Entre New York et Hollywood, Bobby balance…
Dans une réplique fameuse, François Truffaut faisait dire à ses interprètes: « L’amour est à la fois une joie et une souffrance… » Le nouvel opus de Woody Allen s’inscrit, lui aussi, dans cette ligne tout en cultivant, en parallèle avec une délicate romance amoureuse, une nostalgie de l’âge d’or d’Hollywood. Mais plus que jamais, Café Society (qui a fait l’ouverture du Festival de Cannes) est une déclaration d’amour à New York, la ville natale, la ville cocon, la seule cité sans doute où Allan Stewart Koenigsberg se sente vraiment chez lui…
Nous sommes dans les années 30. Bobby Dorfman a l’impression d’étouffer dans sa famille installée dans le Bronx. C’est la tête pleine de rêves et d’espoirs qu’il débarque en Californie. Bien sûr, Hollywood a d’abord pour lui le look un peu minable de l’Ali Baba Motel. Mais Bobby a un allié dans la place puisque son oncle Phil Stern est un agent de stars qui a pignon sur rue. Bien sûr, Bobby a un mal de chien à obtenir un rendez-vous avec oncle Phil mais il parviendra quand même à décrocher un petit boulot de coursier dans ses bureaux…
Entre Ave Caesar! des frères Coen et le Dalton Trumbo de Jay Roach, le cinéma américain récent s’est penché sur son âge d’or, y compris à travers les heures sombres de la chasse aux sorcières. Woody Allen y ajoute une forte touche nostalgique. Et on sent qu’il y a un envie manifeste de saluer un panthéon magnifique. Car tous ceux que cite Allen forment le plus prestigieux générique de toute l’histoire du 7e art! Jugez du peu: Paul Muni, Ginger Rogers, Gloria Swanson, Joel McCrea, Robert Taylor, Spencer Tracy, Joan Crawford, Barbara Stanwick (qu’on voit dans un extrait de The woman in red), Joan Blondell, Greta Garbo, D.W. Griffith, Rudolph Valentino, William Powell, Billy Wilder, Hedy Lamarr, Irene Dunne, Errol Flynn et même le Mulhousien Willie Wyler…
Mais, fort heureusement, Café Society n’est pas qu’un name dropping de haut vol! D’ailleurs, dès le générique jazzy, toujours en noir et blanc et toujours avec la même graphie, on sait qu’on est chez Woody Allen. Comme de coutume, le cinéaste a le génie de nous embarquer avec aisance dans une aventure qui va de New York à Hollywood et retour. Si Bobby Dorfman (Jesse Eisenberg, parfait en « double » allénien) est au coeur de l’intrigue, Café Society, écrit comme un roman, est un récit choral où vont et viennent les personnages mais aussi de multiples silhouettes de stars, de milliardaires, de séducteurs, d’avocats, de femmes ambitieuses et de gangsters…
Du côté d’Hollywood, Woody Allen va développer une histoire d’amour entre Bobby et la ravissante Vonnie à laquelle Phil Stern confie le soin de faire découvrir la cité des rêves à son neveu. Evidemment, Bobby tombe instantanément sous le charme de cette fille malicieuse et intelligente. Hélas, Vonnie a un petit ami et Bobby devra se contenter de son amitié. Jusqu’au jour où Vonnie débarque chez lui pour lui annoncer qu’elle vient de rompre… Cette fois, l’amour semble à portée de main. Et Bobby peut alors envisager d’entraîner la belle du côté de Greenwich Village…
Portrait d’une époque et évocation du monde du cinéma hollywoodien, Café Society est aussi une saga familiale. Et Woody Allen va, une fois de plus, se délecter de cette mère râleuse et de son mari qui n’en pense pas moins. On y ajoute une soeur qui a épousé un professeur communiste et Ben, un frère qui a basculé dans le gangstérisme… Une maisonnée bruyante qui permet au cinéaste de croquer savoureusement mais surtout avec une vraie tendresse la communauté juive. Forcément, il est question de la vie et de la mort (« Il faut accepter que la vie n’ait pas de sens… »), du… catholicisme et de cuisine (« Les Juifs font tout trop cuire pour être sûr qu’il n’y a pas de microbes »). Allen nous gratifie aussi d’une pétillante séquence avec une fille de joie dont Bobby a requis les services et dont il découvre qu’elle se nomme, non point, Candy mais Shirley Garfein: « Une prostituée juive, ça existe? »
Avec, pour la première fois comme directeur de la photo, Vittorio Storaro, Allen a beaucoup travaillé la lumière de son film… Dans le Bronx, les couleurs sont désaturées, froides alors qu’à Hollywood, la palette est chaude et solaire. Mais lorsque Bobby Dorfman sera de retour chez lui et qu’il deviendra un « roi » des nuits de la Café Society, les lumières new-yorkaises deviendront plus chaleureuses. Car le cinéaste apporte un soin particulier à la reconstitution d’une époque où New York comptait des dizaines de clubs éblouissants où se retrouvaient, jusqu’au bout de la nuit, les rich and famous. C’est dans cette ambiance de fête permanente que Bobby, devenu séducteur et portant smoking blanc, verra « le passé faire son entrée » et Vonnie (Kristen Stewart, nouvelle venue chez Allen) franchir le seuil de son club.
Avec Woody Allen lui-même dans le rôle du narrateur en voix off, Café Society est une belle histoire entraînante, drôle et douce-amère, élégante et raffinée. Bien sûr, Allen ne révolutionne pas le cinéma mais on se laisse porter, de bout en bout, par une tendre nostalgie qui distille un joli plaisir de cinéma. A 80 ans, le cinéaste n’a rien perdu de son talent. Aux derniers instants de Café Society, on songe au Casablanca de Michael Curtiz et à cette chanson mélancolique qui disait « As time goes by »… Le temps passe mais la magie opère toujours chez Woody Allen.
CAFE SOCIETY Comédie dramatique (USA – 1h36) de Woody Allen avec Jesse Eisenberg, Steve Carell, Kristen Stewart, Blake Lively, Parker Posey, Corey Stoll, Ken Stott, Jeannie Berlin, Anna Camp, Stephen Kunken, Sari Lennick, Paul Schneider. Dans les salles le 11 mai.