La froide mécanique du sexe adolescent
« Dans le premier amour, on prend l’âme bien avant le corps ». C’est ce que prétend le père Hugo, en 1862 dans Les Misérables. Mais il craint, papy Victor! Pour Alex, George, Laetitia, Nikita et les autres, c’est d’abord le corps qui compte. Enfin, quand on dit compte, il faut s’entendre. Parce que justement, tout ce que font les grands adolescents de Bang Gang ne semblent, justement, pas compter beaucoup.
En exergue de son premier long-métrage, la réalisatrice Eva Husson a placé une citation du psychiatre suisse Carl Gustav Jung: « Le clarté ne naît pas de ce qu’on imagine le clair mais de ce qu’on prend conscience de l’obscur ». Histoire sans doute de nous faire réfléchir sur la dualité entre le clair et l’obscur, peut-être même entre le bien et le mal. Enfin, on n’en est pas vraiment certain non plus.
Dans une petite ville côtière sur l’Atlantique (on reconnaît Biarritz), de jeunes gens s’ennuient entre les cours au lycée et des familles de la classe moyenne où les pères comme les mères sont souvent seuls. George, diaphane nymphette blonde qui se promène la nuit sur son skate, tombe amoureuse du bel Alex. Ils ne tardent pas à coucher ensemble mais Alex ne répond plus aux textos de George. Laetitia, l’amie de George, n’est pas insensible non plus au charme d’Alex… Quant à Gabriel, gueule d’ange frisée, il observe les filles tout en préférant se consacrer à l’écriture de musique électronique tout en s’éclatant dans la danse Beat Style. Pour tenter d’attirer encore l’attention d’Alex, George va proposer un jeu collectif. « Genre vérité/action, dit-elle mais avec surtout de l’action ». Un jeu qui ne convient pas aux bolos… Et c’est ainsi que ces adolescents et leurs amis vont se retrouver (dans la grande villa d’Alex, justement délaissée par une mère archéologue partie au Maroc) dans des gang-bangs, fêtes charnelles où l’on copule allègrement mais plus ou moins joyeusement sur fond d’alcool, de shit ou d’ecstasy…
Les qualifiant de « fait-divers de la jeunesse », Eva Husson s’est inspirée d’histoires vraies de débordements collectifs qui ont eu pour cadre les Etats-Unis mais aussi la France, l’Allemagne ou la Belgique pour dresser une sorte d’état des lieux de l’adolescence confrontée au sexe. Sans donner d’indication de temps (on évoque un été caniculaire et des morts massives de personnes âgées, un été marqué aussi par une série de catastrophes ferroviaires mais les protagonistes de Bang Gang fréquentent cependant le lycée), la cinéaste part dans les traces de George confrontée au rapide désintérêt d’Alex, à la rupture avec son amie Laetitia et à la découverte du tendre Gabriel. Tandis que le directeur de la photo danois Mattias Troelstrup peaufine des plans esthétisants de nuages dans le ciel atlantique, Eva Husson filme deux ou trois partouzes. Les gros plans, en scope, sur les baisers, les caresses, la peau abondent mais là ou un Larry Clark (Kids, Ken Park ou le récent The Smell of Us) quêtait, sur fond de scènes explicites, une sexualité no future aussi brutale que désincarnée et désespérante, Bang Gang ressemble à du… David Hamilton avec de jolis petits culs nimbés de douce lumière! Le problème, c’est que tout cela manque terriblement de sensualité, ne parlons pas d’érotisme. Alors même que George célèbre l’énergie qui la traverse quand elle est avec les garçons ou encore se saoûle (mais elle est alors sous l’emprise de drogues) de chaleur et de bonheur…
Cette Histoire d’amour moderne prend une tournure documentaire avec la part énorme qu’occupent, chez ces adolescents terriblement solitaires, tablettes, ordinateurs portables, smartphones, le tout dans une circulation permanente d’images sur les réseaux sociaux (une sex-tape de George se retrouve sur You Tube) et de relation complètement banalisée à la pornographie. Au générique de fin, la cinéaste remercie les féministes pour leur action au long cours et salue « les hommes qui aiment les femmes fortes », cela sans doute parce que son ambition, ici, est de nous proposer une autre représentation de la femme au cinéma, notamment à travers une héroïne en pleine puissance sexuelle qui agit sans connaître de sanction.
Bang Gang (qui profite d’un travail soigné sur le son et qui fait découvrir de nouveaux visages de comédiens) nous laisse sur notre faim. Même si les blessures ont été réelles, les adolescents auront tourné la page et se seront sortis plutôt bien de l’aventure. On se dit que le mystère des corps, les délices sensuels et la baudelairienne volupté suprême ne sont pas (encore?) leur affaire. In fine, Eva Husson a beau nous faire entendre Amoureuse, la chanson de Véronique Sanson: « Une nuit je m’endors avec lui /Mais je sais qu’on nous l’interdit / Et je sens la fièvre qui me mord / Sans que j’aie l’ombre d’un remords », rien n’y fait.
BANG GANG (UNE HISTOIRE D’AMOUR MODERNE) Comédie dramatique (France – 1h38) d’Eva Husson avec Finnegan Oldfield, Marilyn Lima, Daisy Broom, Lorenzo Lefebvre, Fred Hottier. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 13 janvier.