Fanny ou les chemins de la survie
Malicieuse et intelligente, Fanny est une gamine de 12 ans, qui a, pour son âge, la tête sur les épaules mais sans doute aussi des rêves de fillette à profusion… Las, nous sommes dans la France de 1943. Et le danger est partout lorsqu’on est juif. D’ailleurs Fanny vit dans un foyer en Creuse, loin de parents dont elle ignore ce qu’ils sont devenus. En bonne grande soeur, elle s’occupe des deux petites de sa famille… Mais la situation dans la maison d’enfants où elles sont réfugiées, devient trop incertaine et il faut à nouveau partir dans l’inconnu.
« Ceux qui oublient le passé, se condamnent à le revivre »… C’est dans cet esprit que Lola Doillon a mis en chantier Le voyage de Fanny. La cinéaste qui signe là son troisième long-métrage (après Toi, t’es sur qui? en 2007 et Contre toi en 2009), voulait mettre en scène « une émancipation accélérée » et ancrer son récit dans un contexte historique. C’est sa productrice qui dénicha le récit publié en 2011 aux éditions du Seuil par Fanny Ben-Ami. Le journal de Fanny racontait l’histoire vraie d’une gamine juive qui, avec ses soeurs Erika et Georgette, passera plusieurs années dans une maison d’enfants de l’OSE (Oeuvre de secours aux enfants) en zone libre. En mai 1943, après l’invasion de la zone libre par les Allemands, Fanny se retrouvera, seule, à la tête d’un groupe d’enfants qui devra fuir vers la Suisse pour tenter de s’y réfugier…
Si Lola Doillon a puisé nombre d’informations auprès de Fanny Ben-Ami qui vit aujourd’hui en Israël, son film a pris les libertés de la fiction (il n’évoque pas le rôle du maquis ou de la Résistance) pour devenir avant tout un récit à hauteur d’enfant en évoquant le passage de l’enfance à l’adolescence dans un contexte de violence latente mais permanente tout en transmettant, notamment à l’attention des plus jeunes, la mémoire de la Shoah.
Le voyage de Fanny, comme son titre l’indique, met en scène la fuite d’un groupe d’enfants devant un danger qui vient les menacer jusque dans la maison où ils sont cachés. C’est le temps des dénonciations anonymes qui va jeter des gamins sur les routes. Le risque est permanent et d’autant plus grand que bientôt Fanny va se retrouver seule à la tête de huit gamins plus jeunes qu’elle. On lui indique des directions comme partir vers Mégève, prendre des trains mais ceux-ci ne circulent plus ou mal. En gare de Sallanches, il faut changer de train, repartir vers Annemasse. Les gares pullulent de troupes allemandes. Pour viatique, on a donné à la gamine un conseil: « Si tu as peur, tu fais semblant pour les autres ».
Même si elle concentre son aventure sur la petite troupe autour de Fanny, Lola Doillon, la fille de Jacques, prend néanmoins le temps de brosser, au passage, quelques beaux portraits d’adultes comme cette Madame Forman (qui s’inspire de Nicole Weil-Salon et Lotte Schwarz, deux figures investies corps et âme dans la protection des mineurs pendant la guerre), directrice d’école d’une (apparente) grande dureté qui sera contrainte de confier à Fanny la responsabilité des enfants et à laquelle Cécile de France apporte beaucoup de subtilité dans un rôle court mais intense mêlant sévérité et douce bienveillance. Plus tard, dans le récit, Stéphane de Groodt incarne, lui, Jean, un fermier bourru et taiseux qui viendra en aide aux enfants.
Puisque le choix de la cinéaste est de se placer à hauteur d’enfant, c’est à travers les yeux de Fanny et ses protégés que se déroule ce redoutable périple qui ne se passe pas sous les bombes mais qui porte en lui l’angoisse de la séparation, la peur de l’inconnu, de l’oubli aussi contre lequel Fanny lutte avec son appareil photo. Avec intelligence, Lola Doillon alterne les scènes violentes et les échappées belles, les mots d’enfant douloureux (« On ne pas arrêter d’être juif? ») et les rires des jeux. On passe ainsi d’une scène éprouvante où les gamins sont enfermés et affamés par des gendarmes français dans une salle de classe à des courses dans les prés et les champs. Où l’on constate qu’il suffit parfois d’un ballon pour que des enfants fatigués réussissent encore à courir… Et puis, loin de la France des enfants de « Maréchal, nous voilà », Fanny et ses copains joueront, insouciants, dans une rivière puis vivront une aventure de Robinsons isolés dans une grange délabrée. Tandis que s’élèvent les accents de Tum Balalaïka, une comptine yiddish qui dit: « Une cheminée est plus haute qu’une maison, – Un chat est plus rusé qu’une souris – La Torah est plus profonde qu’un puits – La mort est plus amère que la bile »…
Pour l’imaginative Fanny (qui a le visage grave de la jeune Belge Léonie Souchaud) et ses copains, ce dangereux voyage vers la survie sera heureusement placé, non point sous le signe de la mort mais sous celui de la solidarité et de l’amitié…
LE VOYAGE DE FANNY Drame (France – 1h34) de Lola Doillon avec Léonie Souchaud, Fantine Harduin, Juliane Lepoureau, Ryan Brodie, Anaïs Meiringer, Lou Lambrecht, Igor van Dessel, Malonn Levana, Lucien Khoury, Cécile de France, Stéphane de Groodt. Dans les salles le 18 mai.