Un espion à la dérive dans Hambourg
En découvrant Un homme très recherché, on ne peut évidemment s’empêcher d’avoir une pensée pour le parcours de cet immense acteur qu’était Philip Seymour Hoffman. Si le film d’Anton Corbijn n’est pas son ultime apparition (on le verra encore dans Hunger Games – la révolte, le 19 novembre sur les écrans français), il n’en reste pas moins que le personnage de Gunther Bachmann dans A most wanted man est bien sa dernière belle contribution au cinéma… D’abord excellent dans des seconds rôles où il brûlait la politesse à ses collègues (Boogie Nights, Magnolia, The Big Lebowski, Le talentueux M. Ripley, Retour à Cold Mountain), il a fini par venir sur le tout devant de la scène, décrochant l’Oscar de meilleur acteur en 2005 pour son flamboyant Truman Capote. Emporté en février dernier par une overdose de cocaïne et d’héroïne, Philip Seymour Hoffman compose brillamment, ici, un personnage à la dérive mais qui donne le change en professionnel de l’espionnage à la fois déprimé et malicieux. Son Günther Bachmann boit beaucoup trop, fume sans arrêt, n’a pas de vie privée et trimballe le lourd fardeau d’avoir raté une opération à Beyrouth qui coûta beaucoup de vies. Mais Bachmann croit sans doute encore à sa mission…
Philip Seymour Hoffman. DR
L’ombre du 11 septembre flotte toujours sur le cinéma… En voici une nouvelle page avec cette adaptation d’un roman de John Le Carré qui s’en va, du côté de Hambourg, tenter de démêler les fils d’une affaire que traversent le docteur Abdullah, une grande figure de la communauté musulmane (il proclame en réunion publique: « Violenter des innocents, ce n’est pas la voie de l’islam ») et un certain Issa Karpov débarqué clandestinement dans la grande cité portuaire. Père russe, mère tchetchène, converti à l’islam, Karpov ne tarde pas à être repéré par les agents des unités anti-terroristes. Le grand gaillard mutique et barbu a un peu (trop?) le look pour appartenir à un groupe salafiste de djihadistes tchétchènes… Dans une ville encore traumatisée d’avoir hébergé la « cellule de Hambourg » et ses responsables des attentats du 11 septembre, on est vite à cran.
De la même manière qu’il avait raconté, dans The American (2010), la venue d’un tueur à gages (George Clooney excellent et très peu « what else ») dans un village perdu d’Italie, Corbijn réussit un thriller efficace en se servant d’abord à merveille des décors de Hambourg pour installer une atmosphère à la fois lourde et automnale. Véritable personnage d’Un homme très recherché, la ville de briques, entre quartier rouge et immensité portuaire, voit donc à l’oeuvre des hommes et des femmes discrets qui savent qu’ils ont « un boulot à faire ». Ils ne savent pas toujours bien qui est l’ennemi mais à la question « A quoi ça sert? », ils répondent: « A rendre le monde plus sûr ».
Günther Bachmann est à la tête d’une petite unité anti-terroriste qui n’est pas en odeur de sainteté auprès d’autres services plus officiels. La confiance entre les services n’est pas la chose la mieux partagée et la CIA s’en mêle aussi en tirant les ficelles chez les uns et les autres. Comment alors savoir ce qu’Issa Karpov a vraiment dans le ventre? Que compte-t-il faire de la grosse somme d’argent que son père, honni et disparu, a laissé pour lui dans une banque? Quant au Dr Abdullah, il pourrait bien récupérer cet argent mais pour quoi en faire? Autant de questions et de pistes que le cinéaste néerlandais ouvre pour mieux brouiller les pistes.
Willem Dafoe et Rachel McAdams. DR
Comme récemment La taupe du même John Le Carré, Un homme très recherché s’applique à détailler, au-delà de l’intrigue proprement dite, les méthodes des espions dans leur lutte contre le terrorisme. Tout est feutré. Les actions violentes sont quasiment bannies tandis que Bachmann et sa petite équipe préfèrent jouer de la menace ou de l’intimidation pour amener un banquier (Willem Dafoe) à collaborer. Annabel Richter (Rachel McAdams), l’avocate de gauche de Karpov (« Vous êtes une assistante sociale pour terroristes » lui lance Bachmann) sera aussi retournée… Et puis Bachmann sait qu’il doit faire profil bas parce que, de toutes manières, il fait, en Allemagne, un travail que la loi allemande ne permet pas.
Même si Un homme très recherché n’innove pas dans le domaine du thriller d’espionnage, il reste un très bon film (avec une belle distribution américaine et allemande dont la belle Nina Hoss) avec un final, soudain brutal, qui coupe le souffle. A l’heure où les égorgeurs de Daech occupent le devant de la scène politique et médiatique, le nouveau film d’Anton Corbijn ne manque pas, loin s’en faut, d’intérêt.
UN HOMME TRES RECHERCHE Thriller (USA – 2h01) d’Anton Corbijn avec Philip Seymour Hoffman, Rachel McAdams, Grigory Dobrygin, Willem Dafoe, Robin Wright, Nina Hoss, Daniel Brühl. Dans les salles le 17 septembre.