Charlie éperdument possédée
« La passion est-elle un vecteur ou un obstacle à la liberté? », voilà bien une question de prof de philo à des lycéens qui préparent le bac… Dans la classe, il sera aussi question du cher Nietzsche et de son « Il est plus facile de renoncer à la passion que de la maîtriser ». Autant d’observations qui viendront évidemment en écho de l’aventure de Charlène, alias Charlie pour tout le monde… Lorsque Respire s’ouvre, la caméra est posée au sol avec des baskets en amorce sous le lit. Et ce sont les pieds de Charlie que l’on découvre d’abord, tandis qu’au rez-de-chaussée, un père et une mère s’engueulent… Par terre, c’est là que finira Charlie, adolescente effacée, presque un peu renfrognée, trimballant le blues de l’âge ingrat…
Après un premier film en 2011 (Les adoptés), la comédienne Mélanie Laurent revient derrière la caméra pour Respire, librement inspirée du roman éponyme écrit, à 17 ans, par Anne-Sophie Brasme. D’entrée, on songe, en voyant les scènes de lycée, dans la classe, dans la cour ou devant l’établissement, au récent La vie d’Adèle de Kechiche d’autant que les deux principaux protagonistes sont également des jeunes filles. Mais on est tenté de dire que le parallèle s’arrête là car, dans Respire, c’est d’une amitié vénéneuse et même carrément toxique dont il est question… A côté de La vie d’Adèle qui parlait d’amour fou, Respire est une plongée dans l’enfer de la manipulation…
Joséphine Japy et Lou de Laâge. DR
Lorsque la porte de la classe de terminale s’ouvre sur la directrice du lycée et sur une nouvelle élève arrivée en cours d’année (ah, ce cliché cinématographique!) c’est la belle Sarah qui apparaît. Un clin d’oeil à l’élève qui planche sur une équation au tableau et voilà que Sarah se retrouve à côté de Charlie. Sarah, c’est tout le contraire de Charlie. De la liberté, de l’aisance, une façon charmeuse de regarder et de parler aux autres, d’être gracieuse, en cours de gym, lorsqu’elle monte sur une poutre. A l’instant où Sarah demande à Charlie si elle peut venir chez elle pour un coup de main sur ses cours d’histoire, le ver est dans le fruit ou, du moins, le « vampire » se met en action.
Commence alors une amitié entre filles (mais sans ambiguïté sexuelle) qui va tourner d’abord à l’admiration puis à la fascination pour aller jusqu’à la soumission et à l’étouffement. Relevant du narcissisme pervers, Sarah est une experte dans le jeu des sentiments. Elle partage une douce complicité avec Charlie pour la laisser tomber, que ce soit dans un flirt avec un garçon ou des fous-rires avec d’autres filles. Sujette à de l’asthme, Charlie étouffe littéralement, dans une métaphore bienvenue, dans ces aller-retour entre tendresse et abandon qui la laisse sans voix, étourdie, abattue, rendue à un rôle de victime, hélas, consentante.
Lou de Laâge et Joséphine Japy. DR
Mélanie Laurent ne fait pas mystère d’avoir mis un certain nombre de souvenirs personnels dans Respire. La scène où Charlie tente de gratter un « Charlie la pute » sur sa table de classe ou encore la fréquentation de narcissiques pervers, ce sont des choses que la cinéaste/comédienne a vécu. Et assurément cette connaissance de la part sombre de l’être humain apporte une vraie précision, une justesse de ton qui ne lâche jamais le spectateur. Tandis que la cinéaste se rapproche plus en plus du bourreau et de sa victime, Respire devient l’éprouvant mais remarquable spectacle d’une amitié à sens unique inéluctablement promise au drame le plus noir…
Mélanie Laurent excelle à filmer les rires nerveux des deux copines, le shit fumé dans les wc, les séances de maquillage et de coiffure, les moments où les filles se vautrent sur le lit mais aussi les soirées où la danse et l’alcool se conjuguent pour laisser les deux filles ivres et titubantes dans la nuit. Las, les confidences (« T’as jamais couché? ») deviennent des armes redoutables. Les petites phrases torturent une Charlie définitivement vaincue. Lorsque Sarah lui lance: « Tu me détestes… », Charlie avoue: « Ce que je déteste, c’est lorsque nous ne sommes pas ensemble… » Et pourtant Sarah lui aura fait les pires crasses…
Dans un drame très maîtrisé, Mélanie Laurent dirige, avec bonheur et justesse, deux jeunes comédiennes très talentueuses: Joséphine Japy apporte sa douce beauté pré-raphaélite à une Charlie éperdument possédée et Lou de Laâge, avec son faux air de jeune Brigitte Bardot, donne une épaisseur cruelle à Sarah, garce dangereusement mythomane qui accable son « amie » en lui balançant: « Tu me donnes le mauvais rôle. Tu m’auras fait beaucoup de mal! ».
Si, comme on peut le lire sur internet, Mélanie Laurent est très contente d’elle-même, force est cependant de constater que son Respire est du sacré beau boulot. Qu’elle ait alors un considérable melon, pour le coup, on s’en moque un peu…
RESPIRE Drame (France – 1h32) de Mélanie Laurent avec Joséphine Japy, Lou de Laâge, Isabelle Carré, Claire Keim, Rasha Bukvic, Roxane Duran. Dans les salles le 12 novembre.