Comme un cerf-volant dansant dans l’ouragan
James Bond ne serait-il plus tout à fait James Bond? Déjà dans Skyfall, le précédent opus (2012) de la franchise, le plus célèbre agent secret de sa gracieuse Majesté (ils ont quand même sauté ensemble en parachute au-dessus du stade olympique de Londres!) était malmené autant par les événements que par le temps… « Tempus fugit » est-il dit, en latin, dans Spectre. Eh oui, le temps file et Bond n’est plus un perdreau de l’année. Mais, qu’on se le dise, 007 demeure bien le meilleur rempart contre tous les affreux qui tentent de jeter à terre ce « machin-truc minable » qu’est la démocratie…
Cependant, il faut bien le dire, le monde de James Bond est en ruines. Au plus haut niveau des services secrets britanniques, on est certain que le programme « double zéro » est obsolète et que les drones permettront de faire le travail bien mieux que les agents ayant le permis de tuer… Dans Spectre, Bond est de plus en plus seul pour affronter la menace incarnée par Franz Oberhauser, un homme qu’il ne connaît que trop bien… Car, à l’âge de 12 ans, lors de la mort de ses parents, le jeune James avait été placé sous tutuelle provisoire auprès du père Oberhauser. Un homme qui lui porta une telle affection qu’il en perdit la vie… sous les coups de Franz, son propre fils…
Après Skyfall, Sam Mendès revient donc à l’une des franchises les plus célèbres de l’histoire du cinéma pour signer la 24e aventure de la saga Bond. Le cinéaste a mis, en 150 minutes, les petits plats dans les grands… L’aventure commence à Mexico, pendant la fameuse Fête des morts… James Bond est venu -de sa propre autorité?- pour régler son affaire à un méchant du nom de Sciarra. Mais la mission ne va pas passer comme une lettre à la poste. 007 démolit quasiment un quartier de la ville, contraint un hélicoptère à faire d’inquiétants loopings au-dessus de la foule avant de pouvoir enfin passer Sciarra par-dessus bord…
Et là… générique! On savoure une fois encore la séquence culte du gun barrel portée par le thème célébrissime écrit par Monty Norman et arrangé par John Barry… Ensuite, place aux tentacules de la pieuvre caressant lascivement filles nues et torse glabre de Bond, le tout sur Writing’s on the Wall, chanson mélancolico-glamour du jeune chanteur britannique Sam Smith…
Spectre poursuit ensuite un joli tour du monde qui passera, après un crochet par Londres où Bond est tout simplement mis à pied par M, par Rome, les Alpes autrichiennes, Tanger et retour dans la capitale anglaise… En Italie, 007 va séduire la veuve palpitante du méchant Sciarra. En Autriche, il retrouve un vieil ennemi qui, avant de mourir, le traite de « cerf-volant dansant dans un ouragan » et lui confie la mission de sauver sa fille. Une fille, Madeleine Swan, que Bond embarquera dans ses périlleuses aventures… Au Maroc, Bond se retrouvera enfin face à Franz Oberhauser (Christoph Waltz, délicieusement mielleux), visionnaire fou, maître du SPECTRE et fier d’être l’auteur de tous les malheurs de 007…
Pour regarder agréablement Spectre, il faut oublier un peu que Monica Bellucci (la veuve Sciarra) est désormais, à 50 ans, la plus « vieille » James Bond… lady, que Léa Seydoux (Madeleine Swan) est la septième Française à incarner une James Bond girl, que le film est, avec un coût de 300 millions de dollars, le plus cher de la franchise ou que plein de belles Aston Martin ont été détruites pendant le tournage… Après quoi, on se laissera emporter dans 150 minutes d’actions filmées au cordeau. Sam Mendès sait y faire même si on peut lui reprocher de parfois faire durer ses scènes un peu plus que nécessaire.
Cependant Spectre appartient bien à la veine de Skyfall, c’est-à-dire plutôt au dessus du panier de la franchise. Cela pour deux bonnes raisons. D’un, Spectre peaufine le personnage de Bond, nous en apprend sur son passé tout en le plaçant dans un environnement contemporain où 007 semble parfois détonner avec ses méthodes à l’ancienne. Et si, l’évolution des nano-technologies aidant, on lui implante une puce directement dans le sang, c’est bien avec les poings, les pieds et son bon vieux Walther PPK que Bond fait le ménage face à des affreux qui manient, notamment, un pistolet semi-automatique italien à double canon. Et lorsque Madeleine Swan l’interroge sur sa profession, il confie simplement: « Je tue… Le genre d’occupation qui fait tache sur un formulaire… » Deux, parce que Spectre, en mettant en scène une organisation criminelle mondiale spécialisée dans la cyberterreur, interroge sur un monde chaotique à la Orwell, où chacun, y compris les agents du MI6 , sont sous surveillance permanente…
Enfin, Spectre n’oublie pas que les passionnés de 007 aiment à cultiver la légende… On découvrira ainsi l’appartement londonien (et très spartiate) de 007 tandis qu’on apprendra que la chère Moneypenny, longtemps amoureuse transie de James, a désormais une vie privée et un homme dans son lit… Quant aux références, elles abondent. Hinx, le tueur (quasi) indestructible est un vrai cousin de Jaws ou de Oddjob… Le train vintage qui traverse le désert marocain semble sortir de… Bons baisers de Russie et permet à Bond de porter le smoking blanc à oeillet rouge et de partager une vodka-Martini (au shaker, pas à la cuillère) avec une Madeleine Swan en long fourreau de soie… Quant à Q, s’il préserve bien les Aston Martin pour Bond, il est, ici, contraint d’aller sur le terrain…
Alors si James Bond (Daniel Craig, regard plus bleu que jamais) est confronté, dans Spectre, à l’image mémorielle de bien des défunts amis (la chère M ou l’amoureuse Vesper Lynd) ou ennemis (Silva, Le Chiffre), il n’en reste pas moins invulnérable et glacial… Non, décidément, le cerf-volant n’est pas encore emporté par l’ouragan…
007 SPECTRE Action (USA – 2h30) de Sam Mendès avec Daniel Craig, Léa Seydoux, Christoph Waltz, Ralph Fiennes, Ben Whishaw, Monica Bellucci, Naomie Harris. Dans les salles le 11 novembre.