Sherlock Holmes et la mémoire défaillante
Non, Sherlock Holmes n’a jamais porté de deerstalker, la fameuse casquette en tweed à double visière… Et non, il ne fumait pas la pipe mais préférait de beaucoup le cigare. C’est d’ailleurs le plus célèbre habitant de Baker Street qui, un peu agacé, le dit: toutes ces inventions sont nées dans l’imagination fertile du docteur Watson… Mais voilà le cher Watson est mort et Sherlock Holmes ne se sent plus très bien non plus…
Bien sûr, Holmes reste une star et lorsqu’il débarque dans une petite gare du Sussex pour rejoindre sa maison du bord de mer, les voyageurs se retournent sur son passage: « C’est lui! ». Pourtant le détective britannique a tourné la page. Agé de 93 ans, Holmes sent sa fin venir. Dans son beau cottage, il compte bien ne plus s’occuper que de ses chères abeilles même si, dans la maison, son bureau -le saint des saints- est plein de livres, d’objets, de photos qui sont autant de traces de ses multiples enquêtes.
En adaptant au cinéma Les abeilles de Mr Holmes, le roman (paru en France en 2007) de l’Américain Mitch Cullin, le réalisateur Bill Condon s’engage dans une aventure qui pourrait indisposer les passionnés d’Arthur Conan Doyle et de Sherlock Holmes. Car c’est, ici, l’homme derrière le mythe que le cinéaste entend débusquer. Mais point d’inquiétude, le cinéaste, sans être déférent, ne déboulonne pas la statue et on serait même tenté de dire qu’il voue une particulière empathie à un homme désormais fatigué, fragile et dont l’exceptionnelle acuité cérébrale n’est plus ce qu’elle avait été… Cependant Mr Holmes a la bonne idée de jouer sur deux tableaux et deux époques… Nous sommes en 1947. Holmes a fait un voyage au Japon pour rencontrer un admirateur et partir avec lui à la recherche de plants de frêne épineux. Car Holmes, déjà auteur d’un traité sur les vertus curatives de la gelée royale, entend tester les bienfaits du frêne épineux. A Roger, le jeune fils de Mme Munro, sa gouvernante (Laura Linney), Holmes confiera que le frêne épineux, malgré son mauvais goût, permet de lutter contre les maladies dégénératives, l’arthrite et la sénilité.
Mr Holmes entraîne aussi le spectateur dans le Londres de 1917, avec un passage obligé par le 221 Baker Street où le détective reçoit un homme très inquiet de l’état de sa femme… Entre le Sussex et la capitale britannique, le film fonctionne sur une série de flash-back. D’un côté, une paisible campagne anglaise baignée de lumière où le vieil homme tout en apprenant à Roger la fréquentation des abeilles, va reconnaître en lui un gamin à l’esprit aussi vif que fut le sien. De l’autre, une enquête londonienne avec Ann Kelmot, une femme qui parle à ses enfants trop vite disparus et se persuade que les morts sont juste de l’autre côté du mur… Le problème, c’est qu’Holmes voudrait coucher sur le papier les péripéties de cette dernière enquête. Hélas, sa mémoire est défaillante et les souvenirs lui font défaut. D’ailleurs, le médecin a suggéré à Holmes de faire une marque sur un petit agenda chaque fois qu’un mot lui échappe. Et le carnet abonde de petits points…
Bill Condon a construit un film captivant tout le temps (le scénario s’embrouille un tantinet sur la fin) qu’il cerne un maître de la science, de la logique et de l’ordre qui se rend compte, à la fin de sa vie, que tout cela ne lui est d’aucun secours. Le cinéaste réussit un jolie métaphore avec le champ de ruines noircies d’Hiroshima que traverse Holmes qui renvoie à l’esprit en déliquescence du détective. Car celui qui disait: « La mort, la douleur, le chagrin sont des banalités. Je ne m’intéresse qu’à la logique », va devoir se rendre à l’évidence. Lâche et égoïste, il n’a pas su comprendre cette Ann Kelmot qui lui disait « Soyons seuls ensemble ». Pire peut-être, il n’a pas vu alors que la logique seule ne peut expliquer les mystères de l’âme humaine…
Avec Mr Holmes, Bill Condon retrouve Ian McKellen, 75 ans, qu’il avait dirigé, en 1998, dans Ni dieux, ni démons, une évocation de la vie de James Whale, le cinéaste de Frankenstein. Celui qui fut Magneto dans la saga X-Men et Gandalf dans la trilogie du Seigneur des anneaux tout en étant un grand acteur shakespearien, se glisse avec aisance et distinction dans les costumes stricts ou les… robes de chambre avachies d’un Sherlock Holmes à deux époques de son existence.
Lucide sur lui-même (« Je suis seul mais avec la compensation de l’intellect »), pas forcément sympathique avec Mme Munro (il lui lance « Les enfants extraordinaires ont souvent des parents ordinaires »), cet homme peu doué pour les émotions va, peu à peu, s’humaniser sous le regard admiratif et affectueux de Roger (Milo Parker), un gamin qui s’enrichit du savoir de Holmes tout en trouvant une figure paternelle de substitution.
Les fans de l’immense Sherlock auront sans doute un regard plein de tendresse pour cette évocation hautement nostalgique des derniers temps du grand homme.
MR HOLMES Comédie dramatique (Grande-Bretagne – 1h44) de Bill Condon avec Ian McKellen, Laura Linney, Hiroyuki Sanada, Milo Parker, Hattie Morahan, Patrick Kennedy, Roger Allam, Frances de la Tour, Philip Davis. Dans les salles le 4 mai.