Par la grâce de quelques lettres…
« Vous savez, je ne resterai pas longtemps… » C’est Leïla Sten qui parle. Arrivée avec sa grosse valise dans un coin parfaitement perdu de la Finlande rurale, elle se demande bien ce qu’elle fait là. D’ailleurs, sa « mission » est assez curieuse: aider un vieux prêtre, le père Jacob Ljube, à lire son courrier et l’aider à y répondre. Cette « mission », Leïla a bien été obligée de l’accepter. C’était ça ou continuer à demeurer en prison.
Avec Lettres au père Jacob, le cinéaste finlandais Klaus Härö ouvre ou, du moins, entrouvre les portes du cinéma finlandais aux cinéphiles français. Et c’est une bonne initiative de la part de Saje Distribution de permettre cette découverte avec un auteur qui en est déjà à son cinquième long-métrage et qui a déjà été choisi à trois reprises (dont ce Lettres…) pour représenter la Finlande aux Oscars et aux Golden Globes.
Couronné de quatre récompenses majeures aux Jussi Awards finlandais, l’équivalent de nos César, Lettres au père Jacob est né d’une façon originale. Un jour, Härö reçut une lettre d’une parfaite inconnue. Dedans, il y avait un scénario, un nom -Jaana Makkonen- et un numéro de téléphone. Le réalisateur ne fait pas vraiment attention au contenu jusqu’au jour où, alité, il ouvre les pages du scénario et tombe totalement sous le charme d’une histoire qu’il va alors retravailler avec un scénariste. Si Härö a eu un coup de coeur pour ce récit, c’est aussi qu’il a réveillé en lui des échos intimes. Croyant, le cinéaste a connu cependant une longue période où il doutait de l’existence de Dieu et ce questionnement se traduit, dans le film, par la rencontre du père Jacob et de Leïla.
Aux premières images de Lettres au père Jacob, même si l’atmosphère des lieux est plus celle d’un confessionnal que d’un parloir, on comprend que Leïla Sten purge une longue peine de prison. « Vous n’avez jamais fait de demande de sortie? » interroge un gardien. « Ce n’était pas nécessaire », lâche, cassante, Leïla. « Vous n’avez jamais reçu de visite… » reprend l’homme et Leïla: « Je n’en avais pas besoin ». Par quel mystère, la perpétuité de Leïla a-t-elle été levée? Il est question d’une demande de grâce… Et l’ultime « Où comptais-tu aller sinon? Chez ta soeur? » vaudra à l’homme un regard très noir de Leïla…
Robuste, mal fagotée, peu amène et pas vraiment bavarde, Leïla Sten, l’ex-condamnée, arrive donc dans « l’endroit calme, où il y aura peu de travail » promis par l’administration pénitentiaire. Là, on observe le père Jacob mettant la table pour le thé tandis qu’une bouilloire siffle. Un gros plan sur une vieille horloge, un autre sur un crucifix plante d’emblée le décor tandis que Leïla avance dans un chemin de verdure. Instantanément, Härö installe une atmosphère. Avec la grande maison plantée dans un décor de belle nature, avec la petite église au loin, le tout photographié dans une superbe lumière scandinave, on a l’impression que l’ombre de Bergman flotte sur Lettres. Et on se demande même si le berêt qu’arbore Jacob n’est pas un clin d’oeil au grand Ingmar…
Tandis que l’on aperçoit le vieux prêtre fatigué, la caméra suit, dans un lent panoramique, Leïla avançant dans les pièces, observant les lieux, cherchant le vieux homme. « Ravi que vous soyez venue », lance le père Jacob, les yeux éteints, en tendant la main dans le vide. Suspicieuse, Leïla prend sa tasse de thé et s’en va s’asseoir au bout de la table. Plus tard, elle testera la cécité du prêtre en lui passant le couteau à pain près du visage…
En s’appuyant sur une belle lumière, sur un scope qui magnifie les intérieurs, en peaufinant ses cadrages, Klaus Härö va confier à sa mise en scène le soin de capter les sentiments de Jacob et de Leïla. Car ces deux-là doivent s’apprivoiser. Ils le feront à travers la lecture de lettres qui s’accumulent en grandes piles et qui attendent d’être lues. Elles le seront tout à côté de la maison, autour d’une petite table, dans deux fauteuils en rotin blanc qui semblent sortir d’une forêt de bouleaux chère à Tchekhov.
Un facteur, préposé à la livraison quotidienne de l’abondant courrier du père Jacob, apporte une note presque comique dans la mesure où l’employé des Postes se défie de Leïla et imagine qu’elle pourrait faire un mauvais sort au vieil homme. De fait, en écoutant le prêtre citer St Paul en réponse aux demandes d’intercession d’une mère qui a peur pour son fils ou d’un écolier aux prises avec un maître qui le rudoie, Leïla va, peu à peu, être émue et touchée dans son être. Et son visage dur semble s’éclairer au contact d’un homme qui affirme: « Je ne suis que l’instrument de la grâce » et dit: « Aucune créature de Dieu ne doit se sentir inutile ».
Parce que les lettres n’arrivent plus -le facteur ayant pris peur- l’existence même du père Jacob bascule: « Dieu n’a plus besoin de moi ». Il imagine soudain recevoir des visiteurs, devoir célébrer un mariage. Seul dans sa petite église, il cite encore la première lettre de St Paul aux Corinthiens avec le fameux « S’il me manque l’amour, je ne suis rien… » Un propos qui échappe évidemment aux fiancés fantômes mais point sans doute à une Leïla qui lutte encore un peu contre elle-même. « Qui a besoin d’un prêtre aveugle? », dit-elle en refusant de soutenir le vieil homme défaillant…
Avec deux acteurs remarquables, porté par les accords de Beethoven et de Haydn, par un nocturne de Chopin ou la Barcarole d’Offenbach, Lettres au père Jacob est un film délicat, dépourvu de pathos et d’éclats de voix qui s’interroge sur l’être humain face à ses faiblesses, sur la foi, sans doute, face à l’épreuve du doute. Après avoir failli toucher le fond, Leïla finira par s’ouvrir et atteindra la rédemption. Pour une unique fois, elle prendra la main de ce père Jacob qui, les yeux fermés, lui aura confié: « Ce qui est impossible aux hommes est possible à Dieu ». C’est limpide et émouvant.
LETTRES AU PERE JACOB Drame (Finlande – 1h14) de Klaus Härö avec Heikki Nousiainen, Kaarina Hazard, Jukka Keinonen, Esko Roine. Dans les salles le 9 mars.