Sans armes et avec bagages
Le 10 mai 1940, rompant avec quelque huit mois d’inaction, la Wehrmacht passe à l’offensive sur le front ouest. Bousculant les défenses belges et néerlandaises, perçant le front français, les troupes allemandes vont bientôt contraindre la France à déposer les armes. Apeurés, des millions de civils (on les estimera à environ huit millions) vont tenter de fuir cette tornade qui annonce de rudes lendemains. Hollandais et Belges ouvrent la marche avant que les Français ne se jettent à leur tour sur les routes.
Historien et spécialiste de la Seconde Guerre mondiale, Olivier Wieviorka observe que l’exode refléta le total effondrement politique et militaire d’un pays jusqu’alors tenu pour invincible. Ce qui explique que l’exode soit, aujourd’hui encore, le grand absent de la mémoire nationale. Mais l’exode fut aussi, par l’obligation imposée des choix à faire, la matrice des itinéraires qui scandèrent les années noires, invitant les uns à plier, incitant les autres à relever la tête.
Avec En mai, fais ce qu’il te plaît, Christian Carion s’empare de ce matériau historique pour signer une saga d’êtres jetés sur les routes françaises d’un chaud été de juin 1940. C’est paradoxalement quelque part, au coeur de l’Allemagne nazie, que s’ouvre ce film… Hans, militant communiste, et son jeune fils Max se préparent à fuir, laissant derrière un appartement mais surtout leur pays. A la radio, on entend le pathétique Schwanengesang de Franz Schubert… Bien loin de là, Paul, le maire d’un bourg rural du nord de la France, réunit ses administrés. A quelques kilomètres seulement, les Anglais et les Allemands se battent âprement dans les souterrains d’Arras. Pour le maire, il s’agit de répondre aux consignes des autorités et de se mettre en marche vers Dieppe. Bon gré mal gré, les habitants vont charger quelques affaires sur des charrettes ou dans des voitures pour prendre la route…
Au sortir de l’avant-première organisée au Palace à Mulhouse, on a pu entendre un spectateur dire: « Mais pourquoi n’avoir pas simplement fait de cette page d’histoire un documentaire? » Et, de fait, pour préparer son film, le cinéaste a fait un long travail de recueil de témoignages, y compris celui de sa propre mère… Et d’ailleurs Christian Carion revendique volontiers la part autobiographique de son film. Mais surtout, comme dans bien des films de guerre, le cinéaste fêté de Joyeux Noël (2005), voulait organiser, dans un film évidemment choral, le croisement d’une série de destinées.
On va suivre ainsi Hans, arrivé en France tant bien que mal, et qui va, en se faisant passer pour un Hollandais ou un Belge, tenter d’échapper aux arrestations. Et quand Hans perdra la trace de Max, une épreuve supplémentaire pèsera désormais sur ses épaules: retrouver coûte que coûte son fils. Dans la chaleur de l’été, Hans croisera aussi Percy, un soldat écossais coupé de son régiment… Ensemble, ils feront le coup de feu, dans une ferme, contre des éclaireurs allemands… Et puis, En mai, fais ce qu’il te plaît suit bien entendu l’odyssée de Paul le maire, de son épouse, de Suzanne, la jolie institutrice et secrétaire de mairie sans oublier quelques figures plus pittoresques comme Roger, l’agriculteur toujours contre tout ou Albert, le seul à ne pas vouloir quitter le village de peur de laisser sa belle cave et ses Petrus 1908 aux Boches. Une cave où il cache aussi une cornemuse qui donnera l’occasion à Percy de vivre jusqu’au bout son destin de soldat. Un Albert auquel, pour sa première apparition au cinéma, Laurent Gerra prête, pour une fois, un masque grave.
Entre attaque de Stukas en piqué (les avions allemands ont été ajoutés numériquement) et panzers (multipliés numériquement) traversant les champs de blé, le cheminement des concitoyens de Paul va finalement s’arrêter en cours de route. « La guerre est déjà perdue! Inutile d’avancer vers Dieppe… » constate le maire alors qu’une voix s’étonne: « La guerre ne peut pas être perdue en dix jours! »
Christian Carion (dont on avait aussi beaucoup aimé, en 2009, L’affaire Farewell, passionnant film d’espionnage) craignait plus que tout, disait-il, de tomber dans le piège « SFP des années 70″ avec ses figurants (trop) propres sur eux et ses personnages auxquels il ne manquait pas un bouton de guêtre… En donnant parfois à son film une tournure… western avec chevaux, grands espaces picards et musique du maestro Ennio Morricone, il échappe globalement au piège. Avec une écriture s’inscrivant plutôt dans la lignée du Lautner d’Arrêtez les tambours, du Enrico du Vieux fusil ou du Jugnot de Monsieur Batignole. Ce qui, après tout, n’a rien d’infamant.
Les séquences peut-être les plus réussies et les plus étonnantes aussi de En mai… sont sans doute celle qui mettent en scène le cameraman allemand qui « organise » de macabres reconstitutions de prises de villages pour les actualités cinématographiques du Reich. Arrivée après la bataille, l’équipe de reportage prenaient des prisonniers de guerre français, ici, venus d’Afrique noire, leur donnaient des armes à blanc et leur ordonnait de recommencer toute l’action pour la propagande…
Enfin, même si le film a été mis en chantier bien en amont, on ne peut s’empêcher de faire le parallèle avec la cruelle actualité des migrants… Où il est aussi question de solidarité.
EN MAI, FAIS CE QU’IL TE PLAIT Drame (France – 1h57) de Christian Carion avec August Diehl, Olivier Gourmet, Mathilde Seigner, Alice Isaaz, Matthew Rhys, Laurent Gerra, Joshio Marlon, Thomas Schmauser, Jacques Bonnaffé. Dans les salles le 4 novembre.