Le sexe, le désir et les mots pour le dire
On avait quitté les frères Larrieu dans les montagnes helvétiques de L’amour est un crime parfait (2013), un thriller où l’on constatait que le froid neigeux ne calmait guère les ardeurs sexuelles d’un prof d’université grand amateur de pimpantes étudiantes…
On retrouve cette fois les frères pyréneens au coeur de la Montagne noire, dans cette Aude qui abrita leurs jeux de gamins en vacances. C’est d’ailleurs à Castans et dans quelques autres villages de cette région sauvage et belle que se déroula le tournage de 21 nuits avec Pattie. Et c’est en écoutant la vraie Pattie raconter, au cours d’un dîner, sa vie amoureuse ou plutôt sexuelle que les frères Larrieu eurent l’idée de leur film…
C’est sous un chaud soleil estival -et après avoir renversé une biche avec sa voiture- que Caroline arrive à pied dans un village escarpé aux belles maisons de pierre… C’est là que vivait Zaza, la mère de Caroline. Une mère, avocate, voyageuse et… libertine mais sympa (sic), que Caroline ne connaissait pas ou si peu. Zaza est morte subitement et Caroline est venue rapidement pour enterrer sa mère, régler les questions administratives, voir comment vendre la maison et repartir au plus vite… Mais il n’en ira pas ainsi. Car, à la veille des obsèques, le corps de Zaza disparaît…
Avec 21 nuits avec Pattie, les frères Larrieu investissent à nouveau un lieu de nature où tout n’est qu’exubérance et sensualité pour y évoquer la puissance du désir, les vertiges du plaisir, le bonheur de la jouissance… Jusque là dans leur cinéma, les cinéastes confiaient aux hommes le soin d’être les passeurs de ces sentiments et de ces sensations. Cette fois, 21 nuits… adopte un point de vue féminin avec le personnage central de Caroline. Lorsque Caroline arrive dans le village, elle est une femme qui a perdu tout désir. Elle avouera à Pattie: « C’est comme si j’étais impuissante ». Mais, sous le triple effet de la nature, de la fête et de sacrées rencontres, Caroline va faire l’expérience du retour à la volupté…
Filmé dans un format carré, le dernier film des frères Larrieu s’ouvre, de manière franchement jubilatoire, sur les confidences gaillardes, et même un rien obscènes, d’une Pattie qui avoue qu’« elle aime le cul ». Pattie raconte volontiers comment elle s’est fait prendre, de toutes parts, par le très rustique André (Denis Lavant dans une prestation délirante) et comment les bals du 15 août sont des occasions de céder à son obsession de la pénétration et à cette « drogue dure » qu’est le sexe… Mais ce qui fait l’originalité de 21 nuits avec Pattie, c’est justement que ces propos très cul (mais dépourvus quasiment d’images) s’inscrivent dans un érotisme de la parole et de la… pénétration. Caroline écoute en effet, presque bouche bée, ces aveux qui vont finir par la pénétrer pour l’entraîner aux rivages d’une volupté envolée depuis longtemps… Les cinéastes filment ainsi un échange de regards entre Caroline et le fils presqu’encore adolescent de Pattie. Et l’on sent, sans mots cette fois, une Caroline désormais troublée…
Et puis 21 nuits avec Pattie, avec la disparition du corps de Zaza, va prendre un autre tour, plus fantastique cette fois… Même si les gendarmes enquêtent, le film évite la dimension du polar pour choisir les voies plus étonnantes du conte. Après le duo Pattie/Caroline, cette dernière va croiser la route de Jean. A-t-il été l’un des amants de Zaza? Est-il un nécrophage sentimental bien qu’il se révolte de l’atteinte à cette « vulnérabilité absolue d’une femme »? Est-il simplement un imposteur ou vraiment le célèbre Jean-Marie Le Clézio que Caroline croit reconnaître? En tout cas, Jean va s’installer dans la maison où, soudain, Zaza revient sous la forme d’un fantôme… Les frères Larrieu ont confié à Mathilde Monnier, la chorégraphe originaire de Mulhouse, d’incarner cette Zaza translucide et dansante qui vogue aux frontières du rêve éveillé d’une Caroline passée de l’autre côté du miroir…
Quant à Pattie (que le film oublie un peu dans sa seconde partie), qui pense qu’on peut être « intello et très cochon », elle sera submergée par cet amour qu’elle considérait jusque là comme un esclavage. Celle qui s’extasiait devant un phallus impudicus à forme très… humaine en avouant « Et je m’y connais en champignons », doit constater que le « manche » d’André ne lui fait plus d’effet et même qu’elle a fait semblant! Alors que le récit de Jean -les mots encore eux!- livré dans un cimetière sous les étoiles, a fait perdre pied à cette désormais ex-« esclave de la bite »! Caroline, elle, aura erré dans une forêt très profonde, croisé le regard lumineux d’une bête et éprouvé les éclairs puissants d’un orage avant de retrouver, au petit matin, son mari (Sergi Lopez) et ses filles. A l’heure de l’épilogue, Caroline fera pénétrer tout l’imaginaire qui était le sien dans sa relation conjugale et se laissera emporter, nue, dans la commotion délicieuse de la volupté…
Avec une Isabelle Carré, charmante et fine en femme-enfant atteinte par la maturité, une Karin Viard, pétulante et savoureuse dans un registre très sexe et un André Dussollier étonnant et romantique dans ses emportements diurnes comme dans ses enchantements nocturnes, 21 nuits avec Pattie (malgré un petit coup de mou dans sa deuxième moitié) est un film lumineux et dyonisiaque sur les chemins détournés qui mènent autant aux délices de l’amour physique qu’à l’harmonie fragile mais précieuse de la famille retrouvée…
21 NUITS AVEC PATTIE Comédie dramatique (France – 1h55) d’Arnaud et Jean-Marie Larrieu avec Isabelle Carré, Karin Viard, André Dussollier, Sergi Lopez, Laurent Poitrenaux, Denis Lavant, Philippe Rebbot, Jules Ritmanic, Mathilde Monnier. Dans les salles le 25 novembre.