Dans la vie des autres

« Bonjour, ceci est un message de Sébastien Nicolas. Quand vous l’entendrez, je vous aurai déjà quitté. Je voulais vous dire au revoir. » Après avoir soigneusement nettoyé son pavillon de banlieue, avoir scotché les fenêtres, ouvert le gaz, Sébastien Nicolas a enregistré ce message. Et puis le pavillon a explosé. « Voilà, c’est fini ». Fin de l’histoire? En tout cas, fin de 42 années de non-existence.

Sébastien Nicolas, 1,75 m, 70 kilos, cheveux châtains, groupe sanguin A+, célibataire, catholique non pratiquant. Un type comme tout le monde. Transparent, gris dans un univers morne et sans joie. « Si je n’ai pas existé, encore fallait-il que je vive. » Alors, à l’insu de tous, Sébastien Nicolas a vécu des vies par procuration. Flash-back en accéléré. On remonte alors dans la vie de cet agent immobilier assez intrigant pour que sa famille le regarde un peu en biais. Pas assez pour être remarqué dans la rue. Mais lui est une véritable éponge qui absorbe les postures, les mimiques, les intonations de voix des autres. Il a même des attitudes de serial killer lorsqu’il traque des « victimes » auxquelles toutefois il ne veut aucun mal.

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Mathieu Kassovitz. DR

Avec Un illustre inconnu, Matthieu Delaporte signe un film français ancré dans un fantastique quotidien, ce qui, après tout, est assez rare pour être souligné et salué. Mieux, ce thriller glacial, où Sébastien Nicolas est son propre docteur Frankenstein, part très bien… En suivant pas à pas un personnage aussi terne que les décors dans lesquels il vit, on ressent une inquiétude qui se renforce lorsque Nicolas, ayant réussi sa « copie », se retrouve traqué par un « ami » dans les couloirs du métro.

Avec Alexandre de la Patellière, cette fois au scénario, Delaporte avait réussi un joli coup en 2011, leur Prénom réunissant plus de trois millions d’amateurs de comédie. Ici, le duo change radicalement d’univers mais excelle encore dans l’écriture de l’histoire de quelqu’un qui a l’impression de n’être personne. La photographie, les couleurs, les décors sont remarquables et l’évocation du syndrome de dépersonnalisation est tout à fait intéressante. D’autant plus que le scénario, au-delà de la question de la solitude, repose non point sur un usurpateur qui voudrait spolier une victime ou se servir d’elle mais sur un individu qui, comme le note Delaporte, présente « un sentiment d’imposture qui relève, paradoxalement, d’une recherche d’authenticité ». Et qu’importe alors si le spectateur, au lieu de ressentir de l’empathie pour le personnage, se trouve dans la position d’un entomologiste.

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Marie-Josée Croze et Mathieu Kassovitz. DR

Là où, hélas, Un illustre inconnu devient bien moins intéressant, c’est lorsque l’homme terne se passionne pour Henri de Montalte, ancienne star internationale de la musique classique désormais terrée dans l’ombre à cause de la perte de deux doigts qui l’empêche de jouer du violon. Cette fois, il en cuira à Sébastien Nicolas d’endosser la vie de quelqu’un qui, pourtant, n’en veut plus. Même si Mathieu Kassovitz (qui a passé, chaque jour de tournage, quatre heures au maquillage) réalise une impeccable performance en campant à la fois Sébastien Nicolas et Henri de Montalte, on perd peu à peu le fil. On se souvient alors que, dans Un héros très discret (1996, Jacques Audiard), Kassovitz, dans un contexte certes différent, empruntait déjà la personnalité d’un autre…

Dans Un illustre inconnu, alors que le film va traiter d’une (improbable) relation père-fils, on voit alors clairement les invraisemblances de l’histoire. Bien sûr, on évoque la place de la musique pour remplir le silence de Dieu. Vieux misanthrope tapi dans un repaire rouge, Henri de Montalte dit « Je crois en Mozart et je suis très pratiquant » et ajoute: « Sans la musique, c’est juste une existence, pas la vie ».  Mais la brillante mécanique du scénario est désormais grippée. Et la voix off a beau dire que « la réalité n’est pas la vérité », on n’y est plus.

UN ILLUSTRE INCONNU Drame (France – 1h58) de Matthieu Delaporte avec Mathieu Kassovitz, Marie-Josée Croze, Eric Caravaca, Diego Le Martret, Siobahn Finneran, Olivier Rabourdin, Dilitri Storoge. Dans les salles le 19 novembre.

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