Lina dans le miroir de la France
Faire flotter un parfum de liberté à travers son oeuvre et regarder la France avec tendresse et humanité, telle est la belle ambition de Danielle Arbid pour Peur de rien ! Même si la cinéaste franco-libanaise se défend d’avoir tourné un film autobiographique, il apparaît cependant que la cinéaste, qui vit en France depuis l’âge de 17 ans, a mis beaucoup de son expérience dans le personnage de la jolie Lina…
Nous sommes dans les années 90. Lina débarque à Paris en venant de son Liban natal… Elle est hébergée chez une lointaine tante et doit subir les avances grossières de son oncle. Enervée et apeurée, Lina s’enfuit et se retrouve, un peu perdue mais heureuse de respirer le doux parfum de l’évasion, dans la grande ville. Avec l’instinct de survie pour unique bagage, Lina part à la découverte de Paris, de ses cafés, des bancs de l’université et surtout des garçons…
Née à Beyrouth en 1970, Danielle Arbid s’est fait remarquer par deux films âpres et puissants (et disponibles en dvd): Un homme perdu en 2007 et Dans les champs de bataille en 2004. Le premier, sulfureux et secret, traçait le portrait d’un photographe français, inspiré d’Antoine d’Agata et incarné par Melvil Poupaud, à la recherche d’expériences extrêmes et qui rencontre une sorte de double de lui-même… Le second évoque, dans le Beyrouth de 1983, une petite… Lina de 12 ans dont la vie secrète tourne autour de Siham, la bonne de sa tante, de six ans son aînée. La petite cautionne les amours de la grande et défend ses intérêts. Mais Lina passe inaperçue aux yeux de la bonne et d’ailleurs de sa famille…
Un homme perdu qui filme des corps qui s’aiment, sans jugement ni exotisme, et où la pulsion sexuelle prend toute sa place tout comme Dans les champs de bataille où la cruauté de la guerre contamine l’intimité d’une famille, ont valu à Danielle Arbid, qui a aussi signé des documentaires et des essais vidéo, des ennuis avec la censure au Liban. En 2011, son Beirut Hotel, tourné pour la télévision, avait, lui, été interdit de projection…
Avec Peur de rien, un titre qui décrit précisément l’état d’esprit de Lina, on a l’impression que la cinéaste s’est inscrite dans un registre globalement moins grave. Parce qu’il y a le bonheur de vivre et le désir d’avancer qui traversent constamment une Lina qui dévore le temps comme il vient. Mais le film montre aussi la violence qu’une procédure judiciaire peut représenter pour un étranger. Impression palpable lors des séquences à la préfecture de police ou au tribunal mais aussi, de manière plus intime, dans les scènes où Lina est recueillie par une amie de fac. On mesure en effet, à travers les réactions de la soeur aînée, que lorsque des problèmes surgissent, venir d’ailleurs devient immédiatement une circonstance aggravante.
Au rythme de rencontres amoureuses, Lina vogue entre les gens et les milieux pour découvrir qui elle est à travers qui ils sont. « L’environnement devient son miroir » dit Danielle Arbid qui raconte ainsi le choc que subit Lina dans sa volonté ardente de trouver sa place. Et la cinéaste filme à la fois ce premier regard sur la France et comment les gens la perçoivent…. Peur de rien est entièrement guidé par l’apprentissage sentimental et culturel de Lina. Trois hommes vont ainsi entrer dans sa vie et la marquer en profondeur, l’amenant à appréhender, avec une belle spontanéité, une classe, un univers, un désir différent… Avec Jean-Marc, jeune homme d’affaires marié et père de famille, il est d’abord question d’initiation sexuelle. Avec Julien, Lina entre dans l’univers bohême d’un musicien qui rêve d’« être étranger quelque part ». Enfin avec Rafaël, le militant, elle expérimente la conscience politique. Autant de facettes qui vont lentement la constituer en individu autonome et émancipé. Mais Danielle Arbid ne se contente pas des seules aventures amoureuses. Elle donne aussi, grâce au talent rayonnant de Dominique Blanc en prof d’histoire de l’art, une réflexion sur l’ouverture au monde qu’offre la fréquentation des artistes, des écrivains, des philosophes…
Peur de rien doit aussi beaucoup à une remarquable palette de comédiens. Paul Hamy (Jean-Marc), Damien Chapelle (Julien) et Vincent Lacoste (Rafaël) entourent parfaitement cette révélation qu’est la jeune Libanaise Manal Issa. Regard noir et détermination totale, elle fait de Lina tour à tour une quasi-gamine et une femme sensuelle et charnelle.
Film sur la jeunesse et la découverte de soi, film sur le désir de liberté, film sur l’immigration mais tourné vers l’avenir, Peur de rien, porté par une forte espérance, raconte comment Lina est tombée amoureuse d’un nouveau monde: la France. Et c’est enthousiasmant!
PEUR DE RIEN Comédie dramatique (France – 1h59) de Danielle Arbid avec Manal Issa, Vincent Lacoste, Paul Hamy, Damien Chapelle, Dominique Blanc, Clara Ponsot, India Hair, Bastien Bouillon, Alain Libolt, Waleed Zuaiter, Mathilde Bisson. Dans les salles le 10 février.