Fragments d’une femme idéale
Sentencieux, plein de son sujet, un membre d’un bureau d’études le constate: « Il y a une modernité des petits seins… » Dans cette entreprise qui fabrique des poupées, genre Barbie, on planche, à s’en arracher les cheveux, sur ce qu’est la réalité d’une femme d’aujourd’hui. Jusque dans la rééducation du périné… Mais business is business. Et la nouvelle poupée devra absolument plaire aux fillettes de ce temps. « Aujourd’hui, dit Katia Lewkowicz, c’est la femme de treize ans qui décide. Je suis assez sidérée par ces jeunes filles qui veulent très vite devenir femmes et restent prisonnières des plus gros clichés… » Le film interroge alors cruellement ces petites prescriptrices qui, en filmant sans arrêt tout ce qui bouge, en se mettant en scène sur leur blog, provoquent un vrai sentiment de malaise tant, dans une naïveté mêlée de roublardise, elles s’exposent…
Laura Smet. DR
Avec Tiens-toi droite, second long-métrage de Katia Lewkowicz après Pourquoi tu pleures? (2011), ceux qui s’attendent à se glisser dans une gentille petite comédie vont être très déçus. Ce film est le récit de trois combats qui vont finir par se rejoindre dans une aventure commune. Voici Lili, une ravissante Miss Nouvelle-Calédonie, Sam, une mère de famille nombreuse et Louise qui choisit de quitter le pressing familial pour entrer dans une entreprise de fabrication de poupées. La cinéaste embarque le spectateur sur les traces de ces trois personnages, mêlant allègrement les itinéraires. Ainsi, on découvre par fragments, en sautant de l’une à l’autre, des éléments de la vie de ces trois femmes. Comment Lili, à cause d’une puberté précoce, a été envoyée dans les îles, comment cette miss rêve de travailler à la mine comme son père. Comment Sam avec ses mains de coiffeuse a rencontré Damien et comment les envies pressantes de Damien ont valu à Sam une succession de filles. Comment Louise a pu, avec ses soeurs, récupérer un pressing dans le cadre de « rapports consentis entre adultes consentants » et comment elle va s’y prendre pour acquérir, quitte à « manipuler » son amant directeur de l’entreprise, de hautes responsabilités dans la fabrication d’une poupée…
Marina Foïs (au centre) avec l’équipe du pressing. DR
Katia Lewkowicz qui n’a pas, dit-elle, le goût de la narration classique et du récit psychologique, imprime à son film un rythme qui relève de la palpitation ou de l’emballement. Avec des personnages qui sont constamment en mouvement et qui plus est, évoluent souvent en groupes, il s’agit, ici, pour la cinéaste, de distiller des émotions, de saisir des sensations, d’observer des malaises. Comme l’histoire s’organise en différents niveaux de lecture, on peut parfois en perdre le fil. Mais Katia Lewkowicz prend ce risque du chaos, du moment que le spectateur puisse se rattacher, selon les cas, à Sam, Louise ou Lili…
Noémie Lvovsky et Michael Abiteboul. DR
Injonction lancée sans doute à bien des fillettes à travers le temps, le film de Katia Lewkowicz est un constat, celui que la pression au quotidien sur les femmes, l’accumulation des vieux schémas, des vieilles valeurs, des tensions aussi génèrent un étouffement. Et c’est cette suffocation que Tiens-toi droite veut saisir. Pour atteindre son objectif, la cinéaste peut compter sur trois comédiennes qui se donnent pleinement dans une énergie impressionnante. On connaît la talent de Noémie Lvovsky comme celui de Marina Foïs. On est aussi agréablement surpris de retrouver dans cette aventure une Laura Smet qui avait disparu des écrans radar depuis bien quatre ans. 2014 est d’ailleurs l’année du retour avec, notamment, Yves Saint Laurent ou les oubliables 96 heures et Eden. Dans Tiens-toi droite, Katia Lewkowicz lui a écrit, avec un humour bienvenu, une Lili très solaire, femme-objet qui décide de s’offrir sa liberté quitte à se retrouver engoncée dans la carapace de plâtre qui fera de sa plastique la nouvelle poupée de demain…
La cinéaste confie: « Trois monstres se battent en moi… » Ce sont ceux de la Maternité, du Travail et de la Féminité. Alors, dans un film (qui n’est pas « contre » les hommes mais où ceux-ci s’estompent peu à peu), Katia Lewkowicz, le charme en plus, se mue en docteur Frankenstein pour assembler les fragments de ce qui pourrait bien être une femme idéale. Le beau « Il y eut un soir, il y eut un matin… », évocation de la Genèse, prend tout son sens. C’est de Création dont il est, ici, question.
TIENS-TOI DROITE Comédie dramatique (France – 1h34) de Katia Lewkowicz avec Noémie Lvovsky, Marina Foïs, Laura Smet, Sarah Adler, Lola Duenas, Lina Ramdane, Jonathan Zaccaï, Michael Abiteboul, Dominique Labourier, Richard Sammel. Dans les salles le 26 novembre.