L’humanitaire et les petits orphelins d’Afrique
En octobre 2007 lorsque une demi-douzaine de ses membres sont arrêtés par les forces de police au Tchad, l’association l’Arche de Zoé fait la une de l’actualité… C’est aujourd’hui sur le grand écran que l’on retrouve les éléments de cette affaire… Passionné, dit-il, par le thème de l’enfer pavé de bonnes intentions, le cinéaste belge Joachim Lafosse s’engage, avec Les chevaliers blancs, sur le terrain du cinéma d’aventures.
Président de l’ONG Move for kids, Jacques Arnault a convaincu des familles françaises en mal d’adoption de financer une opération d’exfiltration d’orphelins d’un pays d’Afrique dévasté par la guerre. Entouré d’une équipe de bénévoles dévoués à sa cause, il a un mois pour trouver 300 enfants en bas âge et les ramener en France. Mais pour réussir, il doit persuader ses interlocuteurs africains et les chefs de village qu’il va installer un orphelinat et assurer un avenir sur place à ces jeunes victimes de guerre, dissimulant le but ultime de son expédition…
Dans des véhicules portant des fanions Move for kids, les bénévoles autour de Jacques Arnault foncent à travers une ville sous la protection de forces militaires. Après avoir essuyé des tirs d’armes automatiques, ils arrivent dans un camp et s’y installent, montant des tentes pour recevoir les enfants, recrutant ensuite des cuisinières, des nounous, Bintou chargée de faire l’interprète…. Tandis que l’équipe prend ses marques, Jacques Arnault, en s’appuyant sur les services de Xavier, propriétaire de deux petits avions qui doivent permettre de se rendre sur le terrain, va rencontrer les chefs de village pour trouver, auprès d’eux, des orphelins à recueillir…
A une première veillée qui ressemble à un feu de camp entre amis en vacances, les bénévoles chantent en choeur Ce n’est rien de Julien Clerc et cette chanson prend évidemment une résonance très étrange en regard de ce qui se trame.
Avec Les chevaliers blancs, Joachim Lafosse va, petit à petit, se défaire du récit -Arnault et les bénévoles ont d’évidentes difficultés pour se « procurer » des enfants- pour s’interroger sur la question complexe du droit d’ingérence (et de sa justesse) et bien entendu de la limite entre le bien et le mal à travers les personnages de Jacques Arnault et de ses proches collaborateurs qu’une caméra très mobile suit au plus près…
Lafosse le dit, la fidélité au réel n’a pas été sa priorité. Il a souhaité se ranger du côté des Africains qui ignorent tout des intentions réelles des humanitaires français. Arnault leur dit que les orphelins vont être pris en charge dans un dispensaire jusqu’à l’âge de 15 ans, qu’ils y seront nourris, logés, instruits… et ils y croient. Face à ces hommes et à des femmes dont certaines sont prêtes à déposer leurs propres enfants dans l’intention louable de les mettre à l’abri et de les sauver de la misère, le personnage de Jacques Arnault est évidemment passionnant…
Dans le film, Jacques Arnault est un simple pompier qui a réussi à réunir 600 000 euros et à convaincre une équipe de bénévoles à partir avec lui en Afrique. Le cinéaste présente un homme qui va lentement être emporté, mais sans le montrer, dans un formidable vertige, décidant de ce qui est légal et de ce qui ne l’est pas au mépris de la simple réalité. Persuadé qu’il est du côté du bien, Arnault s’enfonce dans les mensonges. En décidant de sauver des enfants, il les enlève…
Dans un film qui maintient une véritable tension, Lafosse montre aussi comment l’équipe de bénévoles, quitte à assumer une « lachêté », va se déliter, comment également le personnage de la journaliste, incarnée par Valérie Donzelli, va passer du statut de témoin impartial à celui de femme et de mère submergée par ses émotions…
Entouré de bons comédiens, Vincent Lindon, dans le rôle de Jacques Arnault, porte véritablement ce film (tourné au Maroc) et qui observe le cas, relativement extrême quand même, de l’Occidental généreux mais qui va jusqu’à abuser de sa « bonne foi » pour sauver le monde. Son monde, objecte le cinéaste.
Vincent Lindon apporte du charisme à un humanitaire qui a dérapé dans une action moralement inacceptable et qui finit par ne plus exister que dans la croyance de lui-même. Il y a une scène magnifique dans Les chevaliers blancs. Alors qu’il vient encore de distribuer de l’argent à des chefs de village en leur disant bien que c’est pour « services rendus » et non pour acheter des enfants, Arnault se retrouve au téléphone avec des parents adoptants en France. Et il est submergé par l’émotion à l’idée du bien qu’il est en train de faire…
LES CHEVALIERS BLANCS Drame (Belgique – 1h52) de Joachim Lafosse avec Vincent Lindon, Louise Bourgoin, Valérie Donzelli, Reda Kateb, Bintou Rimtobaye, Jean-Henri Compère, Philippe Rebbot, Luc van Grunderbeeck, Tatiana Rojo, Yannick Renier. Dans les salles le 20 janvier.