Des plans de Goebbels aux amours de Bridget

"La fabrique..." Magda (Franziska Weisz) et Goebbels (Robert Stadlober). DR

« La fabrique… » Magda (Franziska Weisz)
et Goebbels (Robert Stadlober). DR

MANIPULATION.- « La propagande est un art ! » C’est Joseph Goebbels qui le dit et, sur ce point, on peut faire confiance à l’éminence grise d’Hitler. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, le Reichsminister est devenu un personnage incontournable de la machine nazie. Ayant l’oreille et le plein soutien du Führer, il est convaincu que la domination du Reich sur l’Europe et le monde passera par des méthodes de manipulation radicalement nouvelles. Pour cela, il s’agit autant de contrôler, d’une main de fer, les médias (et aussi le cinéma) que d’électriser les foules. Au point de transformer les défaites en victoires et le mensonge en vérité. Dans une salle de cinéma, avec son staff, Goebbels visionne des images d’Hitler saluant de très jeunes soldats qui s’apprêtent à aller mourir au combat. Il scrute les rushes, observe un plan sur les mains d’Hitler secouées de spasmes. Soudain il crie : « Le Führer ne tremble pas ! Le peuple ne verra jamais ces images ! » Le technicien, à ses côtés, ose : « Nous n’avons rien d’autre. Le Führer n’est plus qu’une ombre de lui-même. » Goebbels s’agace et lâche: « C’est moi qui décide ce qui est vrai. Et ce qui est vrai, est ce qui profite au peuple allemand. » Goebbels est en train de bâtir la plus sophistiquée des illusions, quitte à précipiter les peuples vers l’abîme…
L’évocation du nazisme et de la Shoah, l’un des plus grands crimes de l’humanité a souvent été traité au cinéma. Que l’on se souvienne simplement des récents La zone d’intérêt et La plus précieuse des marchandises. Avec La fabrique du mensonge (Allemagne – 2h04. Dans les salles le 19 février), le cinéaste allemand Joachim Lang se demande pourquoi la majorité des Allemands ont suivi Hitler dans la guerre et l’Holocauste, et comment les responsables ont pu commettre des crimes aussi inimaginables contre des millions de victimes innocentes ? Lang choisit de s’inscrire dans la perspective des auteurs de ces crimes.

"La fabrique...": Goebbels à la table d'Hitler. DR

« La fabrique… »: Goebbels à la table d’Hitler. DR

« Nous ne connaissons Hitler et les principaux dirigeants nazis, dit le réalisateur, que par leurs apparitions fabriquées, celles que le ministre de la propagande, Joseph Goebbels, voulait utiliser pour façonner l’image du national-socialisme. Cette image agit encore aujourd’hui sur nous. Elle est le résultat d’une manipulation. »
Führer und Verführer (titre original) s’attache à briser la mise en scène en plongeant dans les coulisses où œuvre Goebbels. Ayant un passé de documentariste, Joachim Lang appuie ainsi ses dialogues sur des citations authentiques et il s’attache régulièrement à mêler des images de fiction avec de vraies images d’actualité souvent insoutenables. Enfin, il fait de Goebbels, le (sinistre) « héros » de cette descente dans le cercle de l’enfer. On est constamment au plus près de Goebbels quand il « courtise » Hitler dans le but de devenir son numéro 2 en évinçant les Göring, Bormann, Ribbentrop et autre Himmler. L’objectif d’Hitler était d’élargir l’espace vital des Allemands à l’Est et de procéder à l’extermination totale de tous les Juifs. L’objectif de Goebbels était de trouver les images parfaites pour cela et, avec sa machine de propagande, de soutenir Hitler au sein de son propre peuple…
Si La fabrique du mensonge évoque les amours de Goebbels, nabot gominé à la jambe atrophiée, avec l’actrice tchèque Lida Baarova et ses relations tendues avec son épouse Magda, le film se penche aussi sur ce moment tragiquement ubuesque que fut le discours du Sportpalast de Berlin prononcé le 18 février 1943 par Goebbels devant 14 000 membres du parti nazi alors même que l’Allemagne glissait déjà vers sa perte. On voit ainsi le ministre de la Propagande répéter son discours devant les miroirs de son domicile. Considéré comme le sommet de la rhétorique de Goebbels, ce discours voit, in fine, l’orateur poser dix questions à une foule hystérique, le tout s’achevant par une incantation : « Maintenant, Peuple, lève-toi ! Tempête, déchaîne-toi ! ».
Enfin, le film a une résonance fortement contemporaine quand il se demande à quelles images, on peut faire confiance. Et Joachim Lang cite Primo Levi. « C’est arrivé et tout cela peut arriver de nouveau : c’est le noyau de ce que nous avons à dire. »

"Dis-moi...": Julien (Omar Sy) et Marie (Elodie Bouchez)

« Dis-moi… »: Julien (Omar Sy)
et Marie (Elodie Bouchez)

TOXIQUE.- Pour Marie, Julien et leurs deux adolescentes de filles, la vie va tranquillement. Mais une panne de la chaudière dans la petite maison qu’ils habitent près de Vannes montre bien que la vie du couple, marié depuis quelques années déjà, n’est plus aussi heureuse et paisible qu’auparavant. Dans l’entreprise où Marie travaille, un audit est en cours. Par ailleurs, Anaëlle, qui fut autrefois le grand amour de Julien, est de retour en ville où elle a décidé d’ouvrir un bar. Tout cela trouble et déstabilise la fragile Marie. Lorsqu’elle est reçue par Thomas Radiguet, le DRH chargé de l’audit, Marie s’effondre. Elle croit ou imagine que Julien revoit Anaëlle. Aveuglée par la jalousie, Marie entame alors, par dépit, une liaison avec Thomas. Elle se retrouve vite embarquée dans une spirale dangereuse qui va mettre en péril bien plus que son mariage…
Avec Dis-moi juste que tu m’aimes (France – 1h51. Dans les salles le 19 février), Anne Le Ny signe son sixième long-métrage comme réalisatrice et livre une manière de thriller domestique avec quatre personnages pris dans les rets d’une aventure intime.
« En général, au cinéma, dit Anne Le Ny, on parle soit de la naissance de l’amour – du moment de la rencontre et de la passion – soit de la fin de la relation amoureuse, avec son cortège d’amertume et de ressentiment. J’avais envie d’explorer ce qui se passe au milieu de la relation ! C’est un moment où les fondations du couple sont solides, mais où, avec l’arrivée des enfants, la relation est devenue une « petite entreprise » qu’il faut faire tourner. Marie et Julien sont accaparés par leurs obligations familiales et professionnelles et ils ne se parlent plus beaucoup. C’est un moment où leur couple a besoin d’un second souffle… »

"Dis-moi..." Marie et Thomas (José Garcia). Photos Emmanuelle Jacobson-Roques

« Dis-moi… » Marie et Thomas (José Garcia).
Photos Emmanuelle Jacobson-Roques

Las, la relation charnelle -intense, de l’avis même de Marie- va bouleverser l’existence de tous les protagonistes, peu à peu manipulés par un personnage hautement toxique. Sous ses apparences charmantes, voire très bon enfant pour un DRH, Radiguet est dans l’emprise la plus complète sur Marie, évidemment mais aussi sur sa famille dans laquelle il s’immisce au motif de « voir comme ils vivent ». A l’instar du kintsugi, cette technique de céramique que pratique la sœur de Marie et qui permet de réparer et de sublimer les fêlures, le couple Marie-Julien va être contraint de modifier la place de chacun dans le couple. Julien ira jusqu’à braquer l’ordinateur professionnel de son épouse pour lui venir en aide. Si les personnages de Marie et Julien sont bien dessinés, Anne Ly Ny apporte un soin particulier à son affable et empathique prédateur. Elle décrit la mécanique de l’emprise chez un individu, évidemment fêlé, séduit par la vulnérabilité de Marie et, persuadé que Marie ne peut avoir de volonté propre. Radiguet est dans la toute-puissance et s’imagine comme le prince charmant venant sauver la malheureuse Cendrillon.
Pour incarner Radiguet, la comédienne et réalisatrice retrouve, ici, José Garcia, déjà tête d’affiche du Torrent (2022), autre thriller qui se déroulait dans le décor des Vosges, notamment à Gérardmer, La Bresse et sur la route des Crêtes. Si José Garcia est très bon en pervers narcissique, Omar Sy (Julien) et Vanessa Paradis (Annaëlle) lui donnent une belle réplique. Mais dans ce thriller, vite suffocant, c’est Elodie Bouchez, avec sa Marie bouleversée, qui épate !

"La pie...": Maria (Ariane Ascaride). DR

« La pie… »: Maria (Ariane Ascaride). DR

BONTÉ.- Deux cambrioleurs cagoulés se sont introduits à La pie voleuse, un magasin de musique de Marseille et fouillent partout. L’un d’eux prend appui sur une conduite qui cède et provoque une inondation. Partout des factures et des chèques flottent dans l’eau… Cela, mais Maria ne le sait pas encore, va profondément impacter la vie de cette sexagénaire souriante qui aide, tous les jours, des personnes plus âgées qu’elles. Ainsi ce Monsieur Moreau, cloué dans son fauteuil roulant, pour lequel elle cuisine des filets de loup finement panés. Un brave homme qui lui confie régulièrement des chèques pour faire ses courses. Mais voilà Maria tire le diable par la queue. Et pourtant, elle a envie de goûter au plaisir de la vie, de s’offrir six huîtres en écoutant Arthur Rubinstein jouer le Liebestraum de Liszt. Surtout Maria entend tout faire pour que Nicolas, son petit-fils, devienne un virtuose du clavier. Ce qui passe aussi par la location d’un bon piano réglée avec un chèque de… Monsieur Moreau. Mais, à cause des dégâts de l’inondation, ce dernier reçoit un courrier du magasin lui réclamant un nouveau chèque. Lorsque le fils Moreau tombe sur la lettre, les événements vont se succéder en cascade et une plainte pour abus de faiblesse venir tout bouleverser…
Avec le cinéma de Robert Guédiguian, on est quasiment toujours en pays de connaissance. Parce qu’à de rares exceptions, l’action se passe volontiers à Marseille et souvent du côté de L’Estaque… même si la dernière fois, c’était en 2011 pour Les neiges du Kilimandjaro. Parce qu’il y a aussi des visages connus qui incarnent des personnages de préférence attachants et chaleureux. On songe évidemment à Ariane Ascaride, comédienne favorite et épouse de Guédiguian mais aussi à Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet ou les plus jeunes Grégoire Leprince-Ringuet, Robinson Stévenin ou Lola Naymark…

"La pie..." M. Moreau (Jean-Pierre Darroussin) et son fils (Grégoire Leprince-Ringuet). DR

« La pie… » M. Moreau (Jean-Pierre Darroussin)
et son fils (Grégoire Leprince-Ringuet). DR

La pie voleuse (France – 1h41. Dasn les salles le 29 janvier) ne fait pas exception. Et le cinéaste de Marius et Jeannette y raconte l’histoire d’une femme qui a assez d’ingénuité en elle pour penser que ce qu’elle fait, n’est pas répréhensible. Car Maria (Ariane Ascaride, parfaitement lumineuse et marquée de fêlures) est très dévouée à ceux auxquels elle prélève un « petit » billet de dix ou vingt euros. En fait, elle a un rapport très aimant avec les gens chez qui elle travaille, qui eux-mêmes l’adorent. Maria outrepasse largement les tâches que ses employeurs exigent d’elle. Elle a de la bonté. Elle mesure presque le fait que ce ne soit pas une gêne pour les personnes. Que cela ne leur manquera pas. Et, en effet, cela ne leur manque pas.
Avec ce conte coloré et ensoleillé, Guediguian aborde, sans avoir l’air d’y toucher, la question de la précarité et le droit de revendiquer plus que le strict minimum. « La vie ne peut pas se réduire au nécessaire, dit le réalisateur, il faut aussi un accès à la respiration, à la beauté. (…) Inconsciemment, Maria agit en anarchiste. Les couches moyennes devraient se montrer davantage solidaires envers les plus pauvres. Taxer les superprofits ne suffira pas. On ne règlera pas tous les problèmes du monde en taxant les 10% des personnes les plus riches. Il faut aussi que les gens d’un niveau social moyen aident leurs voisins moins dotés. »

"Bridget...": Roxster (Leo Woodall) et Bridget (Renée Zellweger). DR

« Bridget… »: Roxster (Leo Woodall)
et Bridget (Renée Zellweger). DR

VIVRE.- « Merde, je suis en retard ! » Ce soir, Bridget Jones est de sortie. Mais, à la maison, c’est quand même le grand bazar. Billy et Mabel, ses deux gamins, ne sont pas du genre paisible et la cuisine ressemble à un vaste chantier. Et voilà que débarque ce cher Daniel Cleaver. Les gamins l’adorent. Bridget, elle, tord un peu le nez à ses blagues foireuses et sexuelles : « Froisse pas ta culotte géante ! » Bon, c’est vrai, on le sait bien, Bridget a souvent porté d’immenses slips pas très sexy.
Aujourd’hui, Bridget est veuve après dix années de bonheur. Son cher Mark Darcy a été tué, il y a quatre ans, lors d’une mission humanitaire au Darfour. Et Bridget ne parvient pas à faire son deuil, d’autant que le fantôme de Mark apparaît volontiers à l’heure où Billy et Mabel doivent se coucher. Bien sûr, autour d’elle, ses amis se font un devoir de lui dire que rien n’est terminé et qu’elle devrait refaire sa vie. Ah, les amis et leurs bons conseils ! A 52 ans, Bridget se sent tout simplement « impraticable et asexuée ». Sur son lit de mort, son vieux père lui a dit : « Survivre ne suffit pas. Il faut vivre ! »
Lors d’une sortie dans un parc, les enfants ont escaladé un grand arbre et n’arrivent plus à redescendre. Bridget grimpe à son tour et reste coincée en mauvaise posture. A Scott Wallacker, le prof de sciences (Chiwetel Ejiofor) du collège des enfants, elle assure que tout va bien. Mais lorsque passe Roxster, un jeune garde forestier, Bridget est bien obligée de demander de l’aide… Et le charmant Roxster (Leo Woodall) ne se fait pas prier pour aider.

"Bridget..." Scott Wallacker (Chiwetel Ejiofor) et Bridget. DR

« Bridget… » Scott Wallacker (Chiwetel Ejiofor)
et Bridget. DR

Il faut se rendre à l’évidence ! Depuis toujours -enfin depuis qu’on la suit sur les écrans- Bridget Jones se bagarre pour ne pas rester seule. Avec Bridget Jones : Folle de lui (USA – 2h04. Dans les salles le 12 février), on peut penser que la voilà rangée des voitures. Mais non, tout n’est pas fini et même sa gynécologue (Emma Thompson) lui conseille de se bouger. Alors, notre Londonienne se dit qu’il n’est peut-être pas trop tard pour partir en quête de l’homme idéal. Une amie l’inscrit sur Tinder. « Veuve éplorée recherche éveil sexuel », ça peut marcher ? Soutenue par son entourage, Bridget va d’abord retourner à son boulot de productrice de télévision et décider ensuite de filer un temps le parfait amour avec Roxster. Mais est-ce bien sérieux quand la différence d’âge est si grande ?
Avec ce quatrième épisode des aventures et mésaventures de Bridget Jones (après Le journal… en 2001, L’âge de raison en 2004, Bridget Jones Baby en 2016), on retrouve donc le personnage, imaginé par la romancière Helen Fielding, qui a fait de Renée Zellweger une vedette internationale. Pour la dernière fois, on le suppose, la comédienne américaine, qui a l’âge de son personnage, repique au truc. Autour d’elle, on retrouve, dans des rôles épisodiques, Hugh Grant (Daniel Cleaver), Colin Firth (Mark Darcy), Jim Broadbent ou Gemma Jones (les parents de Bridget). Tout cela va son petit bonhomme de chemin. Rien de surprenant, ni de rédhibitoire non plus.

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