Une belle bande de crapules dans le blizzard
Parce qu’il compte parmi les cinéastes américains les plus originaux et parmi les cinéastes mondiaux les plus cinéphiles, la sortie d’un film de Quentin Tarantino est, aujourd’hui, considérée comme un événement. Et comme l’auteur d’Inglorious Basterds est aussi un fin communicant, on ne peut pas louper la sortie des Huit salopards. Après avoir traité, dans le Sud des Etats-Unis avant la guerre de Sécession, de la quête d’un esclave affranchi pour sa femme disparue (Django Unchained) , Tarantino s’attaque, ici, au genre cinématographique le plus américain qui soit, en l’occurrence le western.
Modestement présent sur les écrans ces dernières années -même si The Homesman (2014) de Tommy Lee Jones était une réussite- le western semble amorcer un retour en fanfare en 2016. On verra bientôt Natalie Portman en épouse courageuse dans Jane Got His Gun ou Leonardo DiCaprio en trappeur luttant pour sa survie et pour accomplir sa vengeance dans The Revenant d’Alejandro Gonzalez Inarritu… Antoine Fuqua oeuvre, lui, à un remake des Sept mercenaires de 1960 et même le Frenchie Jacques Audiard tourne, aux Etats-Unis, un western intitulé The Sisters Brothers.
Faisant jouer son imagination fertile et mettant en oeuvre ses qualités de conteur, Tarantino paye son tribut à la légende westernienne. Après un générique vintage où l’on note que The Hateful Eight est le huitième film du bon Quentin et où l’on remarque que c’est le vieux maestro Ennio Morricone qui signe la musique originale, le décor est vite planté. Un vaste paysage de neige, un ciel chargé, un vol d’oiseaux noirs, des montagnes sombres, une forêt de bouleaux sous la neige. Tandis que la caméra fixe un Christ en bois sur une croix de pierre, au loin s’avance une diligence… Sur son chemin, se dresse le commandant Marquis Warren. Les deux corps gelés sur lesquels il a posé sa selle de cheval ne laissent pas de doute. Le commandant est un chasseur de primes. A bord de la diligence, John Ruth, dit le bourreau (Kurt Russell), en est un autre. Mais lui, sa proie, Daisy Domergue, est vivante même si elle a pris des coups comme en atteste un gros coquard autour de l’oeil. Entre Warren et Ruth, il y a de la suspicion mais aussi une forme de respect. Et Tarantino s’amuse à filmer leur long dialogue tandis que Daisy tente une manoeuvre de séduction même si elle traite Warren de « Niger« …
De son côté, O.B., le conducteur de la diligence, aimerait bien avancer… Le blizzard menace. Il est plus que probable qu’ils n’arriveront pas à Red Rock, leur destination finale et qu’il faudra faire halte à la mercerie de Minnie, une étape connue sur la route des diligences… Et les choses ne vont pas s’arranger puisque survient, marchant dans la neige, un certain Chris Mannix (Walton Goggins) qui se présente comme le nouveau shérif de Red Rock, celui auquel il appartiendra bientôt de faire pendre Daisy Domergue (Jennifer Jason Leight, truculente)…
Tourné en Ultra Panavision 70, un format inutilisé depuis longtemps (il semblerait qu’il fut employé pour la dernière fois en 1966 pour Khartoum) mais qui magnifie les paysages sous la neige de Telluride au Colorado, Les Huit Salopards va, non sans une certaine ironie, s’installer presqu’exclusivement dans le huis-clos de l’établissement de Minnie… Cependant, Tarantino se sert avec brio de ce format très large pour mettre en valeur, aussi, cet intérieur. Le cadre de l’image est constamment rempli par les personnages et l’oeil peut se promener de l’un à l’autre. Du même coup, le format génère un sentiment de claustrophobie puisqu’on distingue tous les murs de la pièce qui ferment le cadre.
En six chapitres (Dernière voiture pour Red Rock, Fils de putois, La mercerie de Minnie, Le secret de Domergue, Les quatre passagers, Homme noir-Enfer blanc), Quentin Tarantino va distiller une histoire quand même très bavarde qui a le mérite de célébrer le western. On s’attendait à une pointe de sarcasme, de caricature ou, au moins, de mise à distance ironique mais, hormis les jets de sang et les têtes explosées, Les huit salopards peut se lire comme un hommage presque déférent aux films de Ford, Sturges, Mann, Hawks ou Hathaway…
Au travers d’une bande de vilains pieds nickelés (Tim Roth, Michael Madsen, Bruce Dern, Channing Tatum s’en donnent à coeur joie) qui ne valent pas plus chers les uns que les autres, on évoque, ici, les combats sanglants entre Sudistes et Yankees, la justice de la Frontier placée sous le signe de la vengeance et une justice qui serait sans états d’âme et bien sûr le racisme avec le personnage de Warren qui prend du « Niger » à gogo dans les dents et qui affirme: « Pour qu’un Noir soit en sécurité, il faut que le Blanc soit désarmé ».
Et c’est au même Warren (l’excellent Samuel L. Jackson, compagnon au long cours de Tarantino) qu’il reviendra, en véritable Sherlock Holmes de l’Ouest américain, de démêler les fils d’une intrigue où le café est empoisonné et où la femme, même s’il s’agit d’une meurtrière, est traitée plus bas que terre.
Dans ce film, où l’on peut jouer à répérer les références (la porte qui s’ouvre sous l’effet du blizzard semble sortir de La ruée vers l’or de Chaplin et la ballade de Daisy du Johny Guitar de Nicholas Ray), Quentin Tarantino glisse, in fine, « Les salopards, il faut vraiment les pendre ». C’est la leçon?
LES HUIT SALOPARDS Western (USA – 2h48) de Quentin Tarantino avec Samuel L. Jackson, Kurt Russell, Jennifer Jason Leigh, Walton Goggins, Demian Bichir, Tim Roth, Michael Madsen, Bruce Dern, James Parks, Channing Tatum, Zoé Bell, Dana Gourrier. Interdit aux moins de 12 ans. Dans les salles le 6 janvier.
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