L’homme qui ne voulait pas être chocolat
« Je ne cherche pas un nègre mais un clown… » Tout est dit. Certes, Rafael Padilla, alias Chocolat, est noir mais c’est d’abord un artiste. Et c’est son aventure que raconte Roschdy Zem dans un film qui joue évidemment la carte de la diversité tout en étant une jolie réflexion sur le spectacle et plus spécialement sur l’art de faire rire. Tout commence, ici, dans le nord de la France, en 1897. Vite, le décor est planté. C’est celui d’un cirque modeste avec Delvaux son directeur teigneux, sa directrice rapia, sa jolie écuyère, son colosse aux haltères, sa plus grosse femme du monde et Kananga, le cannibale accompagné de Pacha, son chimpanzé. Le ressort comique de Kananga est de faire peur aux enfants. Qui n’ont jamais vu de Noir… « C’est sa vraie peau? » demande un gamin à sa maman qui lui répond: « Mais non, c’est un maquillage! ». Bien plus tard, un autre enfant viendra encore passer son doigt sur le visage de notre homme. Pour vérifier…
Même s’il a l’air terriblement sinistre, George Footit, lui, a eu son heure de gloire comme clown… Mais, aujourd’hui, il auditionne au cirque Delvaux et donne tout ce qu’il peut tout en se demandant s’il est fini… Heureusement, Footit a un oeil d’artiste et il remarque le potentiel de Kananga dont on ne saura que bien tardivement que son vrai nom est Rafael Padilla et qu’il fut enfant d’esclave à Cuba. « Ca te fait plaît de faire le cannibale? » demande Footit. « Je mange à ma faim », rétorque celui-ci…
Avec Chocolat, Roschdy Zem qui signe là son quatrième long-métrage après Mauvaise foi (2006), Omar m’a tuer (2011) et Bodybuilder (2014) , a le mérite de raconter une histoire humaine inconnue du grand public. Car le Britannique George Footit (1864-1921) tout comme Chocolat (1865?-1917) ont bien existé… Dans la France de la Belle Epoque, les deux ont mené une carrière solo avant de se rencontrer et de devenir les princes de la comédie clownesque en formant le premier duo entre un clown blanc autoritaire et un Auguste noir et souffre-douleur…
Partant de la rencontre de Chocolat et Footit au cirque Delvaux où Oller, le célèbre patron (Olivier Gourmet) du Nouveau Cirque à Paris viendra les embaucher, Roschdy Zem a construit une belle aventure qui met aux prises un artiste très exigeant et un autre, plus « fainéant », c’est le mot de Footit, mais qui sait à la perfection capter les rires du public. Longtemps, Chocolat ne s’apercevra pas -ou fera mine de ne pas s’apercevoir- que les coups de pied au cul portés par le clown blanc mais aussi les ahurissements de l’Auguste cristallisent le racisme des parterres… Il faudra que Chocolat, qui est un sans-papier avant l’heure, passe par la prison, éprouve la haine ordinaire et y croise un intellectuel haïtien, embastillé pour propos subversifs, pour connaître une prise de conscience politique…
Fort heureusement, le cinéaste ne fait pas de Chocolat un saint de la piste. Son personnage est plein de contradictions et de zones d’ombres. Il fera ainsi connaissance de Marie, la femme de sa vie (Clotilde Hesme) en allant jouer à l’hôpital pour des enfants malades mais il se perdra aussi dans des tripots où il boit, flambe sans compter, consomme des femmes faciles et découvre le laudanum puis l’opium…
Et puis Chocolat invite aussi à passer dans les coulisses du spectacle circassien avec ses exigences, ses remises en question, ses rivalités entre artistes mais aussi ses répétitions qui permettent au cinéaste des réflexions comme « Le bon public, c’est celui qui applaudit à la fin » ou « Etre soi-même, il n’y a pas plus ambitieux ».
Enfin, Chocolat peut se reposer sur deux beaux comédiens. Depuis Intouchables, Omar Sy est une vraie star populaire et sa présence dans Chocolat est indéniablement un atout commercial pour le film. Mais Omar Sy s’empare, avec un manifeste plaisir, d’un riche personnage. Du cascadeur hirsute, il le fait passer au gandin qui roule carrosse, porte bagues et coiffure à vagues avant de révéler un homme blessé par le racisme (il sera toujours le nègre) et un comédien qui veut s’élever dans son art. Il réussira à monter sur la scène du théâtre pour être le premier acteur noir à incarner le douloureux Maure de Venise dans l’Othello de Shakespeare.
Au côté d’Omar Sy mais un peu en retrait comme le clown blanc derrière les facéties de l’Auguste, il y a l’étonnant James Thierrée. Homme de la scène (on avait vu, en tournée en 2011, son fabuleux Raoul où son jeu corporel faisait merveille) et rare sur grand écran, Thierrée propose de Footit un image ténébreuse, parfois inquiétante. L’homme est taiseux, le clown est brillant. Thierrée qui a apporté beaucoup, semble-t-il, à la qualité des numéros que l’on voit à l’image, donne véritablement de l’épaisseur à Footit. Il fit émerger Chocolat avant de mal vivre son ascension, ses frasques aussi, au point de le rudoyer et de voir leur amitié (Footit éprouvait-il, comme le suggère le film, une attirance homosexuelle pour son partenaire?) lentement se ruiner. Et puis, James Thierrée a, par instants, une extraordinaire ressemblance avec son grand-père, l’immense Charlie Chaplin.
Chocolat et Footit étaient des stars de leur temps. Dans un amusant caméo, les frères Podalydès jouent les frères Lumière réalisant un film sur le duo clownesque. Quant à Jean Cocteau, il salua la beauté du cirque avec « Footit qui était comme une duchesse folle et Chocolat, le nègre qui recevait des claques ».
On peut aller , pour le plaisir du spectacle, à la rencontre de ce Chocolat qui donna naissance à l’expression: « Je suis chocolat »…
CHOCOLAT Comédie dramatique (France – 1h50) de Roschdy Zem avec Omar Sy, James Thierrée, Clotilde Hesme, Olivier Gourmet, Frédéric Pierrot, Noémie Lvovsky, Alice de Lencquesaing, Alex Descas, Dominique Rabourdin, Denis Podalydès, Bruno Podalydès. Dans les salles le 3 février.