri depuis son adolescence au bon lait du film noir classique qu’il a découvert avec Le faucon maltais, Arthur Harari est manifestement un cinéphile. En observant la séquence d’ouverture de son film, on songe ainsi au fameux Psychose de Hitchcock et à l’oeil dans la bonde de la douche… Mais la séquence n’est pas qu’un clin d’oeil -loin s’en faut- à sir Alfred. Enigmatique et inquiétante, elle plante en effet le décor d’une histoire d’aveuglement, l’histoire d’un homme qui ne voit sans doute pas les choses comme elles sont mais de manière déformée. La toute première image de Diamant noir est un très gros plan sur un oeil fermé et agité comme lorsqu’on rêve. Trois ou quatre images plus tard, cet oeil se brouillera de sueur ou de larme. La vision brouillée sera responsable d’un drame affreux. Nous sommes dans l’atelier de taille d’un diamantaire et un jeune homme va perdre, dans des jets de sang, sa main dans l’outil de taille…
Pier Ulmann est le fils de Victor, cet homme à la main coupée… Mais il n’a jamais connu son père et lorsqu’il le retrouve, c’est un corps sur un brancard à la morgue. Soudain, son histoire familiale revient en force dans l’existence de Pier. Il découvre la longue déchéance de son père. Bête noire d’une riche famille de diamantaires implantée à Anvers, Victor lègue, en tout et pour tout, à son fils l’histoire de son bannissement par les Ulmann et une soif amère de vengeance. Mais si, comme la vision de l’oeil qui ouvre le film, la perception de Pier était, elle aussi, brouillée? Et si le récit de Victor était un souvenir dérangeant et irréel que Pier a voulu prendre pour la vérité?
Occupé à Paris à de petits boulots et à de menus larcins commis pour le compte de Rachid, son « père de remplacement », Pier reçoit la visite de son cousin Gabi Ulmann qui lui propose de le rejoindre à Anvers pour diriger des travaux de transformation au siège de leur société. Une occasion à saisir pour Pier de se rapprocher de cette famille à laquelle il voue une haine sourde mais intense. La consigne que lui donne Rachid est lapidaire: « Tu vas là-bas pour voir, et pour prendre ».
Inspiré tout à la fois par Hamlet et par le parcours de Pierre Goldman, militant d’extrême gauche, aventurier et braqueur de pharmacies dans les années soixante, Diamant noir est une tragédie familiale qui emprunte les chemins du film noir. Arthur Harari a eu l’excellente idée de situer son action dans le milieu, majoritairement juif, des diamantaires d’Anvers. Le film s’enrichit alors d’une intéressante dimension documentaire (le cinéaste a pu tourner dans l’un des derniers ateliers de taille en dehors du périmètre sécurisé du quartier diamantaire) tout en déroulant sa trame romanesque et tragique. A Rachid, Pier confiait: « Je veux leur faire mal. Je veux qu’ils souffrent… » Désormais reçu chez les Ulmann mais pas encore accepté par Joseph, le père de famille, Pier va imaginer une machination en forme de braquage qui doit lui permettre de dérober quatre pierres inestimables…
En travaillant sur des lumières contrastées, colorées et très marquées dignes des mélodrames américains de l’âge d’or, en jouant sur une bande musicale très soignée, Arthur Harari donne, avec Diamant noir, une oeuvre lyrique et baroque très réussie. Mieux le cinéaste mêle avec finesse la stylisation formelle et le réalisme brut du film noir pour observer Pier Ulmann s’intégrant petit à petit à l’univers des Ulmann d’Anvers, prenant ses marques autant dans la famille, auprès d’abord de Gabi, le fils épileptique puis de Luisa, la fille et enfin de son oncle Joseph que dans le milieu des tailleurs de diamant où il va montrer ses capacités.
Ce qui fait aussi l’attrait de Diamant noir, c’est un casting qui détonne dans la production française. Pier est incarné par Niels Schneider dont on avait déjà vu l’apparence fiévreuse et la part d’enfance chez Xavier Dolan (J’ai tué ma mère en 2009 et Les amours imaginaires en 2010). Pour Gabi, le cinéaste a choisi l’Allemand August Diehl, comédien virtuose qui passe avec aisance du pathétique au grotesque. Joseph Ulmann est interprété par Hans-Peter Cloos, célèbre metteur en scène allemand de théâtre travaillant en France depuis trente ans. On trouve aussi dans la distribution d’excellents acteurs flamands et, dans le rôle de l’intrigante Luisa, la rare Raphaële Godin qui ne tourne presque plus et se consacre à la photo et à l’édition.
Pour le personnage doux et inquiétant de Rachid, Arthur Harari a engagé Abdel Hafed Benotman, écrivain algérien de langue française (1960-2015) dont la vie agitée tenait du roman. Diamant noir lui est dédié. Enfin, le cinéaste, à travers une photo sur un mur d’Isaac Ulmann, le patriarche de la famille, rend hommage à son grand-père, le comédien et homme de théâtre Clément Harari (1919 – 2008), l’un des grands seconds rôles du cinéma français.
Comme son titre l’indique, Diamant noir, au-delà de Pier Ulmann et de sa trajectoire tragique pour se libérer du mythe écrasant du père, est aussi une histoire de diamant, de beauté et de lumière. « Il suffit d’un peu de lumière, dit un personnage, pour que le diamant vibre. » Et si l’art du tailleur de diamant est de tracer un chemin à la lumière dans la pierre, on peut voir aussi, ici, une métaphore du cinéma et des artistes qui font parler la lumière sur l’écran…
DIAMANT NOIR Thriller (France – 1h55) d’Arthur Harari avec Niels Schneider, August Diehl, Hans-Peter Cloos, Raphaële Godin, Guillaume Verdier, Abdel Hafed Benotman, Jos Verbist, Raghunath Manet, Hilde Van Mieghem. Dans les salles le 8 juin.