Dans les souvenirs d’une mère…
C’est une belle séquence qui ouvre Back Home… Dans la chambre d’une maternité, sont réunis une jeune mère lasse mais souriante, un père attentif et ému et un nouveau-né… A la première image, Joachim Trier filme la main du nourrisson serrant un doigt adulte… La maman a faim et le papa s’en va lui chercher de quoi se sustenter. Mais le self de l’hôpital est fermé et Jonah erre dans les couloirs. Où il croise une jeune femme, atterrée par les mauvaises nouvelles concernant sa mère, et qui fut naguère sa petite amie…
A cette introduction limpide et quasiment tendre, en succède une autre qui s’ouvre par un très gros plan sur un oeil… Car il va alors beaucoup être question d’images et plus précisément de photographie. Il y a trois ans, Isabelle Reed, photographe de guerre de grande réputation unanimement célébrée pour l’humanité de son regard (Trier a utilisé des photos prêtées par de grandes agences comme Magnum), a été tuée dans un accident de la circulation. A New York, on prépare une grande exposition de ses images et Gene, le mari d’Isabelle, est sollicité pour ouvrir les archives personnelles de son épouse. A cette occasion, il apprend aussi que Richard, l’un des confrères d’Isabelle qui l’accompagna souvent sur le terrain, a rédigé un grand portrait pour le New York Times, un papier dans lequel il rapporte qu’Isabelle a, en fait sous le coup d’une dépression, mis fin à ses jours… Pour Gene, cet article est une manière de catastrophe car il sait que Conrad, le plus jeune de ses deux fils, ignore les vraies raisons de la disparition de sa mère.
Remarqué, sur le plan international, dès son second long-métrage, l’étrange et fascinant Oslo, 31 août (2011), récit d’une journée particulière dans l’existence d’un ex-toxicomane, le cinéaste danois Joachim Trier donne, ici, un beau film dense et mélancolique qui traite autant des processus particuliers du souvenir que de la perception que nous avons de nos vies. Trois ans donc après la disparition tragique d’Isabelle Reed, Back Home va détailler les conséquences de cette absence sur la vie de trois hommes. Et comme ces jeux de dominos qui tombent en cascade, ces existences vont être profondément chamboulées. Joachm Trier a d’emblée le mérite d’éviter les bons gros clichés sur la relation père/fils. Ici, Gene prend beaucoup sur lui pour ne pas heurter ou entrer dans un affrontement direct avec un Conrad presque mutique et retranché dans son monde de jeux virtuels mais aussi dans l’écriture d’un journal intime… Et il y a quelque chose de pathétique à voir un père prendre en filature son fils, à tenter de le joindre au téléphone. Mais Back Home (qui fut présenté en compétition à Cannes sous le titre Plus fort que les bombes) distille aussi des touches d’humour. Ainsi Gene (Gabriel Byrne, tout en retenue écorchée) va se créer un avatar dans le jeu vidéo de Conrad sans se douter qu’il lui en cuira!
Back Home s’intéresse donc d’abord à Conrad (Devin Druid, véritable révélation) dans la mesure où il est celui dont la trajectoire -parfois mâtinée d’éléments « fantastiques »- sera la plus surprenante. Mais Jonah, le frère aîné (Jesse Eisenberg, découvert dans The Social Network), est également bien dessiné. Brillant jeune professeur d’université, il semble, lui, avoir réussi à s’en sortir et à aller de l’avant. En jouant, avec brio, sur des perspectives multiples, Joachim Trier observe, avec une infinie attention, les relations parents/enfants et les tiraillements familiaux.
Et puis, au coeur du film, il y a bien sûr cette mère disparue à laquelle Isabelle Huppert, même si elle n’est pas présente tout au long de Back Home, apporte une présence magnétique. Et d’ailleurs le cinéaste ne se prive pas de filmer au plus près et très longuement le visage de la comédienne lorsqu’affleurent soudain les larmes. Il lui offre aussi de beaux moments de cinéma, magnifique illustration du poids et du rôle du souvenir, comme lorsque Isabelle Reed et Conrad, encore petit garçon, jouent à cache-cache entre des draps suspendus. A travers le personnage volontiers énigmatique d’Isabelle Reed, Trier interroge le décalage entre les petits tracas du quotidien familial et la vie professionnelle, voire les ambitions d’une reporter de guerre de talent…
Elégant et envoûtant (la scène de l’accident au ralenti fait songer à l’ouverture de Melancholia de Lars von Trier) Back Home mêle la réalité d’un père et de ses deux fils aux fragments inconsistants des rêves (la présence d’Isabelle au côté de Conrad dans son lit, le viol d’Isabelle observé par un Gene détendu et fumeur etc.) pour aller, peut-être, vers un possible apaisement. Une oeuvre sensible à découvrir!
BACK HOME Drame (Danemark – 1h49) de Joachim Trier avec Isabelle Huppert, Gabriel Byrne, Jesse Eisenberg, Devin Druid, Amy Ryan, David Stratharn, Rachel Brosnahan, Ruby Jerins, Megan Ketch. Dans les salles le 9 décembre.