Un mystérieux ménestrel sur la scène folk
Dans le New York de 1961, débarque un petit gars fluet, une casquette sur la tête, une grosse écharpe autour du cou, un sac sur le dos et une valise de guitare à la main. Dans un bar, il déplie une coupure de presse disant que Woody Guthrie est hospitalisé quelque part dans le New Jersey. Pendant ce temps, Pete Seeger se défend devant un tribunal en affirmant qu’une bonne chanson ne fait que du bien. Il empoigne son légendaire banjo pour le prouver au juge mais celui-ci ne l’entend pas de cette oreille. C’est devant les journalistes, aux marches du palais, que Seeger chantera le radical « This Land is Your Land »
C’est ce même Pete Seeger que le jeune homme va croiser auprès d’un Woody Guthrie souffrant de la maladie de Huntington et désormais muet sur son lit de douleur. Au jeune homme qui dit simplement « Je chante et je joue », le chanteur tend sa carte de visite au dos de laquelle est écrit Cul terreux, toujours pas mort. Bob Dylan prend sa guitare et joue Song to Woody qui dit : « Je suis perdu ici à un millier de milles de chez moi / Marchant sur une route que d’autres hommes ont foulée / Je vois ton monde de gens et de choses / Tes pauvres, tes paysans, tes princes, tes rois / Hey, Woody Guthrie, je t’ai écrit une chanson / Sur un drôle de vieux monde qui suit son chemin. » Un mince sourire s’affiche alors sur le visage raviné d’un Guthrie qui tape du poing sur sa table de nuit.
Si vous aimez plus que tout la chanson française ou le krautrock germanique, passez simplement votre chemin. Un parfait inconnu n’est pas pour vous ! Tous les autres peuvent s’installer dans les fauteuils et se laisser emporter par l’aventure folk d’un petit gars du Minnesota nommé Robert Zimmermann en passe, ici, de devenir l’immense Bob Dylan, seul chanteur à ce jour à avoir obtenu le prix Nobel de Littérature.
Avec la parfaite aisance d’un pro d’Hollywood, James Mangold embarque le spectateur du côté d’une scène musicale en pleine effervescence alors que la société est en proie à des bouleversements culturels, sociaux et politiques. Bobby Dylan, 19 ans, débarque tandis que la guerre du Vietnam bat son plein, que la crise des missiles de Cuba amène la Guerre froide à un moment paroxystique, que les Noirs militent pour les droits civiques et que bientôt John F. Kennedy tombera à Dallas sous les balles de Lee Harvey Oswald.
Du côté musical, tandis que se profile une ascension fulgurante, Bobby va rapidement balancer, avec son talent hors normes, entre les tenants intransigeants d’un folk pur et dur, un genre qu’il revendique néanmoins clairement et ses aspirations à changer à jamais le cours de la musique américaine.
James Mangold (déjà auteur d’un des plus beaux biopics musicaux américains avec Walk the Line (2005) dans lequel Joaquin Phoenix incarnait Johnny Cash) a conçu Un parfait inconnu avec comme référence Amadeus de Milos Forman, son mentor quand il était l’élève à la Columbia University de New York. Le cinéaste a ainsi exploré le parcours de Dylan, pendant les quatre années de sa vie de nomade en galère à son statut d’icône rock, à travers le prisme des autres personnages. « Un parfait inconnu s’attache, dit le réalisateur, à un moment bien précis du parcours de Bob Dylan, sans pour autant raconter toute sa vie. Il explore un monde où la musique transmet beaucoup de choses ».
Figure emblématique des hobos et porte-parole musical de la classe ouvrière, Woody Guthrie (1912-1967) fait figure de maître spirituel et le Dylan du film (la réalité était un peu différente) se rend immédiatement à son chevet comme pour obtenir une manière de sacrement. Avec Pete Seeger (1919-2014), véritable pionnier de la musique folk, le petit gars surgi de nulle part trouve un ami, une écoute attentive et un professionnel aguerri (Seeger est le cofondateur, en 1959, du festival de folk de Newport) qui va lui mettre le pied à l’étrier.
Passe aussi, par là, Johnny Cash (1932-2003), maître de la country, qui apparaît comme un grand frère précieux au moment où Dylan commencera à prendre, guitare électrique au poing, ses distances de la folk.
Et puis, il y a, dans Un parfait inconnu, deux femmes qui occupent une place d’importance dans l’existence de Bob Dylan. C’est évidemment Joan Baez (84 ans), reine du folk, que Dylan croise lors de ses apparitions en scène à New York. C’est très vite Love at the First Sight et aussi une fructueuse collaboration en scène avec des duos autour de titres mythiques comme Blowin’ in the Wind, archétype du protest song (1962) ou I Ain’t Me Babe avant que les deux se prennent la tête. L’autre femme, Sylvie Russo, est un personnage fictif largement inspiré de Susan Rotolo (1943-2011), dessinatrice et peintre, qui fut la petite amie de Dylan de 1961 à 1964.
Avec toutes ces fameuses figures, Mangold ne cherche pas l’exactitude mais bien une atmosphère, celle de musiciens de génie en pleine création. En s’appuyant sur une reconstitution historique de qualité, le cinéaste propose un récit constamment bruissant dans lequel s’élèvent des chansons mythiques (qu’on a envie de reprendre en choeur d’autant que le cinéaste les conserve le plus souvent en intégralité) comme I Was Young when I Left Home, Masters of War, A Hard Rain’s A-Gonna Fall, The Time There are a Changing, Maggie’s Farm ou évidemment Highway 61 ou Like a Rolling Stone.
Entouré de comédiens en verve (Edward Norton – Pete Seeger, Elle Fanning – Sylvie Russo, Monica Barbaro – Joan Baez, Boyd Holbrook – Johnny Cash), Timothée Chalamet, affublé d’une discrète prothèse de nez, est un Dylan épatant, tour à tour poète maudit, zombie spectral, musicien de légende (Chalamet chante en live), mi-enfant de choeur, mi-beatnik, grand ado fonçant sur sa moto Triumph mais aussi artiste affabulant son passé mais conscient de sa valeur lorsqu’il dit : « La bonne question n’est pas de savoir d’où viennent mes chansons mais de savoir pourquoi elles ne leur sont pas venues à eux ! »
Au coeur d’A Complete Unknown, James Mangold glisse un beau moment de cinéma avec le passage de Now Voyager (Une femme cherche son destin, 1942) d’Irving Rapper dans lequel Bette Davis a cette fameuse réplique : « Oh, Jerry, ne demande pas la lune, nous avons les étoiles ». Une étoile, en tout cas, est à l’écran d’Un parfait inconnu.
UN PARFAIT INCONNU Biopic musical (USA – 2h21) de James Mangold avec Timothée Chalamet, Edward Norton, Elle Fanning, Monica Barbaro, Boyd Holbrook, Dan Fogler, Norbert Leo Butz, Scoot McNairy, P.J. Byrne, Will Harrison, Charlie Tahan. Dans les salles le 29 janvier.
How many roads must a man walk down
Before you call him a man ?
Yes, ‘n’ how many seas must a white dove sail
Before she sleeps in the sand ?
Yes, ‘n’ how many times must the cannon balls fly
Before they’re forever banned ?
The answer, my friend, is blowin’ in the wind,
The answer is blowin’ in the wind.
How many years can a mountain exist
Before it’s washed to the sea ?
Yes, ‘n’ how many years can some people exist
Before they’re allowed to be free ?
Yes, ‘n’ how many times can a man turn his head,
Pretending he just doesn’t see ?
The answer, my friend, is blowin’ in the wind,
The answer is blowin’ in the wind.
How many times must a man look up
Before he can see the sky ?
Yes, ‘n’ how many ears must one man have
Before he can hear people cry ?
Yes, ‘n’ how many deaths will it take till he knows
That too many people have died ?
The answer, my friend, is blowin’ in the wind,
The answer is blowin’ in the wind.