Rififi dans le show de la finance
Bon, ce n’est pas le genre de film que Cannes met spécifiquement à son affiche… Sur la Croisette, on préfère -évidemment!- l’art et essai. Et c’est très bien. Comme le modèle de cinéma que conçoit l’excellent Ken Loach. L’Anglais avait annoncé son départ à la retraite mais son Moi, Daniel Blake méritait assurément de faire un tour du côté des marches. Mais revenons à Money Monster, quatrième long-métrage de Jodie Foster, retenu dans la sélection officielle mais hors compétition. Ce qui permet, en tout état de cause, d’accueillir la star doublement oscarisée (Les accusés et Le silence des agneaux) sur le tapis rouge. Et comme la charmante Jodie parle un français parfait, les médias nationaux n’ont même pas besoin de se battre, en salle de conférences de presse, pour les casques de traduction…
Après deux oeuvres intimistes (Le petit homme en 1991 et Week-end en famille en 1995) et une comédie fantastico-sociétale (Le complexe du castor, 2011), la cinéaste se lance dans le cinéma de genre. En mixant d’ailleurs deux sous-genres, en l’occurrence le film de prise d’otages et le film sur « la finance-un-univers-impitoyable-où-les petits-porteurs-laissent-toujours-des-plumes ». Pour mémoire, le premier sous-genre tient son film-culte avec l’excellent Un après-midi de chien (1975) de Sidney Lumet avec Al Pacino. Le second est représenté par des films plutôt récents comme Margin Call (2011), Le loup de Wall Street (2013) ou encore The Big Short, le casse du siècle (2015). En se souvenant quand même qu’Oliver Stone avait ouvert le bal dès 1987 avec son Wall Street.
Pour Money Monster, Jodie Foster fait mieux encore puisqu’elle mêle à la prise d’otages et à la finance, l’univers des médias, connu lui aussi pour être un repaire de tarés et de malfaisants. Ce qui fait beaucoup? Eh bien non! En respectant les codes du film de genre, la cinéaste propose un spectacle palpitant. On a, ici, le ton du thriller, les répliques qui font tilt, un bel affreux, un solide huis clos qui va se prolonger dans les rues de New York et, in fine, des êtres misérables qui finiront par s’élever pour faire apparaître une part d’humanité.
Lee Gates est une star de la télévision. Money Monster, son show, est suivi par des milliers de téléspectateurs qui s’amusent de ses tenues improbables (il porte le haut de forme doré) et de ses pitreries puériles (on n’est pas très loin du coussin péteur) et qui suivent ses « tuyaux boursiers ». Une fois de plus, ce jour-là, Gates est en scène. Entouré de danseuses, il brame: « Vous ne savez pas où va votre argent? » ou encore « Arrêtez de geindre et remonter sur le ring! » Mais bientôt, c’est Gates qui sera dans les cordes. Un livreur a réussi à se faufiler sur le plateau. Il porte de gros paquets et sort soudain un arme. Il braque Gates et hurle: « Continuez de filmer ou je le bute… » Désormais, c’est un autre spectacle qui démarre. Mais toujours en direct.
Quasiment en temps réel, Money Monster va donc mettre aux prises Kyle Budwell, un type ordinaire et anonyme, qui a misé 60.000 dollars, tout l’héritage de sa défunte mère, sur un bon tuyau de Gates. Las, le coup rentable va être un bide car la société Ibis Clear Capital a connu un énorme couac qui a englouti 800 millions de dollars. Autant dire que le pauvre Kyle est marron et qu’il n’a plus rien à perdre. Commence alors un jeu dangereux entre le preneur d’otage et Lee Gates, discrètement cornaqué, à travers son oreillette, par sa productrice Patty Fenn, tapie en régie… Evidemment, la police et un négociateur s’en mêlent tandis que, de Séoul à Johannesburg en passant par Reykjavik, la planète de l’info continue n’en perd pas une miette. Du côté d’Ibis Clear Capital et de son staff arrogant, on patauge dans la langue de bois tandis qu’un analyste observe: « Il est mathématiquement impossible de perdre 800 millions en un après-midi ». Grosse magouille, alors?
Si le spectacle se suit allègrement, c’est que Jodie Foster, tout en travaillant joliment ses images entre les atmosphères sombres de l’image de cinéma et les couleurs éclatantes de l’image télé, donne chair à ses personnages. Julia Roberts, en productrice capable de parer tous les coups, est un peu dans l’ombre mais on lui a donné de bons dialogues comme ce « On ne fait pas de journalisme coup-de-poing » suivi, après un temps, par un « On ne fait même pas de journalisme du tout ». Face à un type sur lequel il essaye peu à peu de prendre l’ascendant, Lee Gates est incarné par un George Clooney qui ne craint pas de paraître crétin, immature, voire antipathique. Avec sa chemise impeccable et son brushing parfait, Gates n’est pourtant qu’une (brillante) marionnette des plateaux. Le bouffon donne le change. L’homme, lui, ne croit plus à grand’chose… Puisque Money Monster est du divertissement mainstream, Kyle Budwell obtiendra d’entendre le pdg d’Ibis dire de son comportement que… « c’était mal ». Quant à Gates, il retrouvera, entre les colonnes néoclassiques du Federal Hall (là où le premier président américain fit son serment d’investiture), des réflexes de vrai journaliste.
Et comme on est au cinéma, les héros survivront au cataclysme mais Jodie Foster s’offre une chute magnifiquement cynique… Assis dans un coin, encore effondrés par ce qui vient de se produire, la réalisatrice et son présentateur-vedette mangent, ensemble, quelques nouilles chinoises dans une boîte en carton. Et Patty Fenn lâche, avec un petit sourire las: « On va trouver quoi pour la semaine prochaine? » The show must go on? Et la finance aussi…
MONEY MONSTER Drame (USA – 1h38) de Jodie Foster avec George Clooney, Julia Roberts, Jack O’Connell, Dominic West, Caitriona Balfe, Giancarlo Esposito. Dans les salles le 12 mai.