Un grand déluge d’amour
Pour être honnête, j’aime bien aller voir les films de Claude Lelouch en salle et en compagnie du public plutôt qu’en projection de presse. Je ne dis pas que la projection de presse donne d’emblée la dent dure mais enfin, surtout quand il s’agit du cher Lelouch, c’est quand même bien souvent le cas. Et du coup, le cinéaste de Un homme et une femme peut se laisser aller à la plainte contre ces médias qui le descendent sans discontinuer depuis des lustres. Forcément, l’immortel auteur de La belle histoire peut alors avoir tendance à ne plus vouloir montrer ses films aux professionnels de la profession. Et, du coup, on se retrouve dans la salle et au point de départ de ce papier.
Remarquons que ce premier paragraphe ressemble, à s’y méprendre, à des précautions oratoires. Eh bien, ce n’est pas faux. Quand on parle d’un film de Claude Lelouch, on a toujours le sentiment de ne pas devoir être trop méchant. Comme si, à force de se plaindre des critiques de cinéma, le concepteur de Tout ça pour ça! avait réussi à intimider son monde en se mettant dans la posture de celui qu’on n’aime pas et qu’on aimera jamais. Eh bien, en ce qui concerne Un + une, il n’a pas de souci à se faire! Si Lelouch a pu nous agacer ou nous énerver, ce n’est pas le cas, ici, puisqu’il livre une jolie histoire d’amour comme il en a tourné quelques unes au fil de soixante années de carrière.
Antoine ressemble, c’est le dossier de presse qui parle, aux héros des films dont il compose la musique. Il a du charme, du succès, et traverse la vie avec autant d’humour que de légèreté. Lorsqu’il part en Inde travailler sur une version très originale de Roméo et Juliette, il rencontre Anna, une femme qui ne lui ressemble en rien, mais qui l’attire plus que tout. Ensemble, ils vont vivre une incroyable aventure…
Lelouch avoue qu’il n’a découvert l’Inde que tardivement et qu’il est immédiatement tombé sous le charme de ce quasi-continent. Au point, dit-il, qu’il aurait pu tourner là l’intégralité de son oeuvre. Belle déclaration d’amour instantanément illustrée, dans les premières séquences, par des images dignes des guides touristiques avec vaches sacrées trônant au milieu des carrefours, deux-roues fonçant dans tous les sens, enfants aux grands yeux, femmes vêtues de couleurs éclatantes et fakirs insolites. Les ablutions dans le Gange viendront à peine plus tard…
Mais voilà que la carte postale s’estompe. Un petit gars à scooter braque une boutique de joaillerie, s’enfuit, retrouve un complice en voiture et finit par renverser une jeune femme, danseuse de son état, qui roule tranquillement sur son vélo… Fuir ou porter secours? Le voleur portera secours, transportera Ayanna à l’hôpital, finira en prison et retrouvera la belle au-delà des grilles. Une histoire qui passionnera le cinéaste Rahul Abhi, pilier de la Nouvelle indienne, qui décide d’en faire son Juliette et Roméo, film pour lequel Antoine Abeilard vient donc faire la musique…
Comme il se doit lorsqu’un artiste de la trempe d’Antoine Abeilard arrive dans un pays étranger, une réception est organisée à l’ambassade de France. Et c’est donc là qu’Antoine tombe sous le charme d’Anna, la femme de l’ambassadeur… Et alors même que sa compagne Alice lui demande s’il veut l’épouser, Antoine va suivre Anna dans un périple qui doit l’amener, par les chemins de la fertilité, vers Mata Amritanandamayi dite Amma, « sainte » rayonnante de spiritualité tolérante.
Dans les pas d’Antoine et Anna, tombés follement amoureux mais se refusant à le dire, Lelouch orchestre donc le va-et-vient du chaos amoureux construit comme un match de boxe où, tour à tour, l’un et l’autre prennent le dessus. Pour cela, le cinéaste convoque la musique de Francis Lai et met en scène la vie et le cinéma qui se mélangent allègrement. On suit Un + une avec un regard amusé et on écoute les personnages s’envoyer de petites phrases bien ciselées comme « Ici, on ne conduit. On évite les accidents » ou « La vie est bien faite. Elle a toujours un coup d’avance. » ou « Marié? Mieux que ça, je suis amoureux! » ou « Pourquoi parle-t-on toujours de la vitesse de la lumière et pas de la vitesse de l’osbcurité? » ou encore « C’est quoi une femme? Un mec réussi »…
Enfin, il y a les comédiens qui se chargent de bien nous vendre le morceau… Elsa Zylberstein (Anna), Christophe Lambert (l’ambassadeur) et Alice (Alice Pol) forment avec Jean Dujardin (Antoine) non point le traditionnel triangle amoureux mais un quatuor plus surprenant.
Oeil qui frise et sourire enjôleur, Jean Dujardin marche, chez Lelouch, dans les pas du Lino Ventura de L’aventure, c’est l’aventure et, évidemment du Belmondo d’Un homme qui me plaît et d’Itinéraire d’un enfant gâté.
Dans la salle, où la majorité des spectateurs étaient des spectatrices, le sémillant Antoine, électron libre amoureux de l’amour, a fait l’unanimité. Un + une ne révolutionne pas le cinéma et n’est pas le film de l’année. Mais ce déluge d’amour-toujours est mignon tout plein.
UN + UNE Comédie dramatique (France – 1h56) de Claude Lelouch avec Jean Dujardin, Elsa Zylberstein, Christophe Lambert, Alice Pol, Rahul Vohra, Shriya Pilgaonkar, Abhishek Krishnan, Venantino Venantini, Kalki Koechlin, Hélène Médigue, Olias Lelouch, Philippe Azoulay. Dans les salles le 9 décembre.