Sandrine, la solitude et les chiens…
C’est une histoire qui commence par un état des lieux… Celui de la petite chambre de bonne où vit, plutôt vivait Sandrine. Plus les moyens de payer son loyer et c’est la porte. Et au moment où l’agent immobilier fait donc l’état des lieux, la jeune femme, devant ses réflexions humiliantes, comprend aussi qu’elle ne récupérera pas sa caution. Laurent Larivière, qui donne, avec Je suis un soldat, son premier long-métrage, avoue que le cinéma des frères Dardenne et le lien très concret qu’il entretient avec le réel, a inspiré cette chronique de la honte sociale et du sentiment d’échec qui pousse quelqu’un à revenir dans le giron familial après avoir tenté, sans succès, de se construire un avenir meilleur ailleurs.
C’est donc à Roubaix que revient Sandrine, la trentaine, avec son sac à dos et ses gros bagages. Qu’elle s’empresse de cacher dans une petite remise au fond du jardin de la maison familiale. Difficile d’être « la fille préférée », celle qui est partie pour réussir et qui revient parce que tout s’est effondré. D’ailleurs, sa mère l’accueille comme une… vacancière en visite. Et Sandrine constate aussi que sa chambre de jeune fille qu’elle comptait occuper à nouveau, est occupée par sa jeune soeur, son mari et leur fillette…
Il faudra qu’Henri, son oncle, lui glisse: « Si t’es dans la merde, tu devrais leur dire… » Car Sandrine est bien dans une belle mouise. Devant la femme à l’air pincé qui l’interroge lors d’un entretien d’embauche pour vendre des maillots de bain, elle part dans un fou-rire mal réprimé. Car, dit Sandrine, ça fait des mois qu’elle cherche du travail… Ce sera finalement Henri qui lui proposera de venir travailler dans son chenil. Où Sandrine, bottes aux pieds, va passer le jet d’eau dans les cages, frotter à la brosse les déjections des bêtes…
A travers le chenil dirigé depuis des années par Henri, le cinéaste plante le décor qui va permettre de suivre la trajectoire des différents protagonistes de l’histoire et, bien sûr, principalement de Sandrine. Ce cadre, c’est celui du trafic de chiens en provenance des pays de l’Est où existent de véritables usines à chiots. Ce trafic aussi cruel que très rentable touche notamment la France, pays d’Europe qui compte le plus grand nombre d’animaux domestiques avec notamment huit millions de chiens. Seuls 150.000 chiens des 600.000 vendus chaque année en France proviendraient d’un élevage français déclaré…
Toutefois, même si les situations que présente Je suis un soldat, paraissent bien documentées, y compris les séquences avec le vétérinaire qui signe et procure de faux certificats de vaccination, ce trafic est surtout, pour Laurent Larivière, une allégorie de la cruauté contemporaine… Dans ce monde sans pitié et malgré son malaise grandissant, Sandrine va tenter de se faire une place. Elle pense ainsi satisfaire ses proches et se reconstruire au sein de sa famille mais elle s’autodétruira peu à peu…
Dans un film aux couleurs froides, avec peu de dialogues, le cinéaste suit au plus près cette Sandrine à laquelle Louise Bourgoin apporte un petit côté têtu et violent. Mais, autour d’elle, l’ensemble des personnages ont une complexité et une densité particulières. La mère (Anne Benoît) travaille à la boucherie d’un supermarché et se fait malmener par une jeune supérieure. Le jeune couple composé d’Audrey et de Tony peine à joindre les deux bouts et touche parfois au désespoir. Ainsi, dans cette scène terrible où Tony démolit à la masse les murs de la maison qu’il construit péniblement. « Je n’y arrive pas. Comment font les autres? » Et bien sûr, il y a Henri (Jean-Hugues Anglade, barbu et magnifique), véritable personnage de film noir, rude, égocentrique et manipulateur, trafiquant sans états d’âme mais aussi généreux avec sa famille qu’il tient en distribuant, ici et là, quelques billets…
C’est cet homme à la double vie (il a une maîtresse avec laquelle il recycle l’argent de son trafic dans l’immobilier) qui va ramener concrètement Sandrine à la réalité de son échec. A sa nièce qui lui demande s’il n’a jamais eu envie d’aller ailleurs, il réplique: « Pourquoi partir? Tu vois bien, tu es revenue! »
Dans ce film sombre et âpre, Laurent Larivière ménage cependant des espaces de respiration. Ce sont des moments familiaux où l’on s’amuse à jouer au badminton sur un pré, où l’on fête un anniversaire avec du champagne et un gâteau, où une fillette chante du Johnny Hallyday pour sa grand’mère. Le cinéaste a choisi Quand revient la nuit (qui donne son titre au film), chanson qui installe un peu plus Sandrine dans sa solitude…
Tandis qu’Henri ira, peut-être, vers une rédemption, Sandrine ira vers sa libération. Elle sera passée par des épreuves (les douanes sur l’autoroute, la descente de police contre un camion polonais, les morsures d’un chien) avant de parvenir à sortir de l’engrenage dans lequel elle est prise. Le cinéaste a imaginé un beau moment de cinéma lorsque Sandrine se présente, nue, devant Pierre, le vétérinaire qui lui a tendu la main… Ces deux-là ne vivront pas d’histoire d’amour mais Sandrine, littéralement lavée de ses malheurs, pourra s’en aller…
JE SUIS UN SOLDAT Drame (France – 1h37) de Laurent Larivière avec Louise Bourgoin, Jean-Hugues Anglade, Anne Benoît, Laurent Capelluto, Nina Meurisse, Nathanaël Maïni, Angelo Bison, Thomas Scimeca, Eva-Luuna Mathues. Dans les salles le 18 novembre.