Joy ou les belles ambitions d’une mère courage
Dans la Déclaration d’indépendance américaine de 1776, la « poursuite du bonheur » figure parmi les droits inaliénables de l’Homme, à côté de la liberté et de l’égalité. Autant dire que l’idée du rêve américain est un concept profondément ancré dans la culture et plus encore dans l’esprit des Américains. Les milliers de colons venus trouver la richesse et la gloire aux Amériques ont cultivé et amplifié cette idée qui repose sur la perspective de prospérité par l’enrichissement personnel.
C’est bien cette poursuite du rêve américain qui anime Joy, le personnage central du nouveau film de David O. Russell qui s’est librement inspiré, ici, de l’aventure improbable mais authentique de Joy Mangano, une mère célibataire devenue, dans les années 90, présentatrice star du télé-achat sur la chaîne câblée QVC avant de s’imposer comme une femme d’affaires à succès grâce à une série d’inventions comme le Miracle Mop, une « serpillière magique » qui s’essore facilement et se lave en machine…
Fort heureusement, le cinéaste de l’excellent Happiness Therapy (2012) ne se contente pas, ici, de brosser un biopic de plus avec l’aventure humaine de la courageuse Joy. Ainsi l’entrée en matière de Joy est un véritable feu d’artifice. Dans un tempo très speedé, à l’image des personnages qui vont s’installer devant nous, David O. Russell présente l’entourage de Joy… Dans la maison où vit Joy, on découvre ainsi Terry (Virginia Madsen), sa mère, femme divorcée désormais plantée sur son lit à regarder d’inénarrables soap-opera où des blondes permanentées s’affrontent pour des bellâtres bronzés sur fond de fortunes dilapidées… Bientôt va débouler Rudy, l’ex de Terry. Sa nouvelle compagne le dépose là parce qu’elle… n’en veut plus. Rudy ira rejoindre au sous-sol… Tony, l’ex, cette fois, de Joy qui squatte l’endroit. Rudy et Tony (Edgar Ramirez) sont immédiatement sur le point d’en venir aux mains et Joy dresse une barrière entre leurs territoires avec un ruban de papier toilette!
Quant à Mimi, la grand-mère gâteau (Diane Ladd) qui veille sur les enfants de Joy, c’est elle qui, en voix off, raconte cette invraisemblable saga. Jeune femme blonde, fatiguée mais pugnace, Joy essaye de maintenir à la fois son extravagante famille à flots et de donner corps à ses rêves qu’elle caressait déjà fillette en construisant, avec du papier blanc, une belle maison aux super-pouvoirs… A cette galerie, il faut encore ajouter une demi-soeur jalouse et hostile (Elisabeth Rohm), Trudy, la nouvelle compagne (Isabella Rossellini) de Rudy, qui possède une belle fortune venue de son défunt mari, un plombier haïtien et Jackie, l’amie d’enfance qui, lorsque Joy semble baisser les bras, affirme que son rêve est seulement entre parenthèses….
Comme il l’avait déjà fait dans ses précédents films, David O. Russell reprend, avec Joy, le thème de la réinvention de soi. Il faut dire que Joy, face à des circonstances insensées et des obstacles quasiment insurmontables, devra dépasser les limites d’une famille dysfonctionnelle, surmonter ses doutes, ses complexes même, affronter les trahisons, les coups bas du business tout en demeurant indulgente et aimante. Sur une période de quarante ans, le cinéaste détaille un impressionnant parcours qui mènera Joy à la tête d’un empire pesant un milliard de dollars. Et, devenue une femme d’affaires coriace et inflexible, Joy résumera sa trajectoire à sa fillette: « Nous, on a réussi grâce au travail, à la patience, à l’humilité. Tu ne dois jamais rien attendre des autres. Ils ne te doivent rien ».
Pour Joy, David O. Russell, songeant par exemple aux films de Frank Capra ou de George Stevens, s’est appliqué à retrouver l’esthétique des classiques d’Hollywood, jouant notamment sur des teintes monochromatiques pour les débuts difficiles de son héroïne pour arriver à des ambiances plus colorées lorsque Joy s’affirmera matriarche et chef de clan. Le cinéaste appelle volontiers à la rescousse les figures de Daryl Zanuck, Jack Warner ou David O. Selznick, le fils d’immigrés qui épousera Jennifer Jones, la petite fille de l’Oklahoma, pour dire qu’en Amérique, on peut se mélanger et réaliser de grandes choses.
Le cinéaste a apporté un soin particulier aux décors, de la maison familiale de Joy au garage de son père (doublé d’un… stand de tir) jusqu’à la chaîne câblée QVC (comme Qualité-Valeur-Commodité), véritable précurseur d’internet. Sur QVC, pionnière en matière de télé-achat, on pouvait acheter 24 heures sur 24 et sept jours sur sept… C’est sur les plateaux de QVC que Joy va rencontrer Neil Walker (Bradley Cooper), celui qui va croire, pour la première fois, à sa créativité. Face à ce patron de chaîne qui se prend pour un tycoon de l’âge d’or d’Hollywood, Joy va apprendre à ne plus se cacher.
Jouant sur des chansons d’époque (dont le fameux Something Stupid de Frank Sinatra), introduisant de la fantaisie dans l’épopée de Joy (lorsqu’elle s’endort, elle se retrouve dans les soap que regarde sa mère), David O. Russell donne un film allègre et même parfois étourdissant. A la fois rêveuse et coriace, audacieuse et vulnérable, Jennifer Lawrence, oscarisée pour Happiness Therapy, donne son sens à un propos de Neil Walker: « En Amérique, l’ordinaire rencontre l’extraordinaire tous les jours ». Face à elle, Robert de Niro ne se contente pas, pour une fois, de se singer lui-même. Son Rudy est un beau personnage de père imparfait qui, parlant de sa fille, lâche un terrible: « Je l’ai fait se surestimer. »
Et puisque David O. Russell évoque les classiques américains, on peut penser qu’il fait un vrai clin d’oeil à Orson Welles et à Citizen Kane. Le film commence sur une fillette qui joue dans la neige et s’achève par la découverte, par la fillette devenue adulte, de son Rosebud à elle…
JOY Comédie dramatique (USA – 2h03) de David O. Russell avec Jennifer Lawrence, Robert de Niro, Bradley Cooper, Edgar Ramirez, Diane Ladd, Virginia Madsen, Isabella Rossellini, Dascha Polanco, Elisabeth Rohm, Susan Lucci, Laura Wright. Dans les salles le 30 décembre.