L’homme qui regardait le mouvement des nuages
Si les sabres laser vous font moins d’effet que la fragilité écarlate des coquelicots, alors il vous faut aller, sans attendre, déguster Le goût des merveilles, un joli conte moral qui ne manquera pas de vous donner un large sourire… bienvenu par les temps qui courent! Inspiré, dixit une dédicace à la fin du film, par une fée réelle, Eric Besnard a donc imaginé une de ces histoires où l’on se dit que tout est beaucoup trop merveilleux mais qui parvient, sans coup férir, à nous accrocher par les sentiments…
Louise vend ses fruits sur un marché d’un petit village de la Drôme provençale, beau comme une carte postale en couleurs. Mais Louise n’a pas vraiment la pêche et ce n’est pas la faute des clientes qui trouvent ses poires moins belles que l’année dernière… Non, Louise est un peu au bout du rouleau. Veuve avec deux enfants, elle bataille pour que sa petite entreprise ne périclite pas. Mais la centrale d’achat qui lui prend ses fruits, ne la paye pas et le banquier, qui suggère qu’elle n’est probablement pas faite pour l’arboriculture, parle de saisir la maison pour couvrir les dettes. Au volant de sa vieille Volvo, Louise roule toujours trop vite. Pire, elle fouille son sac pour trouver son portable. Et ça ne rate pas! Elle renverse un grand échalas barbu qui passe par-dessus son capot avant de filer à travers la campagne… Déjà mélancolique et presque au bord de la résignation, Louise avait bien besoin de ça… D’autant que l’accidenté, qui ne présente qu’un bobo au front, se révèle plutôt intrigant.
Pour son cinquième long-métrage (après Le sourire du clown, Ca$h, 600 kilos d’or pur, quatre polars et l’oubliable Mes héros), Eric Besnard met dans le mille en embarquant donc le spectateur dans un film sensoriel qui travaille sur le temps suspendu, sur la porosité émotionnelle. Car, ici, la narration a beaucoup moins d’importance que toutes les enthousiasmants sentiments qui traversent les deux personnages centraux du Goût des merveilles et qui rejaillissent d’ailleurs sur tous ceux qui les entourent…
Car celui qui se présente d’un sec et bien détaché « Pierre. Je m’appelle Pierre » est un personnage que son mentor, libraire en ville, définira ainsi: « Il est honnête, fidèle, fragile. Il ne ment jamais. Il ne veut de mal à personne. Alors oui, il est différent de la plupart des gens ». On apprendra aussi que Pierre pince quand il aime et qu’il est accro à son ordinateur portable qui lui permet de connaître la météo et même de faire pleuvoir. On vous laisse découvrir comment…
Ce Pierre lunaire va chambouler la vie d’une Louise qu’il décrira ainsi: « Têtue, bordélique, blessée, jolie ». Elle l’a fait entrer chez elle pour soigner sa petite plaie et il va, en toute simplicité, imposer sa présence. Au travers d’un médecin (Hiam Abbass, l’admirable interprète des Citronniers), on va apprendre que Pierre souffre du syndrome d’Asperger, une forme d’autisme qui le rend hyper-sensible au monde. Mais sa maladie qui lui fait vivre les choses plus intensément que les autres, le rend aussi éminémment attachant pour une Louise qui se raccroche à cet ectoplasme souriant et tendre pour ne pas couler. D’autant que Pierre a aussi des talents informatiques dont on ne va pas dévoiler, non plus, les amusantes arcanes.
En jouant sur de magnifiques images de nature, en célébrant la lumière et le vent dans les arbres ou la couleur des champs de lavande caressés par la brise comme par la main de Pierre, Eric Besnard signe une oeuvre positivement jubilatoire et lumineuse sur deux êtres qui s’aiment « at first sight » mais qui ne se touchent pas. Virginie Efira, déjà maman en perdition dans Une famille à louer, est encore une fois parfaite en femme concrète et belle. Mais évidemment, c’est Benjamin Lavernhe, membre de la Comédie française, qui épate en composant un Pierre, excellent joueur d’échecs, spécialiste des chiffres et des mathématiques… poétiques. Il est absolument savoureux lorsqu’en détachant bien ses mots, en jouant sur leur tonalité, il dit à Louise: « Vous avez 37 ans. Un nombre premier mais je préfère le 23. 619 ne change jamais. Il est rond et bleu. Le 37 est vert pâle. » C’est loufoque à souhait mais on est, comme Louise, ravi de boire ses paroles.
Forrest Gump bien de chez nous, Pierre sait aussi bien dire Choléra d’un Joseph Delteil livrant le portrait de l’une de ses maîtresses: « Frais dans ce visage d’épine-vinette, il y a des yeux d’érable. L’aiguillon, c’est la langue, et les boeufs les joues. Le front maigre et rectangulaire d’un corbeau. Au second plan, comme deux lunes rousses, les seins » qu’il s’ingénie à saisir le reflet du soleil dans l’eau limpide d’un ruisseau. Ce Pierre qui vante, encore, les vertus érectiles de la gelée royale, s’abîme dans la contemplation mouvante des nuages et semble sidéré lorsque Louise lui fait observer qu’on ne peut pas toujours dire la vérité.
Enfin, cette comédie romantique et magique au titre à double sens (les merveilles sont aussi des pâtisseries fines et légères de la famille des bugnes) nous vaut l’une des plus belles déclarations d’amour du cinéma. A Louise, Pierre déclare: « Vous avez une fesse plus grosse que l’autre. » Louise: « Je ne savais pas que ça se voyait autant. » Pierre: « Je vous regarde. » C’est beau, non!
LE GOUT DES MERVEILLES Comédie dramatique (France – 1h40) d’Eric Besnard avec Virginie Efira, Benjamin Lavernhe, Lucie Fagedet, Léo Lorleac’h, Hervé Pierre, Hiam Abbass, Laurent Bateau, Natalie Beder, France Darry, Valentin Merlet, François Bureloup, Franck Adrien, Stéphane Di Spirito, Julien Ratel, Alain Gressot. Dans les salles le 16 décembre.