La dépression et la brosse à dents
« Si je mourrais subitement d’une crise cardiaque, ça ne bouleverserait pas grand monde… » Voilà le constat, tout à la fois amer et lucide, que fait, un jour, François Sim. Il faut bien dire que la vie de monsieur Sim n’est pas spécialement palpitante. On peut même dire que monsieur Sim n’a aucun intérêt. C’est du moins ce qu’il pense de lui-même. En s’emparant du personnage imaginé par le romancier britannique Jonathan Coe, Michel Leclerc réussit, disons-le de suite, une satire sociale tout à fait drolatique… alors même qu’il est beaucoup question de grande solitude.
Donc François Sim ne va pas bien. Sa femme Caroline l’a quitté. Il n’a plus de boulot et lorsqu’il part, au fin fond du sud de l’Italie, voir son vieux père, celui-ci ne trouve même pas le temps de déjeuner avec lui… Autant dire que lorsque François Sim confie, avec un petit sourire contraint, à sa voisine dans l’avion: « Vous savez que je suis en pleine dépression depuis six mois », il ne raconte pas de salade. Car monsieur Sim a un besoin intense de parler, de communiquer, d’échanger. Et cela peut prendre un tournure dramatique! Dans l’avion, un autre voisin s’est trouvé mal. A l’hôtesse très affolée, François Sim fait remarquer: « Etre ennuyeux à mourir, ça existe! Ca ne vient pas de nulle part, cette expression… »
Mais François Sim va peut-être réussir à sortir la tête de l’eau… Il est choisi, avec trois autres représentants, pour aller vendre aux quatre coins de l’Hexagone, dixit la directrice du marketing, une brosse à dents (manche en noisetier et poils de sanglier, quand même) qui va révolutionner l’hygiène bucco-dentaire. Voilà donc François Sim au volant d’une belle Peugeot noire. A lui, les régions du Sud de la France. Pour sa patronne, ce job, c’est comme une quête, façon Seigneur des anneaux… Pour François Sim, qui se pique un temps au jeu de la brosse à dents « révolutionnaire », ce boulot de représentant va devenir l’occasion de revoir les visages de son enfance, de retrouver son premier amour, de croiser son ex-épouse ainsi que sa fille pré-adolescente et surtout de faire d’étonnantes découvertes -y compris sur l’orientation sexuelle au sein de sa famille- qui vont le révéler à lui-même.
C’est en 2010 que Michel Leclerc s’est retrouvé en pleine lumière avec Le nom des gens, épatante rencontre entre la très extravertie Bahia Benmahmoud (elle n’hésite pas à coucher avec ses adversaires politiques pour les convertir à sa cause) et Arthur Martin, quadra discret adepte du risque zéro. Il y avait là une manière humaniste, touchante et drôle de raconter les choses qu’on retrouve à nouveau dans La vie très privée de monsieur Sim. Dans cette chronique sociale qui pourrait virer à la tragédie, on sent heureusement passer une énergie, une grâce même qui feront que François Sim relèvera la tête. Il est question, ici, de ces interrogations qui sont celles de tout un chacun à un moment ou un autre: de quoi est faite ma vie, l’ai-je réussie, l’ai-je ratée, que sont les miens devenus?
Avec le candide François Sim, Michel Leclerc brosse le portrait d’un parfait anti-héros qui s’évade dans le souvenir de Donald Crowhurst, navigateur anglais disparu en mer vers la fin des années soixante. Il le suit aussi dans une sorte de road-movie où notre homme entretient d’extraordinaires dialogues avec son… GPS (qui a la voix de la chanteuse Jeanne Cherhal). On glisse ainsi du « Je peux t’appeler Emmanuelle? » à « Ferme-la connasse! » à propos de « Calcul en cours » en passant par un pathétique « Ce que j’aime chez toi: tu ne me juges pas… » Le cinéaste multiplie également ces moments où la rencontre pourrait avoir lieu et où elle rate pour un rien, pour des mots qui ne sont pas prononcés, pour une phrase qui tombe à plat. Ainsi, lorsque François Sim a retrouvé la belle Luigia (Valeria Golino), qu’ils sont sur le point d’échanger un baiser et que Sim demande: « Ca te plairait que je t’offre une brosse à dents? »
Jolie leçon de vie, La vie très privée de Monsieur Sim doit énormément au trop rare Jean-Pierre Bacri. En dépressif qui désire ardemment remonter la pente et qui ne cherche pas à s’enfermer en lui-même, quitte à déboussoler les autres en se jetant sur eux pour entrer en contact, le comédien est simplement formidable. Son Monsieur Sim suggère qu’on a tous besoin du regard bienveillant d’autrui pour être rassuré et pouvoir s’élever.
LA VIE TRES PRIVEE DE MONSIEUR SIM Comédie dramatique (France – 1h42) de Michel Leclerc avec Jean-Pierre Bacri, Mahieu Amalric, Valeria Golino, Linh-Dan Pham, Isabelle Gelinas, Vimala Pons, Félix Moati, Vincent Lacoste, Christian Bouillette, Carole Franck, Sixtine Dutheil. Dans les salles le 16 décembre.