Alcoolique, toxico, paumé et… superhéros
Si vous êtes fan de Superman, Batman, Catwoman, Supergirl, Wonderwoman, Spider-Man, Hulk, Iron Man, Cyclope, Magnéto, Mystique, Wolverine, Thor, Captain America et on en oublie, alors vous risquez d’être franchement surpris par American Hero! Car Melvin Hesper, Mel pour ses copains, n’a rien d’un sauveur de la planète, pas plus que de la veuve et de l’orphelin. Mel est un vrai traîne-patins qui erre dans les rues de La Nouvelle Orléans avec son ami Lucille dit Luce, ex-soldat de l’Armée américaine, collé dans un fauteuil roulant depuis qu’une balle ennemie lui a fracassé le dos du côté de Bassorah en Irak… Mais Mel peut avancer une excuse. Lui aussi est fracassé. Cette fois par un divorce qui l’a privé de la garde de Rex, son jeune fils. Mais Doreen, l’ex-madame Hesper, connaît trop son gaillard. C’est un fêtard qui n’aime rien tant que de s’éclater avec ses copains et des filles à gros seins, portant des micro-shorts…
Avec American Hero, le cinéaste anglais Nick Love s’empare d’une puissante mythologie américaine pour l’entraîner sur les chemins de traverse du film de loser. A l’instar de cette Nouvelle Orléans qui porte encore les traces et les cicatrices du passage de l’ouragan Katrina, Mel Hesper a du mal à se remettre de trop de déconvenues. Il faut dire que cet homme dans la belle trentaine qui vit encore chez sa gentille maman, n’est pas non plus un grand battant. Mais voilà, Melvin a des pouvoirs et même des superpouvoirs. Qui ne lui font cependant pas plus d’effets que cela. Tout juste se prête-t-il à quelques expériences avec un professeur de sciences naturelles de sa connaissance… Et puis, quand il faut survivre, Mel se sert aussi de ses dons pour mettre au pas des braqueurs au petit pied… auxquels il « prélève », pour son compte personnel, leur butin.
Dans cette production indépendante qui semble faire malicieusement la nique (combien de fois le mot motherfucker est-il prononcé ici?) à toutes les superproductions Marvel qui occupent régulièrement les écrans, on suit donc la déambulation de Melvin entre ses « frères » de beuverie, ses promenades avec Luce ou ses « planques » à proximité de l’établissement scolaire de Rex. Vêtu d’un sempiternel tee-shirt blanc, Melvin enfile un costume/cravate pour aller réclamer justice au tribunal et dire qu’il est capable de devenir une figure paternelle stable. Mais il en ressort, furieux et écoeuré, avec une peine de travaux d’intérêt général. Raison de plus pour plonger, avec une coiffure de chef indien sur la tête, dans la vodka, les lignes de cocaïne et la pratique des filles faciles.
Auteur notamment de deux films sur les hooligans anglais (The Football Factory en 2004 et The Firm en 2009), Nick Love raconte, avec une joli liberté de ton, l’histoire un tantinet trash d’un superhéros peu disposé à accepter son extraordinaire condition. D’ailleurs, l’appétit d’autodestruction de Melvin Hesper est assez effrayant. Il faut toute l’affectueuse énergie de son copain Luce pour faire parfois émerger Mel. Il accepte alors de faire le show dans les rues historiques de la Nouvelle Orléans. Le visage masqué comme un catcheur à l’ancienne, il fait voler Luce sur son fauteuil d’handicapé…
Vu notamment dans Somewhere (2010) de Sofia Coppola en père célibataire et en star hollywoodienne déchue, Stephen Dorff, à la fois costaud et « détruit », apporte à son personnage de quasi-clochard un petit côté no future qui se traduit par des divagations pathétiques et des regards dans le vide. Luce lui lance: « Tu sens le poney qui s’est roulé dans le fumier! » mais de cela non plus, Melvin n’a cure. Pourtant, Mel n’est pas un demeuré. Il lit Conrad, Maugham et Maupassant et célèbre la beauté de la musique de Chopin, Wagner, Beethoven, Mozart tout en interrogeant Luce: « Tu connais leur point commun? – Ils sont européens! »
En donnant à son film une (fausse) forme de documentaire (les personnages répondent de temps à autre à un intervieweur hors champ tandis que la caméra les recadre par des coups de zoom) Nick Love décale clairement le film de superhéros. Hormis une scène où Melvin va s’en prendre à des méchants, le cinéaste n’abuse pas des effets spéciaux. Dans des casses automobiles, Melvin se distrait surtout en faisant claquer les portes des épaves, en arrachant des pare-chocs ou en démantibulant une voiture ou alors en déplaçant des gâteaux pour effrayer le petit ami de sa soeur. Il faudra qu’il aperçoive Rex au contact de dealers et que ces derniers s’en prennent à Luce (Eddie Griffin, l’une des stars américaines du stand up) pour que Melvin décide de changer de vie et de mettre ses dons au service du Bien. Mais là encore, American Hero s’amuse: « J’arrête de boire, dit Melvin. Plus d’herbe, de drogue. Je vais même arrêter la cigarette, le sexe, les coups, les putes, le vol. Je vais même peut-être arrêter de me masturber ». A quoi Luce répond: « N’exagère quand même pas! » Et d’ailleurs, American Hero règle la question du superhéros. C’est un gamin grassouillet déguisé en petit Batman qui passe, imperturbable, devant Mel dans une rue perdue de La Nouvelle Orléans…
AMERICAN HERO Fantastique (USA – 1h26) de Nick Love avec Stephen Dorff, Eddie Griffin, Luis Da Silva, Christopher Berry, Yohance Myles, Andrea Cohen, Raeden Greer, King Orba. Dans les salles le 8 juin.