Le boulanger foudroyé par une bombe anglaise
« Pour l’équilibre et la tranquillité, c’est raté… » En voix off, on reconnaît le timbre si caractéristique de Fabrice Luchini. L’oeil vert et charmeur, Luchini est Martin Joubert, le boulanger d’un petit village de Normandie. Charmant aussi, le village. C’est d’ailleurs pour cela que les Bovery viennent s’y installer. En humant le pain de Joubert, Gemma lâche un définitif « That’s France! » Venu, lui, s’installer dans la boutique paternelle voilà sept ans, Joubert a d’abord vécu à Paris et n’a pas, semble-t-il, réussi à faire son trou dans l’édition. Et voilà qu’une certaine Gemma, Bovery de surcroît, dotée d’un mari prénommé Charles, vient réveiller ses fantasmes littéraires. Et pas que littéraires! Car Joubert tombe immédiatement amoureux de Gemma. Pire, il part complètement en vrille sur le rapport entre le personnage de fiction d’Emma Bovary et l’étincelante Gemma. Qui, elle, ne connaît manifestement rien à Flaubert et qui s’en fiche comme de son premier fish and chips. Mais, on le verra, le destin et Anne Fontaine en décideront autrement.
Gemma Bovery, c’est d’abord un roman graphique de Posy Simmonds, remarquée naguère pour un Tamara Drewe mis ensuite en scène par Stephen Frears, déjà avec Gemma Arterton. En 2010, Tamara venait semer le désordre dans une campagne britannique, peuplée de néo-ruraux, où il ne se passait pas grand-chose. Dans le film d’Anne Fontaine, il ne se passe pas grand-chose non plus au coeur de la campagne normande. Jusqu’à l’arrivée d’une beauté ravageuse… Anglaise d’aujourd’hui, Gemma Bovery ne sait pas comment articuler sa vie affective et le magnétisme qu’elle exerce sur les hommes.
Fabrice Luchini et Gemma Arterton. DR
Pour le pauvre Joubert, c’est encore pire. Le boulanger, juste encore amoureux de ses pains jusque là, est doublement déstabilisé. Car il se polarise sur la projection d’un destin parallèle dont il se sent le deus ex machina tout en étant foudroyé par le trouble érotique que suscite Gemma.
Dans les pas d’un boulanger-conteur qui vit les histoires des autres par procuration, Anne Fontaine donne une comédie tout à fait agréable et un film solaire même si son thème se révèle finalement assez sombre. Elle peut évidemment se reposer sur un Fabrice Luchini qui se régale, avec une fantaisie joyeusement décalée, d’un Joubert à la fois gourmand, troublé et transi par sa platonique passion pour Gemma. La séquence où Martin apprend à Gemma comment pétrir le pain, comment caresser la pâte est d’un érotisme évidemment savoureux. Et comme Fabrice Luchini est un amoureux des textes classiques et, ici, du spleen bovaryen, il n’a pas de peine à nous faire croire à l’obsession « littéraire » de Joubert.
Quant à Gemma Arterton, c’est, selon la formule même d’Anne Fontaine, une bombe atomique. Incertaine et inconstante dans le roman de Posy Simmonds, elle est, ici, attachante, généreuse et fraîche, distillant une sensualité et un érotisme oblique et indirect qui provoque chez le spectateur un ravissement jubilatoire.
Cette drôle d’enquête sur la beauté, la puissance et l’esprit flaubertien est une bonne occasion d’aller au cinéma et de goûter un « feelgood movie » de qualité. Quant à savoir si Gemma Bovery boostera la lecture d’Emma Bovary, c’est encore une autre histoire.
GEMMA BOVERY Comédie dramatique (France – 1h39) d’Anne Fontaine avec Fabrice Luchini, Gemma Arterton, Jason Flemyng, Isabelle Candelier, Niels Schneider, Elsa Zylberstein, Edith Scob. En salles le 10 septembre.