La lutte de Maud, petite femme courageuse
« Si on leur accorde le droit de vote, on ne pourra plus les arrêter… » Et on ne les arrêta plus. Mais ce fut au prix de bien des sacrifices… Dans une grosse blanchisserie industrielle du quartier de Bethnal Green à Londres, les femmes triment comme des bêtes et gagnent un salaire inférieur à celui de leurs collègues masculins. Parmi les ouvrières, Maud Watts a gagné peu à peu une « bonne » place dans l’entreprise. Mais elle fut, très jeune, une apprentie obligée de subir les avances sexuelles de son patron pour pouvoir continuer à travailler… Un jour, en quittant son travail, Maud rêve brièvement devant une vitrine d’une rue londonienne. Soudain, des pierres sont lancées dans la vitrine. La jeune femme vient alors de croiser l’action de militantes pour le droit de vote des femmes…
Nous sommes en 1912, dans la capitale britannique et les suffragettes veulent faire entendre leur voix dans une société qui ne leur accorde aucune attention. D’ailleurs le terme de suffragette a été inventé par les médias anglais pour tourner en dérision les activistes du mouvement en faveur du suffrage des femmes… Mais les suffragettes, qui s’approprieront le terme, sont alors lancées dans une action qui prend des allures de guérilla avec des lignes télégraphiques arrachées, des boîtes aux lettres publiques dynamitées, des magasins cailloutés.
Avec Les suffragettes, la cinéaste anglaise Sarah Gavron a voulu raconter une page d’histoire peu connue, voire passée sous silence dans les manuels, celle du combat mené notamment par Emmeline Pankhurst, grande figure du WSPU, le Women’s Social and Political Union qu’elle fonda en 1903. Mais, pour les besoins du cinéma, le film est centré sur une ouvrière ordinaire, anonyme (et fictive) dont on va suivre la prise de conscience. Si Maud Watts ne songe pas à s’engager, ni même à élever la voix (elle pense même que, malgré ce qu’elle a subi, elle a un « bon patron »), l’injustice va la mener à une vraie radicalisation. Peu à peu, la petite ouvrière va entendre celles qui disent: « Le pouvoir est entre vos mains » ou qui affirment « Pour que je respecte la loi, il faut que la loi soit respectable ».
Avec un certain sens du spectacle, Sarah Gavron fait des Sufragettes un film qui parle d’action sociale et de changements politiques mais qui trouve aussi le rythme du film d’action. En se lançant dans la lutte, Maud Watts se retrouve dans la peau d’une rebelle. Désormais, elle sera traquée par la police, pourchassée, frappée, emprisonnée. Elle fera la grève de la faim et sera coupée de sa famille parce que son mari, malheureux mais prisonnier des conventions de son temps, lui interdira de voir son jeune fils. Cependant Maud Watts va aussi connaître la dangereuse mais enthousiasmante « fraternité d’armes » avec des soeurs de combat. Sarah Gavron dessine ainsi les portraits de femmes en lutte, qu’il s’agisse de Violet, mère de famille enceinte à répétition ou d’Edith, pharmacienne très radicale dont l’officine sert de lieu de réunion aux militantes. Remplaçant au pied levé une Violet au visage marqué par les coups portés par son mari, Maud Watts ira porter son témoignage de blanchisseuse à la Chambre des communes devant le premier ministre David Lloyd George. Mais là où les femmes pouvaient attendre une avancée politique, la déception fut au rendez-vous et augmenta leur détermination. Les suffragettes montre aussi la manière dont les militantes se divisèrent sur la question de l’action violente.
Par son sujet même, Les suffragettes est un film qui offre une palette de beaux rôles de femmes. Avec une grâce touchante et une énergie émouvante, Carey Mulligan (vue notamment dans les excellents Shame, Drive ou Inside Llewyn Davis) incarne Maud Watts qui, pour faire triompher ses idées, mettra en péril sa vie, son emploi et la paix de son foyer. Helena Bonham-Carter est la pharmacienne Edith Ellyn, entourée d’Anne-Marie Duff (Violet) ou de Romola Garai (Alice Haughton). Enfin, à travers deux séquences, Meryl Streep incarne Emmeline Pankhurst, passionaria du WSPU dont les discours enflammés (« Nous ne voulons pas enfreindre la loi. Nous voulons écrire la loi ») étaient suivis de fuites rapides pour échapper aux forces de l’ordre…
Outre Sonny Watts, le mari de Maud, le principal rôle d’homme est celui du policier irlandais Arthur Steed (Brendan Gleeson) chargé du renseignement sur le mouvement pour le suffrage des femmes. Respectueux de la loi, le policier est prêt à tout pour la faire respecter. Mais, face à Maud Watts qui répond à son « On vous arrêtera! » par un « Nous sommes la moitié de l’humanité… », le policier finira par s’interroger…
Film où il est question de liberté fondamentale autant que de défi politique, Les suffragettes s’achève sur un acte tragique… Pour attirer l’attention des médias, une militante – Emily Wilding Davison- se lancera, le 4 juin 1913, lors du Derby d’Epsom, sous le pas du cheval portant les couleurs du roi George V… Le générique de fin liste les pays et les dates où les femmes obtinrent le droit de vote. En Angleterre, les femmes de 30 ans purent voter à partir de 1918 et toutes les femmes à partir de 1928. En France, les femmes ne devinrent des citoyennes à part entière qu’en 1944. Il reste encore des pays où les femmes n’ont pas le droit de vote.
LES SUFFRAGETTES Drame (Grande-Bretagne – 1h48) de Sarah Gavron avec Carey Mulligan, Helena Bonham-Carter, Brendan Gleeson, Anne-Marie Duff, Ben Whishaw, Romola Garai, Meryl Streep, Finbar Lynch, Natalie Press, Samuel West, Geoff Bell. Dans les salles le 18 novembre.