Spotlight contre les prêtres prédateurs
Combien de reporters, combien de journalistes, combien de photographes de presse, combien de chroniqueurs ont traversé les films depuis l’invention du cinéma? Des centaines, des milliers sûrement. Parfois, ils sont héroïques, parfois pourris. Enquêteurs acharnés dans l’affaire du Watergate comme les emblématiques Bob Woodward et Carl Bernstein des Hommes du président (1976), magnifique chant à la liberté et à l’indépendance de la presse. Crapule cynique comme Charles Tatum, incarné par Kirk Douglas dans Le gouffre aux chimères (1951) de Billy Wilder, qui va tenter de faire durer le plus longtemps possible un banal fait-divers parce que, dit-il, « Bad News sells Best » (les mauvaises nouvelles, c’est ce qui vend le mieux)…
Spotlight appartient de plein droit à ces films qui écrivent l’aventure de la presse au cinéma. Le film de Tom McCarthy s’empare en effet d’un affaire qui a fait grand bruit aux Etats-Unis avant de connaître des ramifications à travers la planète. Le générique de fin de Spotlight liste d’ailleurs 105 villes américaines et 102 diocèses à travers le monde (on y relève deux cas français à Caen et Saint-Jean-de-Maurienne) où des viols ont été commis par des prêtres catholiques.
Tiré donc d’une histoire vraie, Spotlight décrit comment, en 2002, le Boston Globe a révélé la complicité de l’Eglise catholique dans plusieurs cas retentissants de pédophilie. A l’été 2001, le Boston Globe vit des heures difficiles même si le journal se flatte d’avoir une excellente assise locale. Mais le lectorat est néanmoins en baisse, le virage vers le numérique menace la publicité et les petites annonces et les journalistes apprennent, sans plaisir, qu’un nouveau venu va prendre les rênes de la rédaction. En provenance de Floride, Marty Baron pose d’emblée la question: « Comment rendre le journal indispensable à ses lecteurs? » « Mais il l’est! » rétorquent les chefs de service. « Alors, il faut faire encore mieux! » conclut Baron.
Dès sa première réunion de rédaction, Marty Baron met d’ailleurs les pieds dans la plat. Quelle suite a-t-on donné à un éditorial maison qui évoquait un cas de pédophilie? Apparemment aucune. Baron missionne les reporters de Spotlight, la cellule investigation du journal, pour enquêter sur ce père Geoghan qui aurait violé des dizaines de jeunes paroissiens en l’espace de trente ans. Dans les bureaux de Spotlight, situés un peu à l’écart de la rédaction et où l’on mène un travail au long cours, on va donc mettre de côté une enquête sur la criminalité à Boston pour s’atteler à cette nouvelle tâche…
Autour de Walter « Robby » Robinson, leur chef, Michael Rezendes, Sacha Pfeiffer et Matt Carroll vont commencer à tirer sur un fil qui débouchera sur une énorme affaire. Mais s’en prendre à l’Eglise dans un fief catholique comme Boston n’est pas une mince affaire… D’autant que Marty Baron souhaite que l’équipe Spotlight s’intéresse moins au cas du prêtre qu’au système lui-même. « On attaque l’Eglise? » interrogent Robby Robinson et ses journalistes qui n’ignorent pas que 53% des lecteurs du Globe sont catholiques.
Spotlight s’ouvre sur une séquence qui se déroule, en 1976, dans un commissariat de Boston. Dans un bureau, on prend la déposition d’un enfant, accompagné de sa mère en pleurs. Dans un bureau voisin, attend un écclésiastique qui va, rapidement, être « exfiltré » par les siens avant de filer dans une grosse limousine noire… Dans les séquences contemporaines qui suivent, on se perd un peu entre le rôle des avocats, la part de la hiérarchie de l’Eglise, la place de l’enquête policière et judiciaire. Mais le spectateur finit quand même par s’attacher à cette aventure sans doute parce que Tom McCarthy réussit à lui imprimer le bon rythme. Ainsi, on prend le pas des journalistes tentant, l’un, d’accéder à des scellés qu’on lui refuse, l’autre faisant du porte-à-porte pour recueillir des déclarations de victimes, le troisième épluchant les registres officiels des paroisses et s’étonnant de voir figurer des mentions comme « congés maladie », « sans affectation » ou « centre de soins » derrière les noms de prêtres suspectés de viol…
Sans oublier les témoignages pathétiques des victimes (Phil Saviano affirmant « Ca coûte de dire non à Dieu! ») mais aussi quelques notes d’humour. Ainsi Robby Robinson raconte qu’un haut prélat avait menacé par le passé le Globe du « pouvoir de Dieu ». « Et alors? », demande Marty Baron. « Alors, réplique le journaliste, le rédacteur en chef s’est cassé la jambe au ski! »
Dans une facture (ah, les vastes espaces des rédactions « à l’américaine »!) qui rappelle indiscutablement Les hommes du président, cette enquête avance souvent difficilement mais implacablement jusqu’à cette acmé journalistico-cinématographique qu’est le plan sur les rotatives qui roulent et que personne n’arrêtera plus. On songe alors à la fin d’un autre film magnifique sur la presse qu’est le Bas les masques (1952) de Richard Brooks porté par un grand Humphrey Bogart.
Ici, tous les comédiens sont bons… Mark Ruffalo (Michael Rezendes), Rachel McAdams (Sacha Pfeiffer) et Brian D’Arcy James (Matt Carroll) composent la pugnace équipe de Spotlight. Liev Schreiber est le ténébreux Marty Baron et Michael Keaton incarne Robby Robinson, le journaliste né à Boston et introduit dans tous les milieux de la ville. C’est à lui qu’incombe de mettre en mouvement ses amis informateurs. Qui traînent longtemps les pieds, se demandent à quoi joue Robby ou objecte, fielleusement, que Marty Baron est juif et qu’il n’est que de passage à Boston…
Au terme de son enquête en janvier 2002, l’équipe Spotlight a révélé, malgré la résistance acharnée des plus hautes autorités religieuses, que 87 prêtres de Boston étaient coupables d’abus sexuels sur, le plus souvent, des mineurs fragiles et aussi que l’Eglise avait mis en place un vaste système de protection des prêtres prédateurs.
SPOTLIGHT Drame (USA – 2h08) de Tom McCarthy avec Mark Ruffalo, Michael Keaton, Rachel McAdams, Liev Schreiber, John Slattery, Brian D’Arcy James, Stanley Tucci, James Sheridan, Billy Cudrup. Dans les salles le 27 janvier.