Carol et Thérèse, deux femmes qui s’aiment
« C’est calme pour un vendredi! » C’est ce que demande un client au barman d’un bel hôtel de New York qui lui répond qu’il est encore tôt… Le client, un jeune type à chapeau, laisse son regard glisser à travers les tables et aperçoit Thérèse, une jeune femme attablée avec une autre femme, distinguée et plus âgée qu’elle… Quelques mots échangés, des présentations « Voici Carol Aird! » et le type qui explique qu’il attend des amis pour aller à une fête où il propose à Thérèse de venir… Et si Carol venait aussi? Elle décline, incite Thérèse à y aller et s’éloigne non sans avoir posé la main sur son épaule… Partant guetter ses amis, le jeune type met aussi sa main sur l’épaule de Thérèse. Pourtant quasiment identique, ce geste banal, filmé de la même manière, acquiert, avec Carol, une tension dramatique intense, déjà révélatrice… Plus tard, dans la nuit, tandis que la pluie tombe, la caméra filme, à travers la vitre mouillée d’une voiture, le visage songeur et triste de Thérèse… Commence alors, un vaste flash-back qui va nous conter l’histoire, tragique, tendre, sensuelle, belle et irrésistible de Thérèse et de Carol…
Nous sommes dans les années cinquante dans une Amérique où la société se devait, comme le souligne le cinéaste,« de suivre un modèle unique ». Or Carol étouffe dans un mariage source de frustrations. Plus rien ne se passe avec Harge, son riche mari. Et Carol est inquiète pour l’avenir d’autant que Rindy, sa petite fille, pourrait devenir l’enjeu d’un divorce violent…
Or, en allant faire ses emplettes de Noël dans un grand magasin de Manhattan, Carol Aird va croiser le regard clair d’une jeune employée coiffée d’un bonnet rouge de père Noël. Carol observe un train électrique. Thérèse lui fait l’article. Carol: « Faire des achats m’angoisse… » Thérèse: « Travailler ici m’angoisse… » Entre les deux femmes, quelque chose se passe, de l’ordre de la muette séduction. Thérèse, enfreignant les règles commerciales, ose un « Votre parfum, il sent bon! ». Et Carol, en partant, oubliera ses gants de cuir sur le comptoir.
Grâce à Carol, on retrouve avec plaisir ce réalisateur relativement rare (six films en près de 25 ans) qu’est l’Américain Todd Haynes. Rare mais fêté puisque le cinéaste a été récompensé à de nombreuses reprises pour la mise en scène et l’écriture de ses films. Loin du paradis (2002) a été nommé aux Oscars et primé à Venise. I’m Not There (2007) inspiré de la vie et de l’oeuvre de Bob Dylan a valu un Golden Globe à Cate Blanchett qui interprétait l’une des sept personnalités de Dylan. Velvet Goldmine (1998) a obtenu le prix de la meilleure contribution artistique au Festival de Cannes. Et la même Croisette a attribué, l’an dernier, son prix d’interprétation féminine à Rooney Mara, ex-aequo avec Emmanuelle Bercot pour le surfait Mon roi…
Adapté du second roman de Patricia Highsmith écrit en 1952, Carol est une magnifique promenade avec deux femmes qui se sont toutes deux construites selon la norme et qui se laissent cependant envahir par un surprenant trouble émotionnel et emporter dans un irrépréssible tourbillon amoureux.
Avec cette histoire d’amour inattendue entre deux femmes d’âges et de milieux différents, Todd Haynes peaufine un film magnifique dont chaque plan (on songe parfois à Edward Hopper pour des scènes de dinner), dont chaque séquence est travaillée avec un soin subtil, jouant sur des flous ou des effets de surimpression. Le cinéaste reconstitue brillamment une époque (les rues de New York, les voitures, les costumes évidemment) mais il construit aussi des images qui, à travers une fenêtre, une embrasure de porte, une glace de voiture, un miroir, enferment Carol et Thérèse comme elles le sont dans une relation taboue. Poussées par le bonheur d’être ensemble, de partager un week-end dans la maison de Carol, d’écouter le jazzy et mélancolique Easing living par Teddy Wilson et Billie Holiday, les deux femmes vont finalement prendre la route. De motel en motel, elles savourent des moments qu’elles savent rares avant de succomber à la loi du désir… A son mari qui lui reproche d’être envoûtée, Carol dira: « Je n’ai jamais été aussi lucide… »
Mais pour Carol et Thérèse, piégées à Waterloo Ohio, la route s’arrêtera quand même… Thérèse se désole de tout prendre sans savoir ce qu’elle veut et Carol lui répondra: « J’ai pris tout ce que tu m’as donné de ton plein gré ». Carol tentera de faire semblant de pouvoir vivre dans la famille bourgeoise et étriquée de son mari. Thérèse développera son talent pour la photographie et travaillera au New York Times.
Avec son faux air d’Audrey Hepburn, Rooney Mara (la Lisbeth Salender du Millenium de David Fincher) est une Thérèse timide et solitaire. Elle n’a pas vraiment envie d’entrer dans la voie conjugale avec un Richard un peu balourd qui lui est pourtant tout dévoué. La rencontre avec Carol lui révèle sa vraie nature et elle choisit, malgré les conventions de l’époque, de l’assumer. Face à cette « drôle de fille tombée du ciel », Cate Blanchett, une nouvelle fois magnifique de sensualité retenue, est une Carol tour à tour lumineuse et désespérée, mûre et vulnérable. Carol a déjà vécu, par le passé, une aventure amoureuse et contrariée avec Abby restée sa confidente. Mais, avec Thérèse, elle fait le choix de l’audace, d’un lâcher prise qui peut lui coûter cher.
Filmé comme un fresque intime digne du Hollywood de l’âge d’or, Carol est un grand film d’amour! Un amour lesbien qui s’éclaire, tout à la fin, de deux sourires sublimes…
CAROL Drame (USA – 1h58) de Todd Haynes avec Cate Blanchett, Rooney Mara, Sarah Paulson, Kyle Chandler, Carrie Brownstein, Jack Lacy, Corey Michael Smith, John Magaro, Kevin Crowley. Dans les salles le 13 janvier.
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