UN COLIS DANS LA NEIGE POLONAISE ET L’EMPLOYÉE SOURDE ET FRUSTRÉE

La Plus PrecieuseLA PLUS PRECIEUSE DES MARCHANDISES
Il était une fois, dans un grand bois, par un froid glacial, un pauvre bûcheron et une pauvre bûcheronne… D’emblée, le narrateur nous interpelle. Non, il ne s’agit pas du Petit Poucet. D’ailleurs qui pourrait croire à ce conte car aucun parent n’abandonne ses enfants quand il n’y a plus de quoi manger ! Mais alors, pourquoi abandonne-t-on un enfant ? Parfois, justement, parce qu’on les aime. C’est tout! Voilà ce que nous dit La plus précieuse des marchandises. En s’appuyant sur l’oeuvre éponyme de Jean-Claude Grumberg, Michel Hazavanicius signe un superbe drame d’animation qui nous emporte dans les vastes étendues couvertes de neige de Pologne régulièrement traversées par de longs et sinistres convois ferroviaires. Connu pour le diptyque OSS 117 (2006-2009) ou The Artist (2011), on n’attendait pas Michel Hazavanicius du côté de La plus précieuse des marchandises. Faut-il chercher une explication dans les propos tenus sur France Inter où il disait qu’il n’avait longtemps eu cure de sa judéité mais qu’avec les temps qui courent, il se sentait Juif et dans la nécessité de s’affirmer tel. Plongée donc dans la Pologne rurale durant la Seconde Guerre mondiale au côté d’un couple misérable. Chaque jour, au loin, passent les trains. La femme pense que les wagons sont remplis de marchandises et que, peut-être, la providence fera tomber un colis. C’est sur une toute autre marchandise qu’elle va mettre la main. Tandis qu’elle avance dans la neige, elle entend des cris de bébé. Pleine de bonheur, elle ramène le nourrisson chez elle. Mais le pauvre bûcheron ne l’entend pas de cette oreille. Lui qui marche régulièrement, le long de la voie ferrée, sait que ces sinistres convois de la mort emportent les Juifs vers l’enfer des camps. Enveloppé dans un talit, le châle de prière des Juifs, le bébé est donc un « sans coeur » issu de la « race maudite », selon l’expression des nazis. De fait, en chemin vers Auschwitz, un père de famille a craqué. Sa femme tenait, dans ses bras, ses deux enfants. L’homme a saisi la fillette et, à travers les barreaux du wagon, l’a lancé dans la neige, lui offrant une hypothétique survie. Entre la pauvre bûcheronne et le pauvre bûcheron, les relations sont désormais glaciales. La femme dort dans la grange avec le bébé. Lui rumine. Petit à petit, la magie de l’enfance innocente opère et le pauvre bûcheron se laissera emporter aussi par un bel amour pour sa « petite marchandise», scandant dans sa tête « Les sans coeur ont un coeur ». Pourtant, tandis que la pauvre bûcheronne obtient de l’aide et… du lait de chèvre, d’un vieux soldat à la gueule cassée, bien des épreuves attendent encore cette famille… En donnant longtemps la prime, dans son récit, à ces Justes que sont les deux bûcherons attachés à sauver coûte que coûte la fillette, Hazanavicius aborde, quasiment par la suggestion, l’horreur des camps. Le film se passe alors de dialogues, laissant opérer Schluf mayn feygele, une berceuse yiddish… Porté par la belle voix de Jean-Louis Trintignant, dans son ultime apparition vocale au grand écran (accompagné par Dominique Blanc, Gregory Gabedois et Denis Podalydès), La plus précieuse des marchandises parle, au-delà de l’horreur de la déportation, de solidarité, d’entraide et résistance. « Dans n’importe quelle circonstance, dit encore le cinéaste, on peut faire le choix de la dignité et de l’humanité. » Rien de tout ça n’est arrivé, dit in fine le narrateur. Comme n’ont pas existé les trains, les cris, les pleurs, la douleur, la nuit, le brouillard, le feu, les cendres, la sauvagerie industrielle… Ce qui importe, c’est l’amour. Tout le reste est silence. (Studiocanal)
Sur Mes LevresSUR MES LEVRES
Discrète employée dans une société de promotion immobilière, Carla Bhem a tout de la bonne à tout faire, voire du bouc émissaire. Pire que cela, comme elle est malentendante, cette jeune femme solitaire est ignorée par ses collègues dont elle subit des moqueries effectuées à son insu. Erreur ! La petite employée avec ses aides auditives planquées sous ses cheveux mal peignés, sait lire sur les lèvres. Afin d’alléger sa charge de travail, elle obtient l’embauche d’un stagiaire auprès de l’ANPE. Voilà donc que débarque Paul Angeli, belle gueule de voyou et type sans expérience dans les photocopies. Paul sort de prison et reste sous la surveillance de Masson, son contrôleur judiciaire. Instantanément, son comportement impulsif et son charisme troublent Carla, bien qu’elle rejette ses avances maladroites. Peu après son arrivée, Paul est violemment agressé au bureau par un homme venu lui rappeler qu’il doit une importante somme d’argent à Marchand, un gérant de boîte de nuit impliqué dans des activités illégales. Pour rembourser sa dette, Paul abandonne son poste dans la société et commence à travailler comme barman pour Marchand. Troisième film de Jacques Audiard, Sur mes lèvres est une œuvre, incontournable dans la filmographie du cinéaste. Sorti au cinéma en 2001, cinq ans après Un héros très discret son précédent long métrage, Sur mes lèvres est un film singulier et troublant, brouillant la frontière des genres cinématographiques, Audiard y naviguant entre le drame social et le thriller haletant. Film noir, western, drame, marivaudage moderne, polar, mélo, comédie musicale, depuis ses débuts, le fils du grand Michel Audiard, le dialoguiste des Tontons flingueurs (1963), jongle avec les codes du cinéma de genre, variant les formes et forgeant, avec ses équipes, un langage filmique inédit. Son dernier opus, Emilia Perez en atteste pleinement. Esthétisant le quotidien, le cinéma d’Audiard décolle du réalisme, touche le sensible et le sensoriel jusqu’à atteindre une stylisation qui lui est propre. Voir un film d’Audiard, c’est vivre une expérience presque primitive du cinéma qui passe par les images, les sons et les silences mystérieux. Audacieux de film en film, ses longs métrages sont de plus en plus populaires, ses récompenses quasi systématiques. Sur mes lèvres remporte en 2002, trois César (Meilleur actrice, Meilleur scénario, Meilleur son). Partant du drame social pour virer au polar palpitant, le cinéaste orchestre une rencontre, de plus en plus intense, entre une employée frustrée et un stagiaire fruste. Emmanuelle Devos est parfaite en fille trouble, saisie par le vertige de la domination et de la cruauté face à ceux qui la briment. Vincent Cassel, ex-taulard aux cheveux gras, lui donne parfaitement la réplique tandis que le cinéaste explore deux âmes blessées et esseulées qui ne parviennent pas à trouver leur place dans la société. (Pathé)
SambizangaSAMBIZANGA
En 1961, Domingos Xavier, un militant révolutionnaire angolais, est arrêté par la police secrète portugaise. Il est emmené à la prison de Sambizanga à Luanda. Il y subit des interrogatoires puis des tortures destinés à lui soutirer les noms de ses contacts indépendantistes. Maria, la femme de Domingos, (dont le film endosse le point de vue) part avec son bébé sur le dos à la recherche de son mari de prison en prison. Elle se débrouille seule. Elle crie sa rage. Aidée dans sa quête par des hommes et des femmes sensibles à son histoire et à la cause de Domingos, elle ne faiblit pas. La mort de Domingos Xavier va provoquer l’attaque de la prison de Luanda le 4 février 1961, date officielle du début de la lutte armée contre l’occupant portugais. Réalisé par Sarah Maldoror et sorti en 1972, Sambizanga est une adaptation du roman de José Luandino Vieira A Vida Verdadeira de Domingos Xavier. Hommage aux combattants de l’ombre, ce drame politique, interprété par des non-professionnels, est à la fois une tragédie intimiste et une œuvre poétique engagée signée de l’une des figures majeures du cinéma panafricain. Véritable pionnière et figure de proue du cinéma africain, Sarah Maldoror (1929-2020) donne un portrait émouvant des débuts de la lutte de libération angolaise tout en mettant largement l’accent sur la place des femmes dans ce combat. « Cela pourrait être, dit la cinéaste, l‘histoire de n’importe quelle femme qui part pour retrouver son mari. En 1961, la conscience politique des gens n’était pas encore mûre. (…) Dans le village où vit Maria, les gens n’ont aucune idée de ce que signifie « indépendance ». Les Portugais empêchent toute information et un débat sur le sujet est impossible. (…) Mon souci principal était de rendre les Européens, qui ne savent pas grand chose de l’Afrique, conscients de cette guerre oubliée en Angola, au Mozambique et en Guinée-Bissau. » Cette édition, dans une superbe restauration 4K, disponible pour la première fois en Blu-ray, est accompagné de nombreux suppléments. On y trouve une introduction de Martin Scorsese, un entretien avec Annouchka de Andrade et Henda Ducados (6 mn) réalisé par Antoine Aphesbero dans le cadre de l’exposition « Sarah Maldoror : cinéma tricontinental » (2021-2022) au Palais de Tokyo à Paris. À partir de documents et photographies, les deux filles de la cinéaste reviennent sur le parcours de Sarah Maldoror pour dresser un portrait intime de la femme et mère qu’elle fut. On découvre aussi quatre films inédits de la cinéaste. Monangabééé (1969 – Noir & Blanc – 16 mn), premier film de Sarah Maldoror, laisse parler les corps et la musique pour donner voix à la résistance du peuple angolais contre le colonialisme portugais. Puis Trilogie de carnaval (Fogo, île de feu (1979 – 34 mn), A Bissau, le carnaval (1980 – 19 mn) et Carnaval dans le Sahel (1979 – 30 mn). En découvrant en 1978 les îles du Cap-Vert après leur indépendance, Sarah Maldoror est saisie par cet archipel et décide d’y tourner trois films comme une urgente nécessité. Elle capte la rudesse de la vie sur l’île volcanique de Fogo, puis filme les préparatifs et les festivités du carnaval à São Vicente et en Guinée-Bissau. Enfin, comme livret (124 pages), le fac-similé du n°720 (février 2025) de L’Avant-scène Cinéma avec des entretiens, A à Z sur Sarah Maldoror, souvenirs de tournage, revue de presse, fiche technique, scénario original, dialogues français et portugais… (Carlotta)
Malcolm XMALCOLM X
Né en 1925 dans le Nebraska, Malcolm Little vit de petits emplois et de magouilles en essayant de profiter au maximum de la vie… Il deviendra gangster à Harlem pour le compte d’un caïd avec lequel il se brouillera pour un malentendu financier. Il file alors à Boston, retrouve Shorty, son meilleur ami. Un cambriolage chez un couple blanc et riche leur vaudra une dizaine d’années de prison. En détention, il croise Baines, un autre détenu noir, qui l’aide à sortir de son addiction à la cocaïne. Malcolm reste méfiant lorsque Baines fait la promotion de l’islam mais il est toutefois progressivement convaincu et Baines l’éduque en le présentant à la Nation of Islam (dont Malcolm deviendra plus tard le leader charismatique) en insistant sur le fait que « Dieu est noir »… Commence alors la trajectoire qui va faire de lui l’une des grandes icônes des mouvements afro-américains pour abolir les discriminations raciales aux États-Unis au même titre que Rosa Parks, Martin Luther King ou encore Mohamed Ali… A la fin des années 80 et au début des années 90, Spike Lee est au sommet de la vague. Il tourne à un rythme soutenu et donne successivement Nola Darling n’en fait qu’à sa tête (1986), Do The Right Thing (1989), Mo’ Better Blues (1990, Jungle Fever (1991). Il va alors enchaîner avec ce film biographique sur Malcolm X, basé sur l’autobiographie coécrite avec le journaliste Alex Haley. Spike Lee évoque ainsi l’enfance difficile à Omaha, la prison où il apprend à cultiver la fierté de sa race, l’entrée dans l’organisation d’inspiration islamiste, le mariage avec l’infirmière Betty Shabazz, le pèlerinage à la Mecque et son assassinat le 21 février 1965 au cours d’un meeting à Harlem. Bien avant la mode des biopics, Spike Lee s’attache, en 1992, à proposer son regard sur un personnalité hors du commun et dont, avant de voir le film, on ne sait finalement pas tant que ça. Pour l’aider dans sa tâche, il peut compter sur Denzel Washington qui réussit l’un de ses meilleurs rôles. Malgré de bonnes critiques, le succès au box-office ne sera pas au rendez-vous. Le film culmine avec une scène montrant le militant anti-apartheid Nelson Mandela, alors récemment libéré de prison, citant l’un des discours de Malcolm X dans une salle de classe en Afrique du Sud. (Metropolitan)
CrepusculeCREPUSCULE
Le corps de la petite Anna, huit ans, est découvert au fin fond d’une forêt. Deux inspecteurs sont dépêchés sur place pour mener l’enquête et retrouver le dangereux tueur en série qui a déjà sévi deux fois dans la région. Lorsque leur unique suspect, un colporteur, met fin à ses jours en se jetant d’une fenêtre du commissarait, les enquêteurs décident de partir sur une nouvelle piste, s’aidant pour cela d’un dessin de la dernière victime… Pour son premier long-métrage de cinéma en 1990, le réalisateur hongrois Gyorgy Feher (1939-2002) s’est inspiré du roman policier La Promesse de Friedrich Dürrenmatt, également adapté par Sean Penn en 2001 dans The Pledge. À l’instar de son compatriote Béla Tarr, consultant sur le film, le cinéaste hongrois s’ingénie à dilater le temps en travaillant avec des travellings et des panoramiques qui rendent ainsi palpables l’attente fébrile de l’enquêteur en chef et sa quête obsessionnelle de la vérité. Lauréat du Léopard de bronze au Festival de Locarno 1990, Crépuscule est un étrange thriller très contemplatif qui joue avant tout la carte d’une atmosphère singulière et funèbre. Le cinéaste entraîne le spectateur dans un univers de montagne et de forêt qui baignent constamment dans une lumière grise traversant des ambiances brumeuses dans laquelle apparait une maison isolée qui fait station-service. Autour de la maison, une fillette joue avec un ballon et on n’évite pas la référence à M le maudit de Lang et à son tueur d’enfants d’autant que le film ne nie pas sa dimension expressionniste. Si ce conte noir est très virtuose sur le plan formel avec ses cadrages sophistiqués et ses longs plans larges immobiles, Crépuscule ne donne pas toutes les clés de l’intrigue. On a ainsi du mal à saisir clairement les motivations des personnages, qu’il s’agisse de l’inspecteur qui scrute le paysage avec ses jumelles et finit par s’emporter contre la fillette autour d’un mystérieux chocolat ou encore le moustachu alcoolique qui violente sa compagne… Disponible pour la première fois en Blu-ray dans une version restaurée 4K, l’édition comprend deux entretiens. Dans Une lumière particulière (33 mn), Miklos Gurban, le directeur de la photographie de Crépuscule raconte sa rencontre avec Gyorgy Feher et détaille sa méthode de travail atypique, axée sur les plans-séquences, l’éclairage et la performance des acteurs. Dans Le long affrontement (24 mn), Maria Czeilik, la monteuse attitrée de Feher revient sur leur relation professionnelle, aussi enrichissante qu’éprouvante, et sur la complicité qui liait le cinéaste à Béla Tarr. Enfin, on y trouve deux courts-métrages inédits du cinéaste : Oregek (1969 – Noir & Blanc – 16 mn) est un documentaire dans lequel des personnes âgées confient leurs difficultés au quotidien à des représentants du Parti venus les écouter. Tomikam (1970 – Noir & Blanc – 23 mn) raconte comment une promesse non tenue entre un vieux philatéliste et un jeune célibataire roublard va conduire ce dernier devant un tribunal et remettre en cause son existence… (Carlotta)
Gladiator2GLADIATOR 2
Avec sa maigre troupe de (valeureux) combattants, le Numidien Hanno affronte, dans une bataille navale rudement violente, les troupes de Rome conduites par le général Marcus Acacius… La rébellion contre l’empire tourne hélas au détriment d’Hanno qui voit même sa compagne Arishat mourir, frappée d’une flèche en pleine poitrine. Pour Hanno, désormais, la rage de la vengeance anime son coeur et son esprit. Prisonnier des Romains, conduit dans la capitale, Hanno rejoint les rangs des gladiateurs qui donnent, régulièrement, un brutal divertissement dans la vaste arène du Colisée. Pris en main par Macrinus, un « manager » de gladiateurs qui lui lance « Cette rage est ton don », Hanno va s’imposer comme un combattant de premier ordre. A Macrinus, il ne demande qu’une faveur : pouvoir affronter le général Acacius qu’il tient pour responsable de son drame. Il aura bientôt l’occasion d’affronter le général romain car celui-ci fomente sans succès une insurrection contre les empereurs Geta et Caracalla, impressionnants tyrans complètement dégénérés… Que Ridley Scott, réalisateur du premier Gladiator, s’attelle au second, n’a rien de surprenant. D’autant que le Britannique de 86 ans a clairement le goût des gros machins censés en mettre plein la vue à un public amateur de divertissements spectaculaires. Lorsqu’on voit, dans les premières séquences, des gamins jouer au football au pied des pyramides de Numidie, on constate qu’une fois de plus, Scott se moque de l’Histoire comme de sa première calliga. Le sachant, on n’y fait plus vraiment attention pour se contenter de suivre le spectacle. Après la bataille navale initiale, c’est surtout dans l’arène que le show trouve sa place. Ainsi Hanno va se bagarrer avec des mandrills sanguinaires, affronter Le destructeur monté sur une énorme rhinocéros ou reconstituer la bataille de Salamine dans un Colisée transformé en piscine géante peuplée de requins affamés… Le spectacle est volontiers pompeux et la mise en scène boursouflée et riche de multiples clameurs. Paul Mescal, l’interprète d’Hanno/Lucius, a plus de muscles que de charisme et seul Denzel Washington tire vaguement son épingle du jeu en composant, avec son Macrinus, un grand méchant, passant d’entrepreneur à un politique retors cultivant la loi du plus fort. On se gardera de filer la métaphore mais probablement que, pour Scott, Rome c’est l’Amérique et Hollywood le Colisée et ses jeux du cirque… (Paramount)
HereHERE – LES PLUS BELLES ANNEES DE NOTRE VIE
Raconter l’histoire de l’Amérique à travers une maison qui évolue de 10 000 avant Jésus-Christ à 2022, sacrée ambition ! C’est ainsi qu’au fil des époques, vont se succéder Richard, un aspirant artiste peintre et Margaret, une aspirante avocate qui vivent chez Al, ancien vétéran de la Seconde Guerre mondiale et Rose, les parents du premier et qui deviendront les principaux personnages d’un vaste récit choral. Passeront aussi par là divers autres personnages dont le fils illégitime de Benjamin Franklin, un couple de bourgeois, un inventeur et sa femme, de même qu’un couple d’Afro-Américains et leur femme de ménage mexicaine… En adaptant le roman graphique éponyme de l’Américain Richard McGuire, paru chez Gallimard en récompensé du Fauve d’Or du meilleur album de l’année au Festival d’Angoulême 2016, Robert Zemeckis trouve évidemment un matériau qui lui offre de belles pistes cinématographiques (en mettant en œuvre une technologie innovante permettant de superposer les temporalités et les images) autant que thématiques. Ici et là, s’ouvrent des fenêtres sur différentes époques, amenant les récits à se répondre pour mettre en lumière l’évolution des mœurs et le passage du temps, évoquant aussi les secousses socio-économiques, les progrès de la science, l’immigration, voire le mouvement Black Lives Matter… On avait perdu de vue le Robert Zemeckis qui séduisait tant le public avec la trilogie Retour vers le futur (1985-1990), Qui veut la peau de Roger Rabbit (1988) ou l’incontournable Forrest Gump (1994) dont il retrouve, pour Here, les deux comédiens principaux Tom Hanks et Robin Wright qui incarnent, ici, Richard et Margaret… En dernier, Zemeckis avait joué, sans grande réussite, l’actuelle carte Disney avec les reprises des classiques en prises de vues réelles. Le revoilà donc avec une bonne histoire puisqu’il ne s’agit rien de moins que de détailler une étonnante odyssée à travers le temps et la mémoire, les amours et les conflits au coeur d’une maison de Nouvelle-Angleterre sur fond de couples et de familles au fil des générations. (M6)
PontcarralPONTCARRAL, COLONEL D’EMPIRE
C’est au coeur de l’Occupation que Jean Delannoy sort Pontcarral, colonel d’Empire, un film (subventionné par l’État français!) qui met en scène, sous le couvert d’un drame romantique en costumes, un audacieux hommage à la Résistance à travers le personnage de Pierre Pontcarral, fidèle de Napoléon même après la chute de l’Empire en 1815. L’écho à la situation politique que vit la France sous le régime de Vichy est patent. « Il faut se reporter, dit bien le cinéaste, à l’occupation allemande, en 1942, pour juger ce film que nous avons voulu faire pour exalter la Résistance. Pas question à l’époque de traiter un sujet contemporain, mais par le truchement du personnage de Pontcarral, nous avons réussi à exprimer le sentiment de l’honneur qu’il incarnait dans toute son intransigeance… » Pontcarral, c’est donc l’histoire d’un baron et ancien colonel d’Empire sous Napoléon, méprisé de tous pendant la Restauration. Lorsque Garlone de Ransac, une fière aristocrate, lui propose de l’épouser, il y voit une possible revanche sur la société. C’était sans se douter que la redoutable Garlone l’utilise aussi pour une vengeance personnelle… Le film est porté par Pierre Blanchar, totalement habité dans son rôle de colonel-baron. Le comédien révèle ses grandes qualités d’acteur dans un jeu dénué d’emphase. Face à lui, deux femmes jouent deux caractères opposés. Suzy Carrier a du charme et de la spontanéité. Annie Ducaux, belle, hautaine et pourtant sensible, incarne l’élégance et la séduction aristocratique. C’est à la veille de la guerre que Jean Delannoy débute sa carrière de réalisateur. En 1939, il tourne son premier grand succès, Macao, l’enfer du jeu, qui ne sortit sur les écrans qu’en 1942, après que toutes les scènes avec Erich von Stroheim aient été refaites avec Pierre Renoir, Stroheim étant interdit d’écran par l’occupant. C’est aussi en 1942 que le cinéaste va connaître la consécration avec son Pontcarral tiré d’un roman d’Albert Cahuet. En 1943, ce sera l’apothéose avec L’éternel retour, écrit et coréalisé avec Jean Cocteau. Puis s’enchaineront Le Bossu (1944) où il retrouve Pierre Blanchar dans le rôle de Lagardère et plus tard La Symphonie pastorale (1946) qui remportera la première Palme d’or au Festival de Cannes. Jean Delannoy (1908-2008) laisse derrière lui une œuvre abondante. Féru des grands mythes et des histoires d’amour célèbres, il est grand amateur de films en costumes et aime transposer à l’écran les œuvres des grands auteurs (Notre-Dame de Paris en 1956 ou La Princesse de Clèves en 1961). Le film fut censuré en partie, l’occupant supprimant certains dialogues (rétablis à la Libération) tels que cette phrase de Louis-Philippe : « Il est temps de sortir la France de ses humiliations, de rendre à son drapeau un peu de gloire ». Lors de la première à Paris en décembre 1942, le public lui fit un triomphe en criant : « Vive la France ! » (Pathé)
FinalementFINALEMENT
Dans un monde de plus en plus fou, Lino, qui a décidé de tout plaquer, va se rendre compte que finalement, tout ce qui nous arrive, c’est pour notre bien ! A 86 ans, Claude Lelouch n’en a pas fini avec le cinéma. Et on s’en réjouit. Et si Finalement était son dernier film ? Allez savoir… Car le cinéaste d’Un homme et une femme a le cinéma tellement chevillé au corps qu’on se doute bien qu’il a encore envie d’y revenir. Voici donc l’histoire de Lino Massaro, un avocat réputé pour ses vibrantes plaidoiries. Déçu du monde dans lequel il vit, il décide de tout plaquer et de partir sur les routes de France. Frappé d’une maladie mentale, il est contraint d’exprimer ses sentiments les plus profonds. De quoi paraître cinglé à ses interlocuteurs. Mais c’est la musique (orchestrée par Ibrahim Maalouf et Didier Barbelivien) et sa trompette, qui pointe dans son sac, qui vont atténuer son malheur… Finalement s’inscrit pleinement dans l’oeuvre de Lelouch qui dit : « Je suis sincère quand je dis n’avoir fait qu’un seul film ». Puisque chacun a inventé le suivant. D’ailleurs ce 51e opus est lié plus spécialement à deux films précédents de Lelouch : L’aventure c’est l’aventure (1972) et La Bonne année (1973). Lino, le personnage principal incarné par Kad Merad, est le fils de Simon, campé par Lino Ventura dans La Bonne année. Quant à Sandrine, jouée par Sandrine Bonnaire, elle est la fille de Nicole, interprétée par Nicole Courcel dans L’aventure c’est l’aventure. Finalement prolonge aussi Itinéraire d’un enfant gâté (1988) en abordant le thème de la liberté. Belmondo comme Kad Merad, ici et pour la première fois chez Lelouch, dans leurs départs respectifs, incarnent ce sentiment : le désir de recommencer sa vie. Alors de quoi parle Finalement ? De la même chose que les précédents ! La vie et les relations humaines sous toutes leurs facettes avec l’amour, le sexe, l’amitié, la tristesse, la famille, la création, le cinéma, la France, la trahison, la politique… La musique aussi! Ce n’est pas la première fois non plus que Lelouch signe un film musical mais, pour Finalement, c’est une évidence. « Peut-être, dit le cinéaste, parce qu’on y évoque Dieu et que la musique est son langage. A chaque fois que l’on en écoute, on se sent porté… » Si on ajoute les beaux paysages de Bourgogne, d’Occitanie, le Mont Saint Michel ou Avignon et une ribambelle de comédiens (Michel Boujenah, Sandrine Bonnaire, Barbara Pravi, Elsa Zylberstein, Françoise Gillard, Françoise Fabian, Marianne Denicourt, Clémentine Célarié, François Morel, Raphaël Mezrahi), on tient un bon cru de Lelouch. (Metropolitan)
SauvagesSAUVAGES
À la lisière de la forêt tropicale de Bornéo, Kéria recueille un bébé orang-outan trouvé dans la plantation de palmiers à huile où travaille son père. Au même moment, Selaï, son jeune cousin, vient trouver refuge chez eux pour échapper au conflit qui oppose sa famille nomade aux compagnies forestières. Ensemble, Kéria, Selaï et le bébé singe luttent contre la destruction de la forêt ancestrale, plus que jamais menacée. Mais pour Kéria, ce combat sera aussi l’occasion de découvrir la vérité sur ses origines… Après l’excellent Ma vie de courgette (César 2017 du meilleur film d’animation), le réalisateur Claude Barras revient avec un nouveau chef-d’œuvre du film d’animation en forme de conte familial et écologique au cœur de la jungle de Bornéo. Réalisé en stop-motion, ce film enchanteur à la fois drôle, sensible et touchant accomplit une belle prouesse technique. Avec ses couleurs chatoyantes, son univers visuel est d’une véritable splendeur, et l’on s’émerveille en découvrant la faune et la flore locales. L’ambiance sonore s’avère des plus immersives, faisant découvrir les riches sons de la forêt tropicale. Enfin, le doublage de qualité, avec les voix françaises de Benoît Poelvoorde, Michel Vuillermoz et Laetitia Dosch, donne vie à des personnages plein de charme. Si Sauvages (sélectionné au Festival de Cannes 2024 et nommé au César du meilleur film d’animation 2025) est une belle aventure initiatique pleine de tendresse et de péripéties, ce long métrage est aussi une magnifique fable pédagogique sur l’écologie. Véritable ode à la nature, à la forêt et à ses habitants, le film dénonce intelligemment la triste réalité de la déforestation et le désastre écologique qui en résulte, sensibilisant petits (à partir de 6 ans) et grands à des enjeux cruciaux. (Blaq Out).
Vallée FousLA VALLEE DES FOUS
Passionné de voile, Jean-Paul Choveau est dans une mauvaise passe. Il accumule les dettes et surtout s’éloigne des siens. Bien décidé à reprendre sa vie en main, ce type veuf et alcoolique s’inscrit à Virtual Regatta, la course virtuelle du Vendée Globe (course à la voile autour du monde, en solitaire, sans escale, ni assistance, ayant lieu tous les quatre ans, en novembre, au départ des Sables d’Olonne), en espérant remporter l’une des dotations accordées aux trois premiers de la course. Pour atteindre son objectif, et bien que la course soit virtuelle, il se met dans les conditions d’un vrai skipper en s’isolant pendant trois mois sur son bateau installé dans le jardin de son restaurant du côté de Port-la-Forêt dans le Finistère… Son vieux père et sa fille Camille n’en croient pas leurs yeux mais ce voyage pas comme les autres permettra à Jean-Paul de renouer avec sa famille, mais surtout avec lui-même. Après Albatros en 2021 qui racontait, avec beaucoup de force, la vie quotidienne des gendarmes entre vie privée et professionnelle devant la misère sociale, le suicide, les affaires de pédophilie, de vols, etc., Xavier Beauvois est de retour avec un loser même pas vraiment magnifique emporté dans une aventure de résilience. En imaginant l’océan dans son jardin, le pari que se lance ce participant virtuel au Vendée Globe a quelque chose d’un peu tragique. Heureusement Xavier Beauvois, réalisateur de N’oublie pas que tu vas mourir, prix du Jury au Festival de Cannes 1995 et de Des hommes et des dieux, Grand prix de Cannes 2010 et César du meilleur film en 2011, sait mettre en scène cette histoire poétique d’un homme à la dérive, réanimé par une idée folle. C’est aussi l’occasion pour le cinéaste d’évoquer, avec réalisme et justesse, des thèmes comme la solitude et la famille. Pour La vallée des fous, Beauvois peut enfin compter sur de bons comédiens avec Jean-Paul Rouve bouleversant de sensibilité en type qui se relève, Pierre Richard, 90 ans, épatant en vieux père ou Madeleine Beauvois, la fille du cinéaste, dans le rôle de Camille… (Pathé)
Nick Carter Va Tout CasserNICK CARTER VA TOUT CASSER
Scientifique français, le professeur Fromentin vient de mettre la touche finale à une invention qui sera capable de détruire toute sorte d’appareil volant. Un gang du crime international est très intéressé par cette invention afin de la vendre au plus offrant. Menacé, le scientifique, qui était ami avec le père de Nick Carter, appelle Nick à l’aide alors que ce dernier s’apprête à partir en vacances. Après avoir échappé à plusieurs attentats (sa voiture plonge notamment dans un ravin et prend feu), le privé se rend compte que c’est l’entourage proche du savant qui complote contre lui… Apparu en septembre 1886 dans une nouvelle de l’Américain John R. Coryell, le personnage du détective privé Nick Carter connaîtra une carrière au cinéma, dans les années 30 et 40, avec une trilogie de la MGM réalisée par Jacques Tourneur et Walter Pidgeon dans le rôle de Carter. En France, dans les années 60, c’est Eddie Constantine qui se glisse dans la peau du privé sans peur avec Nick Carter va tout casser (1964) puis Nick Carter et le trèfle rouge (1965) de Jean-Paul Savignac. Pour Henri Decoin dont on a vu, le mois dernier en Blu-ray, Dortoir des grandes avec Jean Marais, ce Nick Carter (qui sort dans une belle édition Blu-ray) marque l’adieu au cinéma après une carrière de quatre décennies. Porté par un Eddie Constantine (qui fut aussi Lemmy Caution) toujours à l’aise dans le registre cogneur décontracté qui ne craint pas de se colleter avec quatre ou cinq méchants à la fois, ce polar/nanar est du sous-007 filmé sans autre souci que de faire passer un peu de bon temps au spectateur… (Gaumont)
Zig ZigZIG ZIG
Amies à la vie à la mort, Marie et Pauline se produisent tous les soirs dans un cabaret. Si elles chantent plutôt pas mal en se déhanchant devant des clients passablement avinés, elles se livrent aussi au tapin pour financer la maison de leurs rêves. Un soir, un kidnapping fait s’effondrer l’univers de Marie. Car elle découvre que Pauline (Bernadette Lafont) est impliquée dans l’affaire. Réalisé en 1974 par Laszlo Szabo, comédien fétiche de Jean-Luc Godard, assidu de la Cinémathèque d’Henri Langlois et compagnon de route de la Nouvelle vague, cette comédie, très singulière dans le paysage cinématographique de son époque, est une espèce d’ovni qui mêle le burlesque, le pastiche policier et le mélodrame psychologique. Manifestement, Szabo ne s’est pas trop cassé la tête avec un scénario qui part dans tous les sens, suivant tour à tour les aventures des deux chanteuses, la trajectoire de Jean Mortagne (l’inénarrable Huberrt Deschamps), commissaire retraité mais toujours futé et celle d’une bande de branquignols ravisseurs d’une chanteuse d’opéra sur le retour qui s’en finit pas de maltraiter Verdi. Zig Zig devait être une toute petite entreprise. Elle prit une autre tournure lorsque Catherine Deneuve s’intéressa au projet. La comédienne qui avait déjà joué avec Polanski (Répulsion), Demy (Les demoiselles de Rochefort), Bunuel (Belle de jour), Truffaut (La sirène du Mississipi), Melville (Un flic) s’en mordit, semble-t-il, les doigts. Dans un interview, elle raconta qu’il s’agissait d’un des tournages les plus chaotiques qu’elle ait vécu, le réalisateur étant constamment ivre sur le plateau… Un film rare, fantasmagorique, un thriller saisi par la bouffonnerie. (Pathé)

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