Deux belles folles en quête de bonheur
« Le monde se partage entre ceux qui veulent aller mal -la majorité- et ceux qui veulent aller bien. Comme moi! » Voilà le credo de Béatrice Morandini Valdirana et l’on se dit que tout cela est bien sensé… Si Béatrice n’était pas pensionnaire de la villa Biondi, un établissement qui recueille des femmes atteintes de troubles psychiatriques et mentaux. La voix rauque et le verbe haut, moulée dans une robe verte et s’abritant sous un parasol japonais, Béatrice déambule dans les jardins de la villa, donnant ici des conseils de jardinage, affirmant à celles des pensionnaires qui l’envoient se faire voir, que c’est sa famille qui a fait don de la belle villa.
Avec La pazza gioia, le réalisateur toscan Paolo Virzi aborde un thème qui a souvent eu les faveurs du cinéma… La liste des films qui parlent de la folie est simplement interminable et les plus grands y ont apporté leur écot, ainsi Hitchcock (Psycho, 1960), Fuller (Schock Corridor, 1963), Polanski (Répulsion, 1965), Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucou, 1975), Lynch (Eraserhead, 1978), Kubrick (Shining, 1980), Cronenberg (Faux-semblants, 1988) ou plus près de nous Aronofsky et Black Swan (2010). Mais ces oeuvres ont pour point commun un ton tragique.
Avec Folles de joie (en v.f.), Virzi fait, lui, le choix de la comédie divertissante. Point cependant de dérision mais plutôt le souci de traiter de l’injustice vécue par des gens fragiles sous l’angle de l’errance euphorique, de l’ivresse, de l’hilarité même. Le cinéaste va le faire à travers la rencontre de deux femmes que rien ne devait faire se croiser. Béatrice Morandini Valdirana vient d’une famille aisée mais, emportée dans une liaison amoureuse avec un criminel, elle a perdu peu à peu le sens des réalités, provoquant l’éclatement de son couple comme la perte de son patrimoine. Considérée comme bipolaire, Béatrice a donc fini à la villa Biondi. C’est là que débarque, sortant d’une ambulance, une femme maigre et en haillons, couverte de tatouages et de cicatrices, se traînant sur des béquilles… Béatrice va jeter son dévolu sur Donatella Morelli. Leur premier face-à-face est d’emblée un joli moment de comédie. Béatrice se fait passer pour médecin et interroge Donatella sur son passé, ses addictions, ses angoisses, ses traitements. Et l’on commence alors à entrevoir le sens de la mystérieuse séquence d’ouverture du film où une jeune femme avance au bord de la mer avec un bébé dans sa poussette. Dans le cabinet du « médecin », survient soudain une responsable de la villa qui lance: « On t’avait dit de socialiser, Béatrice! Là, tu fouines… »
Employées avec d’autres patientes dans une jardinerie, Béatrice et Donatella, leur journée de travail terminée, attendent le minibus qui doit les ramener à la villa Biondi. Mais le minibus tarde à arriver. Et les deux femmes avisent un bus qui, au bout d’une prairie, va faire halte. Les voilà parties, courant dans l’herbe, vers ce bus qui leur ouvre la porte d’une déambulation joyeuse et pathétique. A bord, face à deux femmes qui ne savent pas où elles vont et qui n’ont pas de ticket, le contrôleur résume: « Elles sont cinglées! » Et il ne sera pas le seul à leur dire mais Béatrice et Donatella n’en ont cure.
Paolo Virzi va alors organiser la course de Béatrice et Donatella à travers la Toscane sur l’air de « On cherche simplement un peu de bonheur! » Ici, un centre commercial, là un restaurant de luxe où elles s’offrent un dîner avant de s’enfuir sans payer. Elles se font prendre en stop par un bellâtre qui a bien l’intention de les emmener à l’hôtel. Mais nos deux folles lui emprunteront sa belle voiture. « On s’amuse! » disent-elles tandis qu’à la villa Biondi, on se demande quelle attitude adopter. De fil en aiguille, Béatrice comprendra aussi le drame de Donatella tombée en dépression profonde depuis que les autorités ont déclaré son inaptitude parentale et placé son petit garçon…
Sur les pas de Thelma et Louise transalpines, Folles de joie est un film dynamique, qui avance vite, avec de grandes bouffées d’air pur respirées par deux femmes dont on est évidemment amené à se demander quel est leur degré de folie. Adoptant le point de vue de Béatrice et Donatella, deux mal élevées qui n’ont plus le souci du regard des autres, le cinéaste livre un film plein de fantaisie, de joie irrésistible et contagieuse qui renvoie aussi le spectateur à sa propre perception des fous. Déjà auteur d’un film noir (Les opportunistes, 2014) qui montrait du doigt la déliquescence politique et financière dans la péninsule,Virzi, avec humour cette fois, suit deux « folles » dans « cet hôpital psychiatrique à ciel ouvert qu’est l’Italie ».
La photographie de Vladan Radovic magnifie les lumières toscanes. Le scénario multiplie les petites digressions bienvenues. Les personnages de la villa Biondi font parfois songer au grand Fellini. Le duo Béatrice-Donatella est, lui, parfaitement réussi. Micaela Ramazzotti est une Donatella mutique, anorexique, méfiante qui trimballe un lourd passé et avoue « Je suis née triste ». Mais qui va quasiment renaître sur une plage de Viareggio. Déjà allègrement fofolle dans le récent Ma Loute de Bruno Dumont, Valeria Bruni Tedeschi se régale d’une Béatrice mythomane, nymphomane, bipolaire, parfois méchante et blessante mais dont la folie la protège de la douleur insupportable de la solitude.
A quelqu’un qui leur demande si elles sont folles, Béatrice et Donatella répondent: « Selon certains experts, il semblerait ». Nous, on les trouve surtout drôles, envahissantes certes, extravagantes mais infiniment touchantes.
FOLLES DE JOIE Comédie dramatique (Italie – 1h56) de Paolo Virzi avec Valeria Bruni Tedeschi, Micaela Ramazzotti, Valentina Carnelutti, Tommaso Ragno, Bob Messini, Sergio Albelli, Anna Galiena, Marisa Borini, Marco Messeri, Bobo Rondelli. Dans les salles le 8 juin.