L’équipée sauvage du misérable Dwight

Dans une maison, un type chevelu et barbu prend un bain… Scène de la vie quotidienne? On pourrait le croire mais ce n’est pas le cas. Lorsqu’il entend les occupants de la maison rentrer chez eux, le baigneur ne fait ni une, ni deux. Embarquant une serviette, il saute, nu, par la fenêtre et prend ses jambes à son cou… Ce type, c’est Dwight Evans. Look de routard, air hagard, il ramasse des bouteilles en plastique sur la plage et mange ce qu’il trouve dans les poubelles d’un parc d’attraction… La nuit, le malheureux dort dans une vieille Pontiac pourrie et trouée d’impacts de balles. C’est là qu’une agent de police le réveille et lui demande de venir au commissariat. On ne reproche rien à Dwight mais le mystère de ce passage par la case Police va vite être levé. Le traîne-savates apprend qu’un certain Mike Cleland va bientôt sortir de prison. Or ce Cleland a tué, en 1996, les parents de Dwight…

Malgré son nom qui sonne français, Jeremy Saulnier est un Américain bon teint, né en Virginie et qui compte parmi les vétérans du cinéma « indé » américain en tant que chef opérateur de multiples films. Après un court-métrage remarqué dans les festivals (Crabwalk), Saulnier signait, en 2007, son premier long-métrage avec Murder Party. Il s’avère que Blue Ruin est une oeuvre bien plus ambitieuse même si Saulnier tient à l’inscrire dans la tradition du film de suspense, quitte à s’affranchir des codes. Blue Ruin (titre sybillin qui peut faire allusion à la couleur bleue delavée de la Pontiac mais qui signifie aussi « débâcle ») est donc un thriller qui capte très vite l’attention du spectateur. D’abord parce que le film est avare de mots. Dwight est un solitaire qui n’a personne à qui parler. Ensuite lorsqu’il décide de passer à l’action, il va se retrouver dans la peau d’un fugitif contraint de se cacher…

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Macon Blair incarne Dwight Evans. DR

Blue Ruin est une affaire de vengeance. Dès lors que Dwight sait que l’assassin de ses parents va être libéré, il n’a qu’une idée en tête: le tuer. Et il le fera. Mais Dwight n’est ni un soldat revenu de toutes les guerres, ni un expert froid et méthodique. C’est un tueur amateur. S’il tue sauvagement Cleland dans des toilettes de restaurant, il trouve le moyen d’y oublier ses clés. Et dans la limousine des Cleland qu’il vole après lui avoir crevé les pneus, il ne remarque pas qu’il y a déjà un passager à bord. La brutalité de Blue Ruin se   teinte alors de touches d’humour froid qui donne à cette entreprise une étrangeté bienvenue. Et cela d’autant plus que l’action se déroule dans une Virginie des forêts embrumées qui n’a rien à voir avec le décor urbain de bien des polars. Dans ce coin-là, on règle ses affaires sans passer par la police. Les Cleland sont décidés à faire la peau à Dwight et ce dernier, qui a changé de look pour ressembler à un petit employé glabre mais toujours aussi hagard, pense soudain que ses poursuivants vont vouloir du mal à sa soeur et à ses deux fillettes restées vivre non loin des lieux du crime de 1996…

Avec Blue Ruin, le cinéaste s’empare d’un classique scénario de vengeance et observe comment Dwight va tout faire foirer, entraînant des retombées aussi violentes qu’irréversibles. Si Saulnier reste concentré sur son histoire et s’interdit tout discours moralisateur, on ne peut s’empêcher de voir aussi, ici, une réflexion sur les liens familiaux, sur la violence et sur la douleur (on trouve une scène où Dwight tente de retirer un carreau d’arbalète planté dans sa cuisse!) et évidemment sur la législation des armes à feu aux Amériques. Car des armes, il y en partout. Pour s’équiper, Dwight va retrouver Ben, un ancien camarade de lycée (l’excellent Devin Ratray) et cela nous vaut quelques scènes impressionnantes avec un gaillard jovial mais dangereux, véritable synthèse de l’Américain sur-armé… Ceux qui ont vu Nebraska reconnaîtront, en Ben, le personnage de Cole, le jeune obèse amateur de voitures du film d’Alexander Payne. Et puis, voilà longtemps, alors qu’il était gamin, Ratray fut aussi le petit garçon aux yeux ronds de Maman, j’ai raté l’avion

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Quand les armes parlent… DR

Mais la découverte du film, c’est l’inconnu Macon Blair. Son Dwight est un type misérable, presque minable, mutique aussi (à sa soeur, il avoue : « Je n’ai pas l’habitude de parler autant ») emporté soudain dans une tragédie banale. Avec son air vaguement poupin, ses yeux hallucinés, sa volonté maladroite et parfois risible de venger sa famille, Dwight entre d’emblée dans la galerie des grands dingues pathétiques du cinéma américain. Le Travis Bickle de De Niro dans Taxi driver pourrait être son cousin new-yorkais… Jeremy Saulnier confie que Macon Blair est son ami depuis toujours et qu’il a écrit Blue Ruin pour lui… Il a bien fait!

BLUE RUIN Thriller (Etats-Unis – 1h32) de Jeremy Saulnier avec Macon Blair, Devin Ratray, Amy Hargreaves, Kevin Kolach, Eve Plumb. Dans les salles le 9 juillet.

 

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