La dernière mission de Zev Guttman
L’Holocauste n’a pas fini de hanter les artistes et les cinéastes en l’occurrence… Récemment encore, on a vu Margarethe von Trotta se pencher, à travers Hannah Arendt (2013) sur la banalité du Mal alors qu’un autre Allemand, Christian Petzold évoquait, dans Phoenix (2014), le drame d’une survivante. Prochainement, un film allemand, encore, racontera, avec Fritz Bauer, un héros allemand (dans les salles le 13 avril) comment un procureur allemand, devant la « démission » de la justice de son pays, demanda, en 1957, l’aide du Mossad pour faire arrêter Eichmann en Amérique du sud… Et puis, on ne saurait oublier le choc que fut, l’automne dernier, Le fils de Saul. Le jeune cinéaste hongrois Laszlo Nemes plongeait au plus près de l’horreur concentrationnaire, dans les pas d’un membre d’un Sonderkommando…
Ce n’est pas faire injure à Atom Egoyan de dire qu’il n’est pas un cinéaste débutant… Sa filmographie est solide et volontiers impressionnante quand il s’agit d’œuvres comme Exotica (1994), De beaux lendemains (1997), Le voyage de Félicia (1999) ou Ararat (2002). Après quelques films moins bons (Captives à Cannes 2014 a été mal reçu par la critique), le cinéaste canadien donne, ici, un des rares films dont il n’a pas écrit le scénario, celui-ci étant confié à Benjamin August…
Zev Guttman, un vieil homme, se réveille dans sa chambre et appelle sa femme… « Ruth, Ruth? ». Un peu hagard, il se lève et sort de la pièce qui est, en fait, aménagée dans une maison de retraite. Ruth est morte depuis quelques jours et Zev n’arrive pas à l’admettre d’autant plus que, frappé de démence sénile, sa mémoire vacille sérieusement. La famille de Zev est venue à la maison de retraite pour la fin de Shiv’ah, la période de deuil observée dans le judaïsme. C’est le moment que choisit Max Rosenbaum, le meilleur ami de Zev, pour lui remettre une longue lettre… Il s’agit d’une manière d’ordre de mission. Car Zev doit tenir une promesse faite il y a longtemps déjà: retrouver et éliminer l’homme qui est responsable de la mort des familles de Zev et Max à Auschwitz.
Atom Egoyan va alors filmer une sorte de road-movie qui emprunte le rythme lent du pas d’un homme allant sur ses 90 ans. En s’appuyant sur la lettre dont il barre scrupuleusement les étapes accomplies, Zev -loup en hébreu-part à la recherche d’un certain Rudy Kurlander. En train, en bus, en taxi, Zev Guttman traverse l’Amérique et le Canada, trouve des Rudy Kurlander… L’un a combattu en Afrique sous Rommel mais n’a jamais été à Auschwitz, le second a été… détenu dans le camp de concentration et le troisième, véritable nazi collectionneur de Mein Kampf ou d’oriflamme à croix gammée, était trop jeune pour être Blockführer…
En suivant Remember, on ne peut s’empêcher de songer à deux films. Le premier, belge, La mémoire du tueur (2003) parce qu’un tueur à gages, atteint de la maladie d’Alzheimer, exécute son dernier contrat et comprend qu’il est manipulé. Le second, This Must Be the Place (2011) de Paolo Sorrentino, parce qu’un fils de déporté (Sean Penn maquillé en rock star gothique retraitée) sillonne l’Amérique pour retrouver le responsable de cette déportation.
Avec une belle simplicité dans le filmage, Atom Egoyan traverse de superbes paysages (dans l’Ontario ou l’Alberta notamment) mais le paysage qui l’intéresse vraiment pour questionner la mémoire, c’est bien le visage de Zev. Un visage marqué par la vie mais qui n’exprime que le présent, parce que le passé, le vieil homme ne s’en souvient pas… Et puis, alors qu’on peut penser que le film va s’acheminer vers une fin prévisible, Remember bascule. Zev Guttman devient étrangement un homme lucide qui a fait de toute sa vie un immense camouflage…
Pour incarner Zev, le cinéaste a choisi Christopher Plummer, acteur shakespearien au théâtre et comédien de cinéma au long cours. Son Zev est d’une formidable densité dans une parfaite économie de jeu. Le personnage de Max Rosenbaum a moins de scènes mais elles sont toutes capitales. Et Martin Landau (le fameux Rollin Hand de Mission impossible) les habite avec une fièvre étonnante. Bruno Ganz comme Jürgen Prochnow (le capitaine de Das Boot) font des apparitions mais elles sont remarquables aussi…
Alors que les témoins vivants de la Shoah ne sont plus très nombreux, le rôle du cinéma est aussi de faire œuvre de mémoire. C’est l’un des mérites de Remember.
REMEMBER Drame (Canada – 1h35) d’Atom Egoyan avec Christopher Plummer, Martin Landau, Bruno Ganz, Jürgen Prochnow, Heinz Lieven, Dean Norris, Henry Czerny, PeterDaCunha. Dans les salles le 23 mars.