Vital et Alix dans la mêlée amoureuse
C’est au coeur d’une mêlée de rugby que s’ouvre La fille du patron. C’est dans la tribune d’un stade déserté par les supporters du RC Tricot que s’achève le premier long-métrage d’Olivier Loustau. Autant dire que le cinéaste a mis la métaphore sportive au coeur de cette histoire qui s’inscrit également dans la lignée des oeuvres de fiction qui, dans le cinéma français, de Ressource humaines (2000) à La loi du marché (2015) en passant par La très très grande entreprise (2008) ou Discount (2014), traitent de l’entreprise et de la condition ouvrière…
La quarantaine avantageuse, Vital travaille comme chef d’atelier dans une petite usine textile de Roanne. Un jour, Baretti, le patron, réunit les salariés pour leur annoncer que la société va recevoir Alix, une jeune femme venue y réaliser une étude ergonomique. Accueillie par quelques sarcasmes (« L’ergonomie? Ca fait mal? »), Alix va cependant, grâce à son charme mais aussi à ses compétences, convaincre les ouvriers de l’utilité d’une étude du corps au travail. Il en va de l’amélioration des conditions de travail et aussi du bénéfice de l’entreprise puisqu’« un salarié heureux est un salarié productif ». Vital est choisi comme « cobaye » pour l’étude. Il se prête un peu de mauvaise grâce à l’étude mais n’est pas insensible au sourire d’Alix. Pour ses copains, Vital joue un drôle de jeu et les choses se gâtent lorsqu’ils découvrent qu’Alix est la fille de Baretti. « Je vous l’avais dit, grogne l’un, c’est l’oeil du grand capital! » Mais, pour Vital, il est trop tard: il est mordu de la jolie Alix.
Pour son premier long-métrage, Olivier Loustau (qui a été, en tant qu’acteur, dans quasiment tous les films d’Abdellatif Kechiche) a choisi, en mémoire de son père ouvrier, de situer son propos au coeur d’une usine et de faire de cet univers industriel en péril, le cadre d’une chronique sociale. Pour le cinéaste, il s’agissait de représenter les classes populaires de manière vivante, sans pathos, ni misérabilisme, de montrer des héros ordinaires avec leurs forces et leurs faiblesses. Une histoire de copains ouvriers, de leurs femmes, de leurs enfants soudain « percutée » par une histoire d’amour inattendue…
Le cinéaste a la bonne idée d’intégrer à cette histoire la dimension sportive représentée par l’équipe de rugby de l’entreprise Baretti. C’est en effet une seconde famille qui est secouée par les amours d’un Vital qui est aussi l’entraîneur du RC Tricot. Lorsque Vital rentre chez lui après sa première nuit d’amour à l’hôtel avec Alix, Mado, sa femme, lui signifie que c’est fini entre eux. Vital n’a d’autre issue que d’aller squatter le local étroit et sans fenêtre où le club range ses ballons…
La fille du patron réussit à mener de front trois histoires. Celle de l’entreprise textile confrontée aux cadences impossibles à tenir et à la concurrence turque ou chinoise. Celle de l’équipe de rugby qui va jouer la demi-finale du championnat de France des entreprises et enfin celle de Vital qui, au-delà de l’attraction, du trouble, de la curiosité même qu’il éprouve pour Alix, envisage soudain la possibilité d’une autre vie… On s’y intéresse parce qu’il émane du film une vitalité sympathique sur laquelle flottent d’allègres notes d’accordéon signées Fixi. Vital et ses copains rugbymen conjuguent ensemble les valeurs de l’Ovalie faites de solidarité, d’amitié, de combat. Et ils tentent aussi, malgré les galères, de les appliquer à l’entreprise… Enfin, ce sont tous de sacrés fêtards qui apprécient les dimanches avec merguez, bière et grosses vannes ou les troisièmes mi-temps plutôt sauvages.
Olivier Loustau incarne, avec énergie, ce Vital auquel Alix ouvre les portes sur le monde, sur un ailleurs qu’il a envie de goûter. Même si -il le mesure lors d’une fête avec des amis d’Alix- ce n’est pas gagné d’avance. La lumineuse Christa Théret (vue dans Renoir ou dans le récent Marguerite) est une Alix qui prend aussi son envol, cette fois en se libérant d’un père et patron paternaliste. Ils sont entourés d’un groupe de comédiens, professionnels ou pas, très toniques…
La fille du patron s’achève sur la finale de rugby placée sous le patronage de Sébastien Chabal lui-même. Amers, les ouvriers ont appris que Baretti a trouvé un repreneur pour l’entreprise mais, leur propre maillot sur les épaules, ils décident de continuer à faire corps. Ils jouent pour leur honneur, pour peut-être gagner sur le terrain alors qu’ils vont sans doute perdre leur emploi. Le film prend alors le tour d’une fable qui nous dirait que, peut-être avec Vital, la classe ouvrière ira au paradis.
LA FILLE DU PATRON Comédie dramatique (France – 1h38) de et avec Olivier Loustau et Christa Théret,Florence Thomassin, Patrick Descamps, Stéphane Rideau, Lola Duenas, Pierre Berriau, Vincent Martinez, Deborah Grall, Ludovic Berthillot, Meriem Serbah, Moussa Maaskri. Dans les salles le 6 janvier.