La lapine, la famille et le cadre déprimé
Comment font les gens qui ne vont que deux fois par an au cinéma? Comment font-ils pour choisir? Sauf à n’aller voir que le dernier 007 ou un Star Wars si longtemps attendu… Ceux qui vont au cinéma une fois ou deux par semaine (si, si, ça existe!) ont d’autres soucis. Comment faire pour ne pas rater le film qu’il ne faut pas… rater?
Dans la rubrique des films qu’on a failli rater, Zootopie (USA – 1h48) occupe une bonne place. C’est du Disney, c’est donc du cinéma pour les moufflets. Circulez, y’a rien à voir. Erreur. C’est du Disney du meilleur tonneau. Du Disney qui renoue, si on ose dire, avec son fonds de commerce, en l’occurrence, ces bêtes qui ont une âme. Humaines, tellement humaines. Et surtout les deux réalisateurs, Byron Howard et Rick Moore ont su donner un rythme pétaradant à ce film qui a des allures, tour à tour, de thriller et de comédie fantaisiste.
La ville de Zootopia n’est pas comme les autres puisque ses seuls habitants sont des animaux. Les six quartiers de la ville sont bien différents aussi. Sahara Square (pour lequel les animateurs se sont inspirés de Monte Carlo et de Dubaï) est un quartier résidentiel élégant. Alors que Toundraville, entre neige et glace, est beaucoup moins hospitalière. La grande originalité, c’est qu’à Zootopia, chaque espèce animale cohabite avec les autres. Ici, les prédateurs et les proies vivent en bonne entente. Mais des malveillants ne l’entendent pas ainsi et et vont tenter de réveiller les appétits mortels des prédateurs… Fort heureusement, Judy Hopps, adorable petite lapine, vient de faire son entrée dans la police de Zootopia. Elle a laissé derrière elle ses parents et leur petit commerce de carottes pour faire son trou sous l’uniforme. Mais on peut être major de l’école de police et se retrouver à coller des pv de stationnement… Maligne et décidée, Judy, au nez et à la barbe de son buffle de chef, va s’attaquer à une épineuse affaire. Pour cela elle devra équipe avec Nick Wilde, renard baratineur et virtuose de l’arnaque…
Les enfants aiment la fable, les adultes les différents clins d’oeil de ce buddy movie au cinéma américain. Tous seront sans doute sensibles à ce conte utopique qui tord le cou aux idées préconçues, aux préjugés pour mettre en valeur l’importance de l’Autre.
Natif de Buenos Aires, Pablo Trapero, représentant de la Nouvelle vague argentine, s’est fait remarquer en compétition à Cannes 2008 avec Leonera, un drame sur une femme qui élève son jeune enfant en prison. Il a signé, en 2011, Carancho qui racontait les aventures d’un avocat douteux (Ricardo Darin) spécialisé dans les accidents de la circulation…
Avec El Clan (Argentine – 1h49), Trapero s’empare d’un fait-divers -l’affaire Puccio- qui a très largement défrayé le chronique en Argentine. Au début des années quatre-vingt, la famille du patriarche Arquimedes vit paisiblement dans un quartier tranquille de Buenos Aires. Le père tient une petite boutique, la mère s’occupe de ses deux jeunes filles tandis qu’Alex, le grand fils, est devenu une vedette du club de rugby El Casi de Buenos Aires comme de l’équipe nationale des Pumas. Mais les apparences sont très trompeuses: la famille est en réalité un clan qui enchaîne kidnappings et meurtres. En s’appuyant sur ses relations auprès de la dictature militaire, Arquimedes dirige et planifie les opérations tout en contraignant Alex à lui fournir des candidats au kidnapping.
Entre mélodrame et thriller, Pablo Trapero décrit une petite entreprise familiale, aussi monstrueuse que florissante, où chacun prend sa part jusqu’au moment où Alex, qui s’est amouraché d’une jolie fille, commence à avoir des « états d’âme ». Pour filmer les enlèvements, le cinéaste choisit de supprimer l’essentiel des sons pour les remplacer par des chansons connues comme In the Summertime de Mungo Jerry ou Just a Gigolo de Louis Prima. Et il peut s’appuyer aussi sur un excellent comédien, Guillermo Francella, qui campe un Arquimedes distingué mais dont les yeux clairs sont glaciaux…
Enfin, retour sur ce qui apparaît sans conteste comme le film le plus original du début d’année 2016… On parle évidemment d’Anomalisa (USA – 1h31), épatant film d’animation pour… adultes signé Duke Johnson et Charlie Kaufman. Quand il s’agit d’univers décalés, on peut faire confiance à Charlie Kaufman qui a écrit, pour Spike Jonze ou Michel Gondry, les scénarios de Dans la peau de John Malkovich, Human Nature, Adaptation ou encore Eternal Sunshine of the Spotless Mind… Ici, il embarque le spectateur dans l’existence sans joie de Michael Stone. Mari, père de famille, il est aussi l’auteur respecté d’un best-seller intitulé Comment puis-je vous aider à les aider ? C’est à ce titre que cet homme sclérosé par la banalité de sa vie, se rend en voyage d’affaires à Cincinnati pour intervenir dans un congrès de professionnels des services clients…
Cadre déprimé, Michael Stone est aussi une… marionnette, celle de sa propre vie certes mais également une marionnette filmée en stop motion qui déambule, un soir, dans les couloirs d’un bel hôtel. Avec Anomalisa, on observe d’abord, complètement séduit, le travail de mise en oeuvre de personnages de plastique et de toile dont les têtes ont conservé les coutures, ce qui leur confère une étrangeté bienvenue. Et puis, assez rapidement, on oublie la (brillante) dimension « technique » pour se plonger dans une description presque clinique d’un cas de profonde mélancolie. Dans sa chambre d’hôtel, belle mais impersonnelle, Michael Stone boit et se souvient d’un ancien amour qui vivait à Cincinnati. La rencontre, au bar de l’hôtel, sera effroyable et plongera un peu plus Stone dans le désespoir. Et puis, au hasard de ses pérégrinations, Stone va croiser Lisa, venue au congrès avec une amie. Lisa finira dans le lit de Michael qui se demande si elle pourrait être ou pas l’amour de sa vie… C’est sans compter sur un glissement vers un univers fantastique qui se dérobe sous ses pas… Et l’on s’avise alors qu’hormis Stone et Lisa, tous les personnages d’Anomalisa ont strictement la même tête… Vertigineux!